Maroc: Graves débordements au seuil de Mellilia - Pas de solution à l'horizon tant que la loi sur l'asile ne voit pas le jour

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Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l'Union africaine (photo d'archives).

Des morts, des blessés et des arrestations par dizaines

Triste journée dans les annales de la migration irrégulière à Nador. 27 migrants subsahariens sont morts lors d'une violente tentative d'entrée vendredi dernier de près de 2.000 d'entre eux dans le préside occupé de Mellilia. Des chiffres officiels non encore définitifs ont également fait état de 76 blessés dont 13 dans un état grave, parmi les migrants, et de 140 membres du côté des forces de l'ordre, dont 5 cas graves. Les victimes ont trouvé la mort "dans des bousculades et en chutant de la clôture de fer" séparant Mellilia du reste du territoire marocain, lors d'"un assaut marqué par l'usage de méthodes très violentes de la part des migrants".

Cocotte-minute

"La situation est aujourd'hui calme et la vie semble reprendre son cours normal. Il ne reste des événements de vendredi dernier que les dizaines de cadavres de migrants entassés dans la morgue et les centaines de blessés(migrants et éléments des forces de l'ordre) dont 15 cas graves. Les migrants arrêtés seront déférés aujourd'hui devant le tribunal probablement pour migration irrégulière et violence contre les forces de l'ordre ", nous a indiqué Omar Naji, chargé du dossier de la migration et de l'asile à l'AMDH section-Nador.

Et de préciser que " c'est la première fois qu'il y a tant de morts dans les rangs des migrants. D'habitude, on dénombre un cas ou deux, aujourd'hui, le nombre des cas s'élève à 27 décès. Autre nouveauté est l'ampleur de la violence émanant des migrants armés de pierres et de lames. Les migrants n'hésitent plus à s'attaquer directement aux forces de l'ordre. Ce qui en dit long sur la gravité de la situation sur place". Pour notre interlocuteur, la vraie question qui se pose aujourd'hui, c'est de savoir pourquoi la situation a atteint un tel niveau de violence.

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" Pour nous, et en tant qu'observateurs de terrain, nous pensons que la situation sur place ressemble à une cocotte-minute. En fait, la pression a été maintenue jusqu'au bout sur les migrants qui ont fini par faire exploser leur colère. Il y a également la mauvaise gestion de ce dossier au niveau local de la part des pouvoirs publics qui ont multiplié les faux pas ", a-t-il observé.

Dérive

De son côté, Said Machak, enseignant-chercheur à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, soutient que ces tentatives violentes de franchissement des barrières traduisent deux faits. D'abord, le désespoir et l'état de démoralisation dans lesquels vivent les migrants irréguliers. Ensuite, un changement qualitatif dans le mode opérateur relatif au franchissement de la clôture séparant le préside occupé de Mellilia du reste du Maroc.

" En effet, ces candidats à la migration sont passés d'un schéma qui consiste à saisir les opportunités disponibles sur le terrain (jour de fin d'année, Aïd El Kibir, crise politique entre le Maroc et l'Espagne... ) à une stratégie de pression sur les forces de l'ordre ", nous a-t-il affirmé. Pour lui, ces évènements révèlent également l'absence de mesures proactives et volontaristes. "En effet, les migrants irréguliers sur place ne sont ni recensés ni identifiés alors que des données claires et fiables sur ces personnes permettraient une différenciation nette entre les personnes ayant besoin d'une protection internationale et celles qui immigrent pour des raisons économiques ", a-t-il noté.

Et de poursuivre :"Cette différenciation va permettre au moins de solutionner une partie du problème puisqu'elle va permettre d'accorder l'asile à ceux qui répondent aux critères nationaux en la matière en les encourageant à déposer leurs dossiers auprès des autorités compétentes sans risquer leur vie et leur intégrité physique. Du coup, la promulgation de la loi sur l'asile (toujours au tiroir du SGG) est aujourd'hui une nécessité au Maroc ".

Loi sur l'asile

A ce propos, il estime que lesdits événements remettent au goût du jour la question de l'asile au Maroc et démontrent que le bilan de la stratégie nationale d'immigration et d'asile et des mesures prises en la matière reste limité voire insuffisant notamment au niveau de la région du Nador. Et qu'en est-il du rôle du HCR dans ce débat sur l'asile et sur ce qui se passe au Nord du Maroc ? " Cette instance onusienne a un rôle très limité vu que ses bureaux sont installés à Rabat loin des points d'entrée des migrants et que son réseau est très limité sur le territoire national", nous a répondu notre interlocuteur.

Et de préciser :" Cependant, et même avec plus de moyens, le HCR ne peut pas résoudre ce problème puisqu'il s'agit d'une problématique étatique et le HCR ne peut pas se mettre à la place de l'Etat marocain ".

Le tout sécuritaire

Les événements de vendredi dernier et ceux du samedi 18 juin sonneront-ils la fin de la migration dans la région ? " Absolument pas, rétorque Said Machak. Au vu du contexte international actuel marqué parla guerre en mer Noire, les séquelles du Covid-19, la crise économique, la cherté de la vie et autres, il faut s'attendre plutôt à l'intensification du taux des flux des migrants.

En fait, cet état des lieux va certainement approfondir les facteurs de répulsion (guerre, pauvreté, vulnérabilité sociale, famine,... ) qui animent les déplacements des individus". Des propos que confirme un récent rapport de la commission européenne indiquant que l'invasion russe de l'Ukraine pourrait entraîner une augmentation des vagues d'immigrants irréguliers vers l'Union européenne (UE) en provenance de l'Afrique du Nord. Bruxelles prévient que le risque croissant d'une "famine catastrophique" dans les pays d'Afrique du Nord peut déclencher "de nouvelles vagues de protestation sociale, de déplacement interne et de migration vers les régions voisines et, éventuellement, vers l'UE".

Le texte, qui n'a pas encore été rendu public mais qui a été repris par le journal El País, a été préparé par la Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure, dirigé parle vice-président de la Commission, Josep Borrell.Il place l'Espagne et l'Italie comme étant les premiers pays touchés par cet exode massif à travers la Méditerranée. En ce sens, le rapport désigne le Maghreb et le Sahel comme étant les zones les plus touchées par la crise alimentaire et énergétique causée par l'invasion de l'Ukraine.

Il semble donc inévitable que l'Espagne et l'Italie soient les premières destinations de l'immigration. Dans ces régions, l'impact de la guerre "est déjà très important" et s'ajoute à celui qui existait déjà en raison des dégâts inégalés de la pandémie. Ainsi, et malgré le fait que l'UE ait déjà commencé à distribuer une aide d'urgence à ces pays - plus de 225 millions d'euros ont été alloués à l'Egypte, au Liban, à la Libye, à la Syrie, à la Tunisie, au Maroc et à la Palestine par le biais du soi-disant programme alimentation et résilience, détaille la Commission - " la menace de famine grandit dans les rangs des couches les plus pauvres de la population ".

Et, par conséquent, il y a une forte possibilité de fuite vers les pays voisins et l'UE à la recherche de meilleures conditions alimentaires. Said Machak estime, par ailleurs, que l'approche sécuritaire ne peut pas résoudre ce problème vu son coût matériel et symbolique au niveau de l'image du pays et de son budget. A noter également que cette approche sécuritaire dépasse les frontières d'un seul Etat.

" Le Maroc ne peut pas trouver seul une issuse à ce phénomène sans une coopération multipartite avec ses voisins immédiats (Espagne, UE, Algérie, Mauritanie... ). Une partie de la solution passe également par des investissements importants dans le développement des pays de départ afin de diminuer l'intensité des facteurs de répulsion ", a-t-il conclu.

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