Ile Maurice: Dr Veena Parboteeah - "Les femmes devraient s'entraider au lieu d'être en compétition"

De passage à Maurice, le Dr Veena Parboteeah, dont les champs d'intérêts s'articulent autour de la technologie et de la femme, fait un constat de la situation scolaire et professionnelle.

En 2022, quels types d'élèves ont résulté des chamboulements éducatifs causés par le Covid-19 ? Progresse-t-on en termes de fracture numérique ? Quid du recyclage des appareils technologiques pour les plus nécessiteux ? Elle apporte des éléments de réponse.

Quel regard jetezvous sur l'accès aux technologies par les élèves durant les confinements de 2020 et 2021 ?

À Maurice, je constate que l'accès à l'éducation et la technologie est le même pour les filles et les garçons. D'après les recherches antérieures, les hommes utilisent la technologie plus que les femmes. Cependant, je crois que maintenant, tout le monde a accès à un téléphone portable ou à l'Internet. Avec le Covid-19, les écoles ont fermé. Il a fallu trouver de nouveaux moyens pour l'éducation.

Comparée aux États-Unis, Maurice n'était pas prêt à changer, du jour au lendemain, la façon de gérer les classes. L'éducation en ligne était une nouveauté pour les enseignants et les élèves. J'ai été très surprise par la manière dont les éducateurs ont utilisé les applications. C'était astucieux et innovant.

%

En dépit de l'adaptation des élèves et enseignants, certains subissaient toujours un manque d'accès technologique. Quels en sont les effets, sur les enfants en particulier ?

Cela a entraîné un décalage dans leur éducation. Certains cours étaient diffusés à la télévision. Il y avait comme une standardisation de la pédagogie au lieu de l'attention individualisée. Finalement, la même approche était prônée pour tous les élèves. Si, par exemple, un enseignant voyait que des élèves n'avaient pas une bonne performance, il ne pouvait guère intervenir sur une one to one basis.

Face aux basculements des fermetures et ouvertures scolaires, ainsi que des classes alternant virtualité et présentiel, à quel type d'élèves a-t-on affaire en 2022 ?

Il y a un déficit en termes de socialisation. Par exemple, ces enfants n'évoluaient pas parmi leurs pairs et ne savent donc pas comment interagir avec eux. Ils souffraient d'un Covid burn-out, c'est-à-dire qu'ils se lassaient de la technologie, précisément quand celle-ci devenait médiatrice d'éducation. Pour d'autres enfants, l'usage de la technologie à des fins éducatives était perçu comme quelque chose d'innovant, qui a su attirer leur attention.

Maintenant que nous sommes à nouveau dans les classes régulières en présentiel, la situation a changé. Aujourd'hui, on a toujours des Zoom meetings et d'autres interactions virtuelles mais on en est fatigué. Imaginez : si l'on réagit ainsi en tant qu'adultes, qu'en est-il des enfants ? L'utilisation de ces dispositifs pour les loisirs ne changera pas. Par contre, si on force l'éducation à travers la technologie, cela peut avoir un effet réfractaire sur les jeunes.

Le pays évolue-t-il toujours en fracture numérique ou s'améliore-t-il au niveau de l'accès technologique ?

Clairement, on observe des moyens d'acquisition de nouveaux et de meilleurs appareils technologiques. Il y a aussi la question de l'âge. Nous avons toujours la dualité entre les natifs numériques (digital natives) et les migrants numériques (digital immigrants). Les plus jeunes font partie de la première catégorie, c'està-dire qu'ils sont nés dans l'ère technologique. Dès leur naissance, ils sauront comment manipuler un téléphone intelligent. J'ai pris le métro léger et j'ai constaté que tout le monde est sur son téléphone mobile. C'est étonnant pour une si petite île.

En sus des usages classiques de ces dispositifs, les Mauriciens les emploient pour les paiements de leurs factures en ligne. Certains iront toujours faire la queue pour s'en acquitter, ne sachant pas comment exécuter ces opérations en ligne. Parallèlement, les séniors sont caractérisés de migrants numériques dans le sens où ils ont dû apprendre les usages technologiques. Bien sûr, il y a aussi la frayeur d'apprendre une nouveauté.

Cela dit, avec le Covid-19, on a dû s'y adapter rapidement. Si on inculque ces connaissances aux personnes âgées, elles pourront maîtriser ces technologies. À travers le pays, les groupes de troisième âge peuvent se réunir en petites classes pour de telles initiations. Ainsi, ils ne seront pas lésés et à la traîne.

Localement, le recyclage des appareils technologiques est embryonnaire alors que les Mauriciens tendent à renouveler leurs dispositifs régulièrement, se débarrassant de ceux qui deviennent obsolètes. Pourtant, ces appareils bénéficieraient aux démunis s'ils étaient recyclés. Que faire à ce niveau ?

Il doit y avoir un changement dans la manière de faire du commerce. Par exemple, aux États-Unis, si un client veut d'un nouvel appareil, il y a un programme, qui récupère l'ancien et vous accorde des sortes de crédits. Un système de buy back favoriserait le recyclage des dispositifs technologiques. On peut apprendre aux individus comment les réutiliser et les recycler. Cela pourrait être effectué par les revendeurs de ces appareils.

D'ici les cinq prochaines années, verrat-on plus de femmes se professionnaliser dans les technologies ?

Quand j'étais à l'université de Maurice, mon programme intégrait le textile mais aussi la technologie. Cependant, peu de femmes y étaient inscrites. La mentalité (mindset) que certaines professions relève de la prérogative des hommes et d'autres des femmes semble changer. Comme Maurice vise à devenir une cyberîle, il faut s'assurer que les deux catégories accèdent à l'éducation requise. Les femmes vont davantage s'insérer dans les métiers technologiques, et ce, dans n'importe quelle spécialisation.

On peut intéresser les femmes dans ce domaine en leur montrant des role models. Par exemple, en leur disant, si j'ai pu le faire, donc, vous aussi vous en êtes capables. La société nous permet de nous améliorer en compagnie des autres. On n'arrive pas à un point précis par hasard. Il y a la contribution de vos parents, de vos frères, de vos amis, de votre mari, etc. C'est un système de soutien, qui vous mène là où vous êtes et où ce que vous faites. En arrivant au sommet, on redescend et on tire avec soi quelqu'un vers le haut. Les femmes devraient s'entraider au lieu de se livrer à une compétition. On peut atteindre bien plus ainsi plutôt que d'être l'une contre l'autre.

Bio express

Originaire de Belle-Rose, Veena Parboteeah détient une licence en Textile Technology de l'université de Maurice. En 2000, elle quitte le pays pour les ÉtatsUnis et se fait admettre à la Washington State University à Pullman, où elle entame des études supérieures. Sept ans plus tard, elle s'installe à New Mexico, toujours aux États-Unis, et exerce désormais comme professeure en systèmes informatiques à la New Mexico Highlands University. Elle y réside avec son époux, Richard Alex.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.