Sans surprise, les forces politiques soudanaises ont rejeté ce mardi 5 juillet la proposition du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhan, qui avait annoncé la veille ouvrir la voie aux forces civiles pour former un gouvernement, au terme d'un processus de dialogue auquel l'armée ne participerait pas.
Réunies une bonne partie de la nuit et de la matinée, les Forces de la liberté et du changement ont fini par réagir mardi après-midi aux annonces du chef de l'armée. Pour elles, il s'agit d'un non-événement. Pire, " d'une trahison ", selon un cadre de la coalition, une diversion " tendant à faire croire que l'armée rentre dans ses casernes ", selon un autre.
La coordination des Comités de résistance de la capitale a pour sa part publié un communiqué virulent et menaçant contre le général et ses alliés, leur promettant de les traduire en justice. Le Parti communiste n'a pas officiellement réagi, mais un responsable a fait savoir qu'il ne prenait pas les annonces au sérieux.
Plusieurs observateurs ont d'ailleurs souligné l'ambiguïté de l'allocution du général, promettant par exemple la création d'un " Conseil militaire suprême ", qui serait en charge de la défense nationale, mais aussi de la Banque centrale et de la diplomatie.
L'opposition civile, unanimement, a donc appelé les Soudanais à maintenir la pression sur les putschistes. Notamment à travers des sit-in, qui se sont reformés dans la capitale, après avoir été dispersés par la violence dans la nuit. Cela aussi avec des grèves qui ont commencé ce mardi, particulièrement chez les enseignants et les médecins.
Une position de méfiance et un appel qu'a suivi Asmaa Muhammad Al-Amin. Selon cette porte-parole du comité de résistance al-Kalakla al-Quteia à Khartoum, les soudanais ne veulent ni de l'armée ni d'Abdel Fattah al-Burhan au pouvoir.
Ce qu'a dit al-Burhan hier n'a aucune importance pour nous. Nous avons une seule demande et elle est claire : c'est qu'il sorte définitivement du paysage politique. Al-Burhan ne veut pas quitter le pouvoir, mais il souhaite qu'un gouvernement civil prenne le relais le temps que la période transition arrive à son terme, pour qu'il puisse organiser des élections et faire en sorte d'être élu. Mais avant le coup d'État nous avions déjà un gouvernement civil avec des personnes compétentes en poste. En tant comités de résistance notre voix compte aujourd'hui. Nous sommes désormais tous réunis et nous avons rédigé une charte, c'est la charte de l'établissement du pouvoir populaire. L'un de ses piliers est de dire non à toute négociation, directe ou indirecte, avec les putschistes. L'autre pilier est de continuer à résister par tous les moyens pacifiques dont nous disposons. C'est pourquoi nous maintenons les manifestations et les sit-in jusqu'à ce que le pouvoir soit déchu.
Asmaa Reax Muhammad Al-Amin, porte-parole d'uncomité de résistance, n'accorde aucun crédit aux déclarations d'Al-Burhan
Nadia Ben Mahfoudh
Pour la chercheuse Kholood Khair, directrice de l'institut Confluence Advisory, " l'annonce du général était destinée à donner l'impression que les militaires étaient prêts à transférer le pouvoir aux civils ", mais Abdel Fattah al-Burhan aurait pu continuer à gouverner le Soudan depuis le " Conseil de sécurité et de défense " aux " pouvoirs illimités et mal définis ".
L'annonce du général était destinée à donner l'impression que les militaires étaient prêts à transférer le pouvoir aux civils. Mais ces mêmes militaires ont passé des mois à créer des divisions au sein des forces civiles, au point qu'ils sont tout à fait conscients de la difficulté pour leurs adversaires de s'entendre rapidement sur la composition d'un gouvernement civil. En réalité, la junte militaire n'est pas disposée à abandonner les leviers du pouvoir à des civils. Ils prétendent continuer à contrôler la Banque centrale, une partie de la politique étrangère et à arbitrer les affaires de " souveraineté ", ce qui veut tout et rien dire. On dirait bien que le général al-Burhan essaye surtout de réorganiser les forces soutenant son coup d'Etat, et en particulier l'armée et les Forces de soutien rapide, au sein d'un Conseil de sécurité et de défense qui aurait des pouvoirs illimités et mal définis, lui permettant de continuer à gouverner le Soudan depuis cette nouvelle entité politique.
La "junte n'est pas disposée à abandonner les leviers du pouvoir" aux civils, selon Kholood Khair, directrice de l'institut Confluence Advisory
Léonard Vincent
Parallèlement, le général Abdel Fattah al-Burhan se trouvait à Nairobi ce mardi pour un sommet extraordinaire de l'organisation régionale Igad, où il a notamment rencontré le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. L'Éthiopie et le Soudan sont à couteaux tirés depuis des mois sur la question du triangle d'El-Fashaga, un territoire disputé à la frontière entre les deux pays.