Afrique: Dette africaine - Le vrai danger vient des créanciers privés occidentaux et non de la Chine

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Une étude de chercheurs des universités de Columbia et d'Oxford bat en brèche les narratifs selon lesquels la Chine piège l'Afrique dans la dette.

L'étude s'appuie sur des chiffres et démontre que les créanciers privés occidentaux sont le principal moteur de l'accumulation des stocks de dettes sur le continent africain depuis 2004. En mai dernier, le chancelier allemand, Olaf Scholz, alertait de nouveau sur le " piège de la dette " chinoise en Afrique, affirmant que " la générosité " chinoise envers ce continent risque de provoquer une crise financière mondiale. Réalisée par Nicolas Lippolis, du Département politique et relations internationales de l'université d'Oxford, et Harry Verhoeven, du Centre d'études de la politique énergétique mondiale à l'université de Columbia, et intitulée " Politique par défaut :

la Chine et la gouvernance mondiale de la dette africaine " (Politics by default: China and the global governance of African debt), une récente étude déconstruit le mythe selon lequel la Chine utilise le " piège de la dette " pour exercer une influence sur ses partenaires africains, voire pour les obliger à céder le contrôle de certains actifs lorsqu'ils ne peuvent plus rembourser.

" Si la Chine est le premier créancier bilatéral du continent, la majeure partie de la dette des pays africains est détenue par des créanciers privés occidentaux ", insistent les chercheurs, dont l'étude se fonde sur des estimations confidentielles de plusieurs institutions financières internationales et sur des données publiquement accessibles.

Elle révèle que les dettes (non encore remboursées) des Etats africains envers la Chine s'élevaient à 78 milliards de dollars à fin 2019, environ 8 % de la dette totale du continent (954 milliards de dollars), et 18 % de la dette extérieure de l'Afrique. La moitié de la dette publique de l'Afrique était émise au niveau national, et l'autre moitié due à des acteurs extérieurs. Sur la dette extérieure, un tiers était dû à des partenaires officiels bilatéraux, un tiers à des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement, etc.), et un tiers sous forme d'euro-obligations libellées dans une devise autre que celle de l'Etat émetteur.

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Selon les données confidentielles des institutions financières internationales, environ la moitié de la dette bilatérale était due à la Chine. Des estimations étayées par les statistiques de la Banque mondiale accessibles au grand public. Elles montrent que la dette extérieure de l'Afrique s'élève à 427 milliards de dollars, et que les stocks de dettes africaines détenues par la Chine représentent 50% de l'encours de la dette bilatérale du continent. Les prêts chinois sont fortement concentrés dans cinq pays africains : l'Angola, l'Ethiopie, le Kenya, le Nigeria et la Zambie.

" L'augmentation de la dette africaine due aux prêts chinois est dérisoire par rapport au fardeau de la dette créé par les créanciers privés occidentaux au cours de la dernière décennie. Ce qui empêche les dirigeants africains de dormir, ce n'est pas le piège de la dette chinoise, mais les caprices du marché obligataire ", concluent les auteurs.

Plutôt une rivalité stratégique et idéologique qu'un reflet des réalités

Les narratifs selon lesquels la Chine piège les pays africains dans la dette sont le résultat d'une " rivalité stratégique et idéologique " entre elle et les Etats-Unis plutôt qu'un reflet des réalités ou des perspectives africaines. " Tous les efforts en matière d'allègement ou d'abandon de la dette de l'Afrique sont demandés aux créanciers officiels. Ce qui constitue un ciblage très clair de la Chine. Nous pensons que cela relève davantage d'une compétition pour le pouvoir et l'influence entre les Etats-Unis et la Chine plutôt que d'un engagement à fournir ce dont les Etats africains ont réellement besoin ", a souligné Harry Verhoeven.

Par ailleurs, l'étude note un patinage sur les discussions liées à l'allègement de la dette des pays les plus fragiles, notamment à cause du poids croissant des créanciers privés (fonds d'investissement, banques commerciales, fonds spéculatifs), voire les géants des matières premières, citant Glencore qui détient plus du quart de la dette du Tchad.

Face aux ravages de la covid-19, le G20, le FMI et la Banque mondiale se sont accordés sur une initiative de suspension du service de la dette (DSSI), en faveur d'une quarantaine de pays, qui a pris fin le 31 décembre 2021. Les pays du G20 ont élaboré un " cadre commun pour les traitements de la dette au-delà de l'ISSD " qui prévoit un engagement à " plus de transparence " et à une " comparabilité de traitement ". Mais rien n'oblige les créanciers privés qui sont les moins enclins à abandonner leurs dettes.

Ces acteurs privés attendent qu'une part de la dette publique soit annulée, de façon que les marges de manœuvre budgétaires ainsi dégagées leur permettent d'être remboursés. " Contrairement aux narratifs sur le piège de la dette tendu par la Chine à l'Afrique, si une vague de défauts de paiement des Etats africains se matérialise dans un avenir proche, comme le craignent les responsables des institutions financières internationales depuis au moins 2015, elle sera davantage le résultat des manœuvres et de l'intransigeance du secteur privé que de manigances chinoises ", conclut l'étude.

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