Congo-Kinshasa: Isabelle Kabatu - " Il faut que justice soit faite pour donner à la voix congolaise la place qu'elle mérite dans l'opéra "

interview

Engagée à faire bouger les lignes, estimant injuste " de refuser au Congo l'accès au dialogue mondial dans l'opéra ", la soprano belge d'origine congolaise, Isabelle Kabatu, outille les artistes locaux à travers une master class organisée du 22 au 27 juin, au Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshsa. Le but ultime du projet, a-t-elle dit au "Courrier de Kinshasa", c'est de mettre à nu le talent indéniable des jeunes congolais quitte à convaincre les autorités de s'investir à créer une école qui les mène à l'excellence.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Chanteuse d'opéra, vous avez une belle carrière internationale, Kinshasa aimerait mieux vous connaître...

Isabelle Kabatu (I.K.) : Je suis soprano mais avant tout, j'ai un père congolais et une mère belge. Donc, j'appartiens vraiment aux deux cultures qui font l'histoire du Congo et j'aime chaque partie de façon égale. J'ai grandi dans un milieu qui m'a permis d'apprendre la musique très tôt et j'ai choisi de devenir une chanteuse d'opéra. Mes qualités principales, je les dois à un héritage africain : la couleur de ma voix, mon tempérament et mon courage. Je suis maintenant ici pour retourner aux sources, c'est aussi une forme d'expression de gratitude envers ce pays qui m'a donné la plus belle partie de moi-même.

L.C.K. : Ce retour aux sources, en quoi consiste-t-il ?

I.K. : J'ai décidé de revenir, suite à un appel que j'ai reçu. Il y a de nombreuses très belles voix dans notre pays mais elles n'ont pas d'espace d'expression ni de formation. Elles se sont tournées vers moi avec une requête : " Tantine Isabelle, nous voulons chanter comme toi ". Cela m'a touchée et m'a appelée à revenir ici pour monter un projet au profit de tous ces jeunes qui voudraient arriver au dialogue mondial, s'exprimer dans l'opéra en étant Congolais. Nous avons regroupé une soixantaine d'artistes l'année dernière pour créer un premier opéra, "La flûte enchantée de Mozart". Nous l'avons adapté au Congo avec des dialogues en lingala et l'intervention d'une percussion africaine. C'est un mariage avec la culture européenne qui s'intègre parfaitement à l'histoire du Congo. Les Congolais ont donné leur touche à cet opéra classique, ils l'ont aimé et intégré. Cela a si bien donné que nous sommes revenus afin de créer un deuxième opéra pour le public qui nous a réclamés et ces jeunes qui veulent continuer cette belle expérience professionnelle. Nous montons maintenant "Jules César"de Haendel. Nous avons commencé des master class où nous formons déjà tout le casting pour présenter ce nouvel opéra ici à Kinshasa, au mois de décembre.

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L.C.K. : Pourriez-vous nous parler de la manière dont vous procédez dans ces master class ?

I.K. : Nous avons apporté des partitions aux jeunes qui n'y ont pas accès car ils ne peuvent pas réaliser leur rêve de chanter un air d'opéra. Stefano Giuliani, metteur en scène italien, apprend la phonétique parfaite à tous ces jeunes qui n'ont jamais parlé italien alors qu'il faut chanter l'opéra d'Haendel dans cette langue. Il y a aussi un représentant de ce projet, un tout jeune pianiste magnifique qui rêvait d'accompagner un opéra. Il participe à une entreprise de grand souffle, de grande envergure. Nous sommes très fiers d'avoir tous ces jeunes talents congolais qui croient en ce projet.

L.C.K. : Combien d'artistes participent à ce nouveau projet d'opéra et comment s'organisent les choses ?

I.K. : Il y a une vingtaine de solistes, il y aura un chœur d'une quarantaine de personnes et un orchestre classique de vingt-cinq musiciens. Des musiciens traditionnels vont également intervenir dans "Jules César" de Haendel, toujours dans cet esprit de dialogue entre la culture africaine, qui reste au premier plan. Elle est la terre d'accueil mais aussi une terre d'expression. Nous voulons créer une place, intégrer la couleur africaine dans la musique classique.

L.C.K. : Qu'envisagez-vous sur le long terme avec ce projet qui, on le voit, vous tient bien à cœur ?

I.K. : À travers ce projet, nous plantons une petite graine à partir du désir des jeunes talents du Congo de chanter de l'opéra. Comme ils ont le talent pour le faire, notre vœu est que cette petite graine grandisse, devienne un grand arbre. Nous voudrions créer une école spécialisée dans l'opéra avec des cours réguliers de chants, de musique où ils apprennent à lire une partition, parce que beaucoup sont amateurs. Ils ont une magnifique voix certes, mais ne savent pas lire la musique. Ce serait triste d'abandonner tous ces talents naturels sans leur tendre la main vers l'excellence alors qu'ils en rêvent. Nous voulons montrer les talents existants pour pouvoir demander aux autorités des financements afin de créer une école d'opéra où monter des spectacles, avoir une bibliothèque musicale de partitions car il n'en existe pas. Alors que nous sommes peut-être le pays le plus riche du monde, nous n'avons aucune plateforme pour accéder à l'opéra qui est un art majeur dans la culture mondiale. Ce n'est pas juste de refuser au Congo l'accès au dialogue mondial dans l'opéra. Il faut que justice soit faite : que la place de la voix congolaise soit aussi dans l'opéra.

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