Cote d'Ivoire: Sans tambour ni trompette

éditorial

L'euphorie du 31 mars 2021 a désormais fait place à l'incertitude. Pour ne pas dire au doute.

En effet, près de trois semaines après la confirmation de leur acquittement par les juges de la Chambre d'appel de la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé n'ont toujours pas regagné la Côte d'Ivoire Malgré leur volonté affichée, chacun de son côté, de rentrer au bercail, l'ex-chef de l'Etat n'a pas encore fixé la date de son retour au pays. Tout comme son filleul.

En dépit de la mise en place d'un comité d'organisation pour un probable accueil, c'est le flou total sur la question. Ce que l'on sait, en revanche, c'est que Laurent Gbagbo a annoncé qu'il rentrerait incessamment. Mais cet " incessamment " devient long pour ses partisans. Une situation qui les intrigue et suscite des supputations sur les réelles intentions du fondateur du Front populaire ivoirien. Pourtant, l'Etat de Côte d'Ivoire a fait sa part. Deux passeports, ordinaire et diplomatique, ont été remis à Laurent Gbagbo. Les frais de son voyage, avec sa famille, seront pris en charge, comme l'a indiqué le président de la République, Alassane Ouattara, lors du Conseil des ministres du 7 avril dernier.

Certes, les autorités ivoiriennes ne s'opposent pas à un retour de l'ancien dictateur frontiste et du leader des " Jeunes Patriotes ", montrant ainsi leur entière disposition à aller à la décrispation du climat sociopolitique et à renforcer la cohésion sociale dans le pays.

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Mais, le tapis rouge ne leur sera pas déroulé... comme certains de leurs proches l'imaginent. Car, disons-le clairement, ces deux hommes, dont la responsabilité est directement engagée dans les violences de la crise postélectorale de 2010-2011, bien qu'ils aient été acquittés par la CPI, sont tout, sauf des héros. D'ailleurs, les victimes et leurs familles espèrent qu'ils paieront, au plan national, pour les crimes commis. Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont donc libres de rentrer en Côte d'Ivoire, mais des honneurs ne leur seront pas rendus. Tout comme il n'y aura ni tambour ni trompette. D'ailleurs, la Côte d'Ivoire qu'ils ont quittée, il y a quelques années, n'est plus celle d'aujourd'hui.

Le pays a beaucoup changé qualitativement, comme en témoigne l'embellie constatée avec les nombreuses infrastructures (routes, ponts, échangeurs, barrages, hôpitaux, écoles, universités, etc.) sorties de terre et une relance remarquable de l'économie ivoirienne (un taux de croissance moyen de 8% de 2012 à 2019). Et surtout, avec l'enracinement de la démocratie marquée par l'organisation de scrutins ouverts et transparents, la Côte d'Ivoire a refermé indéniablement la parenthèse douloureuse de la décennie de règne calamiteux du régime frontiste, qui l'avait plongée dans les profondeurs de l'abîme. C'est donc une Côte d'Ivoire nouvelle, plus moderne dans sa gestion, que Laurent Gbagbo et Blé Goudé découvriront, s'ils se décidaient enfin à rentrer. Un pays dont ils ne sont plus l'épicentre et auquel ils devront désormais s'adapter en jouant de leur agenda politique. Naturellement, il ne leur est pas interdit d'avoir des ambitions...

Toutefois, l'Etat, qui est responsable, ne saurait se laisser émouvoir par une quelconque compromission. Et la justice ivoirienne, dont presque tout le monde vante, ces derniers temps l'indépendance, a pris des décisions qui doivent être appliquées. Cependant, la République saura, au nom de la réconciliation, pardonner à ses enfants, y compris, les plus égarés comme Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, qui ont fait tant de mal à ce pays. Les mécanismes existent pour cela. Il ne reste qu'à les activer.

De la posture des deux ex-prisonniers, tout dépendra. Soit, ils font preuve de modestie et de contrition pour s'inscrire résolument dans la voie du pardon et de la tolérance. Soit, ils considèrent qu'ils n'ont rien fait, parce que " blanchis " par la CPI et les victimes ne leur colleront pas la paix. En attendant, le retour triomphant et triomphal tant annoncé prend du plomb dans l'aile. Au grand dam de leurs " supporters " qui s'interrogent... PAR CHARLES SANGA

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