Sénégal: Marouba Fall, Auteur - " Je m'inspire de ma langue maternelle pour enrichir mon écriture "

4 Juillet 2022
interview

L'écrivain Marouba Fall a présenté, à Keur Birago, la Maison des écrivains du Sénégal son tout nouveau livre intitulé " Faracini " publié chez Ruba Éditions. " Faracini " est un conte en deux parties : Édalie suivie de Faracini, fils de l'Afrique immortelle. Marouba Fall estime que lire est devenu indispensable pour se construire soi-même. Toutefois, il demeure convaincu que pour lire, il faut des écrits où tout être humain peut se regarder et se reconnaître comme dans un miroir.

En tant qu'écrivain de renom, c'est la toute première fois que vous organisez une séance de dédicace d'un de vos livres à Keur Birago. Pourquoi ?

C'est vrai que je préférais aller à la rencontre du public, c'est-à-dire des potentiels lecteurs, là où je pouvais le trouver : dans les collèges, dans les lycées, les universités, les espaces-jeunes et les centres culturels, plutôt que de l'attendre ou de l'inviter à une rencontre dans un espace difficilement accessible à tout le monde, compte tenu d'une mobilité urbaine peu satisfaisante. En outre, à Keur Birago, je suis chez moi, parmi des confrères qui ne me jugent pas objectivement, mais avec bienveillance. C'est pourquoi j'ai commencé par m'éloigner pour me découvrir. Maintenant que je sais ce que pèse plus ou moins sûrement mon œuvre, je reviens au bercail partager mes expériences. Je suis ainsi comme le héros d'un conte initiatique qui sort de l'espace familier, qui sort de lui-même, pour apprendre le monde et qui retourne parmi les siens, riche de ce qu'il a glané tout au long de sa quête.

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Vous êtes réputé être un auteur prolifique : roman, poésie, théâtre. Qu'est-ce qui a motivé cet intérêt pour le conte ?

Lorsqu'on évoque le nombre de mes ouvrages publiés, j'ai envie d'exprimer des craintes et des réserves, parce que je n'aimerais qu'on suppose que je fasse une sorte de course contre la montre, que je veux publier pour publier. Je voudrais assurer mes amis comme les critiques littéraires, singulièrement mes fidèles lecteurs que je n'ai pas conscience de beaucoup écrire. Si la quantité me préoccupait, à ce jour, j'aurais pondu une centaine de navets. Heureusement, j'écris sous inspiration. Jusqu'ici, je n'ai écrit que des œuvres longuement mûries. Les unes sont connues du grand public comme celles qui sont inscrites au programme officiel d'enseignement du français.

D'ailleurs, je considère que les œuvres que je préfère, en ma qualité de professeur de français et de potentiel critique littéraire, ne sont pas encore découvertes. Comme le professeur Amadou Ly, qui a presque tout lu de moi, l'a affirmé, je ne suis pas l'auteur d'un genre ou d'un livre. Parce que je prétends maîtriser l'esthétique des genres, j'ai écrit quatre recueils de poèmes dont le premier semble être la préférence des jeunes générations : " Cri d'un assoiffé de Soleil " (Dakar, Nouvelles éditions africaines, 1984).

J'ai écrit six romans. Beaucoup de lecteurs trouvent " Entre Dieu et Satan " (Dakar, Neas, 2005/2021) plus riche que " La collégienne ". J'ai commis six pièces de théâtre parmi lesquelles " Chaka ou le roi visionnaire " que Seyba Traoré a mise en scène, et qui a remporté le Prix de la meilleure technique théâtrale aux Jtc de Carthage, en Tunisie, en 1991. De plus en plus, je livre mes impressions sur la société, sur la politique et sur la littérature, à travers des essais regroupés sous le titre " Lis Tes Ratures " qui en sont à leur troisième tome. Pourquoi le conte, maintenant ?

Quand, en 2012, j'ai publié en wolof " Yóbbalu ndaw ", recueil de courts récits apprécié par mon ami et confrère le Colonel Moumar Guèye, j'ai découvert la force, je veux dire l'efficacité, de la littérature traditionnelle grâce à sa langue d'expression comprise par l'écrasante majorité de nos concitoyens, grâce surtout à son langage fleuri de poèmes, de proverbes et d'anecdotes. J'ai alors voulu transférer cette efficacité à une œuvre écrite en français. Ainsi, en 2017, ai-je produit " Édalie " (Thiès, Fama éditions) que j'ai présenté comme un conte, mais implicitement comme un Texte d'un genre non identifié (Tgni). En effet, j'entame l'histoire avec la formule conventionnelle qui consacre les fables : Il était une fois... En 2022, j'ai jugé opportun de compléter la narration en mettant en situation le prince Faracini.

Dites-nous-en un peu plus sur le conte " Faracini " ...

Volontiers. " Faracini ", comme indiqué sur la première de couverture est un conte d'aujourd'hui pour les enfants de demain. Il est composé de deux parties : la première est intitulée Édalie (pp 9-104), la seconde Faracini, fils de l'Afrique immortelle (pp 107-204). Édalie, c'est le surnom que des étrangers venus de l'au-delà des mers auraient donné à Ndey Rubba, la fille que le roi du Royaume-Sans-Nom prétend avoir, et dont il n'accorderait la main qu'au jeune homme le plus fort, le plus courageux et le plus intelligent de sa génération. Pour dénicher l'oiseau rare, des joutes sont ouvertes : championnat de lutte traditionnelle, énigme à décrypter et casse-tête à reconstituer, enfin entrée dans une forêt mystérieuse pour y trouver le nom que devra porter l'Empire des Promesses.

Trois garçons quittent leur hameau natal pour aller à la conquête de la belle princesse annoncée. Mais lorsque Hamo, l'un d'entre eux est déclaré victorieux, au lieu de la main d'une jolie princesse, c'est la statuette en or massif d'une odalisque qu'il reçoit. Leçon : le roi et son premier conseiller voulaient trouver des conseillers aptes et entreprenants pour Faracini à qui le roi vieillissant voulait passer le flambeau. Car les promesses de ruptures incontournables et d'élévation attendues par les populations de l'Empire qui vient de trouver son nom prémonitoire : Quifera (Qui fera ?), ce n'est pas le vieil empereur Amul Moroom Faal qui les réalisera, malgré sa bonne volonté, mais Faracini entouré de vieux conseillés probes et visionnaires et de jeunes collaborateurs disponibles, désintéressés, déterminés et sainement ambitieux, devant agir (faire et construire) plutôt que servir de beaux discours au peuple.

Les noms que vous donnez à vos personnages ne sont pas familiers. Où les trouvez-vous ? Édalie, Faracini, Tibb Bu Rëy, Yaakaar Gasi et j'en passe.

Dans mes ouvrages, rien n'est gratuit. C'est au critique littéraire et au lecteur qui aime ce que je fais de jouer au jeu que je leur propose, car comme je le rappelle souvent, pour moi, la littérature n'est pas une affaire de faits divers tumultueux ou rocambolesques, dantesques ou surréels, à raconter ; c'est un jeu passionnant avec la langue, avec les mots. Le professeur Amadou Ly se demande où j'ai dégoté le néologisme " Verbivore ". C'est ma création. Tout comme j'ai créé " Lis Tes Ratures ". Mon conte est plein de jeux avec les lettres de l'alphabet dont les combinaisons m'ont permis de créer des acronymes significatifs comme dans " Adja, militante du G.r.a.s " (sigle renvoyant à l'adjectif gras), des anagrammes cachant des idées, des noms de lieux ou de personnes. Essayez de savoir ce qu'il y a derrière Édalie, Faracini, Quifera ou Aneraneciss. Dans " La collégienne ", l'élève Magumsu Bâ préfigure l'adulte de demain, en wolof " magumsuba ", tout comme Monsieur Missal, le doyen des professeurs incarne l'enseignant modèle (misaal, en wolof). Je m'inspire beaucoup de ma langue maternelle pour enrichir et renouveler mon écriture littéraire.

Vous avez dit que vous avez en chantier un autre livre. Peut-on connaître son titre et son sujet ?

J'ai exactement dit que je porte en moi, depuis plus d'une quinzaine d'années, un ouvrage dont le titre s'impose déjà, titre que j'ai déjà consigné dans mon roman-poème " Blessure d'amour " (Dakar, L'Harmattan-Sénégal, 2020). Il s'agit de " Le monde est plein de faux couples ". J'ai évoqué ce prochain livre dont j'ai le titre, imaginé les situations essentielles, mais que je ne peux pas encore écrire, faute d'inspiration, l'inspiration n'étant pas, pour moi, l'ensemble des éléments qui constituent le fond d'une œuvre, mais le feu vert, le déclic, mieux l'injonction qui nous arrache, au cœur de la nuit, de notre lit, pour nous renvoyer à notre table d'écriture. J'ai commencé timidement à dérouler l'histoire de cet ouvrage dont je pense qu'il sera un roman ou un récit qui empruntera beaucoup à la littérature traditionnelle.

En ces temps troublés, quel message lancez-vous à la jeunesse ?

Je voudrais encourager les lecteurs assidus, surtout les élèves et les étudiants. Lire, c'est apprendre à maîtriser le bon usage d'une langue ; c'est s'informer, se prémunir contre l'ignorance et l'obscurantisme ; c'est surtout voyager à travers le temps et l'espace, c'est partager les expériences de femmes et d'hommes qui ont vécu des situations inédites et vu des ailleurs qui les ont enrichis et rendus plus humains. C'est pourquoi j'ai hâte de découvrir le texte annoncé par le professeur Amadou Ly sous le titre, si je ne me trompe : " Marouba Fall ou l'humanisme d'un Verbivore ". Lire, c'est devenu indispensable pour se construire soi-même, mais pour lire, il faut qu'il y ait des écrits qui ne s'adressent pas à des hommes particuliers, à des groupes humains spécifiques, mais des écrits où tout être humain peut se regarder et se reconnaître comme dans un miroir, des écrits à l'intention de l'Homme intégral, sans race ni religion, sans nationalité ni frontière. Je voudrais terminer en félicitant et en encourageant le cénacle des jeunes écrivains du Sénégal qui a organisé un somptueux dîner de gala à l'hôtel Pullman pour fêter des écrivains reconnus et faire découvrir d'autres qui rejoignent le peloton de proue des femmes et des hommes qui font la fierté de la littérature sénégalaise.

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