Sénégal: Stéréo Africa Festival - Une tribune pour célébrer les musiques alternatives

26 Juin 2022

Un panel polysémique a donné le ton, mercredi dernier, au nouveau Stereo Africa Festival (du 23 au 25 juin) qui entend servir de tribune artistique et structurelle aux musiques alternatives. C'était l'occasion d'interroger les problématiques des festivals et l'évolution de la musique au Sénégal.

Le Sénégal a de tout temps connu un bouillonnement culturel. Malgré une définition politique défaillante et un récurrent défaut d'actualisation, l'expression artistique a toujours résisté. Et partout au Sénégal. " Au Goethe Institute, on a mené le projet " Les Voix de la terre " qui, au départ, devait permettre le soutien et l'appui aux festivals locaux. Le Covid a eu raison de nous, et nous avons finalement choisi d'appuyer la créativité artistique des artistes locaux. Nous avons recensé 135 festivals dans tout le Sénégal, pour le spectacle vivant. Il y a une vraie culture du festival au Sénégal, surtout dans tout le sud du pays. Mais la problématique est foncièrement économique et logistique ", atteste Camille Lhommeau, manager et bookeuse. Son témoignage renseigne clairement sur la situation décrite au début de cet article.

Selon elle, il y a encore une malheureuse méprise de la dynamique des festivals et, surtout, de l'industrie créative. Le rapport 2022 sur le commerce en Afrique, publié lors des Assemblées annuelles d'Afreximbank (15-18 juin, au Caire, en Egypte), a placé les industries culturelles et créatives parmi celles qui connaissent les croissances les plus rapides au monde. Elles génèrent 3% du Pib mondial, soit 2250 milliards de dollars américains et emploient plus de 30 millions de personnes. Et ceci, malgré une attention fort limitée. Pour ainsi tirer plein profit du secteur culturel et artistique, il faut impérativement promouvoir cette notion d'industrie. Toutefois, elle exige une compréhension et adhésion populaire. À en croire Camille Lhommeau, ce n'est pas encore gagné avec certains écueils.

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" L'enjeu est clairement économique. Mais comment réussir si les populations refusent déjà de payer l'accès aux évènements ou d'acheter les œuvres ? On est toujours obligés de par le sponsoring et le mécénat. Or les sponsors et les mécènes sont encore très absents au Sénégal. Il faut vite mener le plaidoyer, d'autant plus que l'autorité ne peut pas tout faire ", observe Camille Lhommeau. Pour Moustapha Ndiaye, la dispersion des artistes et leur égo constituent un écueil non moins important dans la progression du secteur. " Les artistes ne se rencontrent pas sur l'essentiel. Ils ne sont pas unis et ne font pas bloc pour faire explicitement connaître leurs besoins et les impératifs pour leur développement. Ce sont eux-mêmes qui doivent réfléchir leur sujet et constituer une force de propositions stratégique ", martèle le Président de l'Association des managers et agents d'artistes (Ama). Il cite l'exemple récent des membres de l'association des techniciens du Sénégal qui ont permis la réussite de l'organisation de la fête de musique en mettant gracieusement à disposition du comité le matériel et l'expertise nécessaires.

À cause des produits non diversifiés

C'est justement dans l'idée de fédérer les intelligences que l'artiste-musicien et promoteur du label Stereo Africa 432 a initié le Stereo Africa Festival. Selon Moustapha Ndiaye, il s'agit de penser le secteur et de ne pas se cramponner aux acquis et aux évidences. Ce nouveau festival (23-25 juin) sert essentiellement de tribune aux musiques alternatives. Une autre manière de chanter la diversité, surtout encore à côté de la mainmise du mbalax. Pape Armand Boye, musicien et directeur de LaBoutik Studio, préfère d'ailleurs parler de " dictature du mbalax ". Il s'est désolé que des musiciens du Sénégal, dont Yoro Ndiaye (parmi les panélistes), soient obligés " de faire du mbalax pour vivre " de leur art. Pape Armand trouve que c'est aberrant.

" À Dakar, il y a une grande scène de reggae. Il y a des scènes formidables de folk, d'afrobeats, etc., mais on n'entend que des percussions à longueur de journée. C'est injuste. Le mbalax ne me parle pas et ne m'a jamais parlé, je l'assume. Il ne parle pas à mes émotions. Ce n'est pas un rejet, mais j'ai grandi en écoutant autre chose. Ma lecture est ailleurs. Quand il a fallu aimer le mbalax, j'étais passé à autre part. C'était plus par les textes du Super Etoile ou l'engagement social du Super Diamono de l'époque ", explique Pape Armand Boye, qui a connu ses débuts en 1990, par l'acoustique, avec le groupe " Tama " de Rufisque. Il se souvient d'ailleurs qu'à l'époque, ces musiques variétés étaient méprisées quoiqu'avec d'excellents musiciens comme Seydina Insa Wade, Soleya Mama (Ousmane Sow Huchard ... ). Il raconte " une période extrêmement difficile où les labels occidentaux " qui venaient une ou deux fois la décennie constituaient l'espoir. Il y explique les raisons de son exil en Occident, par ailleurs.

Ce diktat du mbalax a, à en croire les intervenants, longtemps porté préjudice au sous-secteur de la musique et son développement. C'était eux ou les groupes qui aveint déjà acquis une grande notoriété qui occupaient " la Rts et Le Soleil " qui validaient seuls les succès. Les producteurs aussi s'y mettaient. " Avant l'avènement de Talla Diagne, il y avait des producteurs comme Robert Lahoud qui étaient très exigeants dans la musique. Mais plusieurs artistes, sinon la majorité, étaient contraints par cette rigueur et préféraient aller voir Talla Diagne pour avoir quelque chose rapidement. Aujourd'hui, les gens en sont arrivés à institutionnaliser le mbalax, or eux-mêmes ne le comprennent pas ", souligne Sahad Sarr, qui précise, en passant, que le mbalax est " un rythme de plusieurs compositions et non une musique ". Le jeune frère de Felwine Sarr considère que la responsabilité est partagée entre tous les acteurs et qu'il faut cesser au plus vite de banaliser l'écoute de la médiocrité. Il précise, toutefois, ne pas être fermé au mbalax ni à quelque forme musicale, en tant qu'artiste-musicien.

Haro sur le mbalax et certains médias !

Pape Armand Boye estime également qu'il faut beaucoup plus de producteurs sensibles aux autres formes de musique, et l'organisation de plus de festivals pour mettre la lumière sur elle. " Et puis le mbalax est de culture wolof, or il y a autant de cultures que de communautés au Sénégal. Il faut sortir ces spécificités. C'est d'ailleurs pourquoi je suis revenu, avec l'érection de mon studio (LaBoutik), pour participer à bousculer cette hégémonie. Il faut qu'on entende ce qui se joue au Fouta, en Casamance, et partout ailleurs au Sénégal ", plaide le musicien et producteur. Selon lui, la faute de l'évolution incombe sous un autre angle aux pionniers. Il donne l'exemple des acteurs hollywoodiens qui se muent en producteurs après les premiers succès et provoquent la relève.

" Ici, ceux qui ont réussi en premier ne sont pas devenus de vrais labels. Aujourd'hui, entre Youssou Ndour, Ismaël Lô et Baaba Maal, le Sénégal aurait dû avoir une vraie machine pour une très bonne relève. Nous avons de grandes réussites par rapport à beaucoup de pays, mais nous n'en avons pas assez profité. Mamadou Konté d'Africa Fête, par exemple, avait montré une voie exceptionnelle qui n'a malheureusement pas été suivie ", regrette Pape Armand Boye. Ce dernier se réjouit que le Sénégal connaisse tout de même des artistes qui ont résisté avec stoïcisme pour se maintenir dans leurs convictions techniques, comme Robert Lahoud, et des acteurs comme Sahad Sarr qui ont compris qu'il faut des espaces d'expressions et de soutien aux musiques alternatives.

Il reste maintenant, comme le pense le manager Moustapha Ndiaye, l'accompagnement des médias, et surtout de la télévision. " Je pense que pour la presse écrite, le problème se pose beaucoup moins. Mais il faut reconnaitre que les animateurs radio et Tv ont une forte sensibilité mbalax. Et le succès d'un artiste au Sénégal, il faut l'avouer, c'est créditer par le passage régulier à la télévision. Il faut que les médias donnent de l'espace à ces catégories ", dit-il au cours de cette rencontre où aucun média télévisé n'était justement présent. Dr Alassane Mbengue, chercheur à l'Institut Pasteur de Dakar qui se sert de l'art pour passer sa science, estime qu'il faut aller plus loin et semer les graines depuis les premières terres. " Il faut créer des artistes, et ça commence dans les écoles. C'est dommage aujourd'hui que dans les établissements scolaires, les arts et la culture soient inexistants. Pire, même les directeurs et proviseurs n'y comprennent pas grand-chose. Or, l'école doit être à l'école de la créativité, mieux que quoi ou qui que ce soit. Toutes les matières en ont besoin, y compris même la science qui est de notoriété exacte ", suggère le scientifique.

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