Burkina Faso: Ernest Abdoulaye Ouédraogo, SG de l'USTB - " Bassolma Bazié a terni l'image du syndicaliste "

14 Juillet 2022
interview

Dans cet entretien qu'il nous a accordé le lundi 11 juillet 2022, Ernest Abdoulaye Ouédraogo, Secrétaire général de l'Union syndicale des travailleurs du Burkina (USTB), exprime les attentes des travailleurs burkinabè et aborde plusieurs autres sujets en lien avec l'actualité nationale. Lisez plutôt !

Quelle est aujourd'hui, la situation des travailleurs au Burkina Faso ?

Merci de nous donner cette opportunité. Je suis Abdoulaye Ernest Ouédraogo, Secrétaire général de l'Union syndicale des travailleurs du Burkina Faso (USTB) qui, il faut le rappeler, était la toute première centrale au Burkina Faso dans les années 47-48. Cela dit, les travailleurs du Burkina Faso vivent les mêmes réalités que l'ensemble des Burkinabè. Aujourd'hui, nous ne devons plus réfléchir en termes d'augmentation de salaires, de revendications tous azimuts ni de conditions de travail. Ce qui doit nous préoccuper en ce moment, c'est plutôt la question sécuritaire. Il y a de nombreux travailleurs qui ont arrêté d'exercer parce que leurs localités sont sous l'emprise des terroristes.

On constate que le front social est calme ces derniers temps. Cela voudrait-il dire que les problèmes des travailleurs ont été résolus ?

Loin de là. Bien au contraire, les problèmes des travailleurs empirent de jour en jour. Aujourd'hui, du fait de la crise sécuritaire, tous les Burkinabè parlent pratiquement le même langage. Pour ce qui concerne le front social, nous essayons, avec l'Unité d'action syndicale (UAS), d'être sur la même longueur d'onde, d'avoir une même vision par rapport à la situation nationale. Il fut un temps où nous avions des difficultés à contenir les travailleurs parce que les uns et les autres avaient des agendas cachés. Ce qui ne cadrait pas avec notre vision au niveau de l'UAS.

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La crise sécuritaire que nous vivons a-t-elle véritablement un impact sur la situation des travailleurs burkinabè ?

Oui, absolument. Si on prend l'exemple des enseignants, vous constaterez qu'il y a près de 2 000 à 3 000 écoles fermées. Si on prend un enseignant par classe et que vous multipliez 2 000 ou 3 000 par 6, vous allez trouver rapidement un nombre élevé de travailleurs qui sont désœuvrés aujourd'hui. Si on prend les villes qui ont été déguerpies suite à ces attaques terroristes, on se rend compte que le monde des travailleurs est beaucoup touché. Il y a plusieurs travailleurs qui nous sollicitent d'ailleurs pour de l'aide. Nous essayons, avec le peu de moyens dont nous disposons, de répondre favorablement à leurs sollicitations à travers des dons en vivres et en espèces.

Selon vous, quelles devraient être, à l'heure actuelle, les priorités des autorités de la Transition pour améliorer les conditions de vie des travailleurs du Burkina Faso ?

Je pense que nous allons interpeller les autorités sur la nécessité d'être plus regardantes sur la question des travailleurs. Il ne faut pas que le calme actuel les amène à penser qu'ils ont vaincu le mouvement syndical ou qu'ils sont au-dessus de tout soupçon. C'est vrai que nous avons mis au-devant, la question sécuritaire, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a des réalités que nous vivons et qui sont, entre autres, des atteintes à la liberté, des questions qui ne sont pas résolues, des accords qui restent toujours dans les tiroirs, etc.

Au regard de la cherté de la vie actuelle et de la hausse des prix du carburant, de nombreux travailleurs estiment que c'est leur salaire, en définitive, qui se trouve réduit. Est-ce que l'USTB a engagé des discussions dans ce sens avec les autorités de la Transition ?

Comme je vous le disais tantôt, nous avons accordé la priorité à la sécurité. Cela dit, nous sommes en réflexion avec d'autres syndicats et tous membres de l'UAS, pour interpeller les autorités sur la nécessité de prendre à bras le corps nos préoccupations. Nous avons toujours opté pour le dialogue et la concertation. Nous ne sommes pas des va-t-en-guerre et c'est la raison pour laquelle nous avons toujours évité le tapage qui était l'arme de certains, à un moment donné de notre lutte syndicale. L'USTB a décidé de ne pas s'inscrire dans cette démarche. Nous évitons d'aller au clash avec les autorités que nous respectons d'ailleurs.

" Si leur objectif, en prenant le pouvoir, était qu'on les aide à trouver des solutions aux questions liées au terrorisme, pourquoi ne l'ont-ils pas fait avec Roch ? "

" Il faut que Damiba évite de penser qu'il a créé le Burkina Faso "

On constate que malgré le départ du président Roch Marc Christian Kaboré, la crise sécuritaire ne connait pas de répit. Selon vous, quelles en sont les raisons ?

Je suis au regret de le dire et cela n'engage que moi, et c'est une réalité, mais je constate que nous n'avons fait que reculer. Au regard de ce qui se passe, je me rends compte que ce n'était pas la personne du président Roch qui posait problème, parce que ce monsieur n'était pas au front. Ce sont ceux qui étaient au front, qui sont venus prendre le pouvoir. Et nous pensions qu'ils l'ont fait parce qu'ils avaient des solutions que Roch refusait d'appliquer. Mais aujourd'hui, il est indéniable que c'est plutôt le contraire que nous constatons. Maintenant qu'ils sont aux affaires, ils proposent qu'on réfléchisse ensemble pour trouver des solutions à la menace terroriste. Mais que diantre ! Si leur objectif, en prenant le pouvoir, était qu'on les aide à trouver des solutions aux questions liées au terrorisme, pourquoi ne l'ont-ils pas fait avec Roch ? Qu'ils restent au front au lieu de venir s'asseoir dans des bureaux climatisés ! Il faut le dire tout net, ça vole bas. Et comme l'a dit quelqu'un, c'est de l'escroquerie politique et il faut avoir le courage de le dire.

Que pensez-vous de la présence de Bassolma Bazié, votre ancien compagnon de lutte, dans un gouvernement dirigé par des militaires ?

En tant que syndicaliste, je pense que si Bassolma échoue, nous les syndicalistes, on n'aura plus droit de cité au Burkina Faso. Il nous sera difficile de lever la tête dans certains milieux. Aujourd'hui, et ce n'est pas moi qui le dis, quand on fait un retour en arrière dans les années 2020 et 2021, on se rend compte que le mouvement syndical bougeait et drainait des foules. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Souhaitons que Bassolma réussisse. Sinon, pour ma part, je pense honnêtement qu'il a terni l'image du syndicaliste. Et ça aussi, il faut le dire.

Cette présence de Bassolma Bazié dans ce gouvernement, ne nuit-elle pas à la réputation des leaders syndicaux dans leur ensemble ?

C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'il réussisse. Sinon, on va tous en assumer les conséquences.

L'actualité, ces derniers jours, a tourné autour de la rencontre entre Damiba et les anciens chefs d'Etat. Une rencontre qui, pour certains Burkinabè, a tourné au fiasco. Partagez-vous cette opinion ?

Vous voyez, nous les syndicalistes, nous partons sur la base de ce qui est juste, de ce qui est droit. C'est d'ailleurs ce qui a prévalu à l'existence du syndicalisme. Si on part de ce principe, je pense que le pouvoir de Damiba a échoué. Je le dis parce qu'il aurait fallu mieux organiser cette rencontre. Il aurait fallu associer toutes les forces vivres de la Nation dans ce processus. Il faut que Damiba évite de penser qu'il a créé le Burkina Faso. Et les Burkinabè ne sont pas des ouvriers dans un champ quelconque de Damiba. Non. Il doit savoir qu'il n'est pas fort. Ce sont les armes du peuple qu'il a utilisées pour prendre le pouvoir. D'ailleurs, ceux qui l'ont aidé à faire le coup d'Etat sont des gens qui sont à la solde du Burkina Faso, payés par le Burkina Faso. Donc, où se trouve sa force ? Il n'est pas venu comme un Bob Denard avec un groupe de mercenaires pour prendre le pouvoir. Non. Il a utilisé les armes du peuple, utilisé des personnes payées par le contribuable burkinabè pour faire son coup d'Etat. Donc, il faut qu'il évite de penser qu'il est fort et qu'il peut faire ce qu'il veut. Ça ne marchera pas.

Comment expliquez-vous le boycott de Roch, Kafando et Zida à cette rencontre ?

Ils n'y ont pas participé parce que tout simplement, ceux d'en face ne sont pas arrivés à les convaincre. Je vous donne un scénario simple. Est-ce que si cette rencontre avait été planifiée avec nos autorités coutumières et religieuses, Roch allait refuser d'y aller ? Je crois que non. Mais quand on exhibe quelqu'un qui a exercé de hautes fonctions dans ce pays, comme un trophée de guerre, et qu'après, on nous dit qu'il est libre et qu'on l'invite ensuite à participer à une rencontre, pensez-vous qu'après avoir subi toutes ces humiliations, il puisse avoir le courage de s'asseoir autour de la même table que ses bourreaux d'hier ? Et c'est ce qui est arrivé.

" En faisant rentrer Blaise Compaoré au pays, Damiba n'a pas eu la délicatesse d'associer l'ensemble des Burkinabè, encore moins d'entourer ce retour d'un vernis juridique ou administratif "

Donc, la manifestation des partisans de Roch devant sa résidence pour l'empêcher de prendre part à la rencontre est légitime selon vous ?

Je crois que la colère des partisans de Roch et même de nombreux Burkinabè, est partie du fait qu'on puisse autoriser certains Burkinabè à aller accueillir Blaise Compaoré comme un saint, sachant bien qu'il y a un mandat d'arrêt qui a été émis contre lui à la faveur du procès lié à l'assassinat de Thomas Sankara. Je crois que si la présence de Blaise Compaoré au Burkina Faso avait été marquée du sceau de la discrétion, les partisans de Roch n'auraient vu aucun inconvénient à laisser leur leader participer à cette rencontre. Mais tel ne fut pas le cas. C'est sans doute ce qui a révolté les partisans de Roch.

Certains Burkinabè estiment que Blaise Compaoré aurait dû être arrêté à sa descente d'avion. Qu'est-ce que vous en pensez ?

C'est la Justice qui le dit. Il y a eu un mandat d'arrêt international qui n'est pas encore levé. Il n'a pas non plus été amnistié. En faisant rentrer Blaise Compaoré au pays, Damiba n'a pas eu la délicatesse d'associer l'ensemble des Burkinabè, encore moins d'entourer ce retour d'un vernis juridique ou administratif. Et puis, si vraiment, Blaise Compaoré est la personne qui détient la clé de nos problèmes au Burkina comme on le pense, alors, je peux, sans ambages, affirmer que Blaise est le premier des terroristes.

Qu'est-ce que l'USTB propose pour qu'on sorte définitivement de cette crise ?

Je pense à ce niveau que chacun doit jouer sa partition. Il ne faut pas que subitement, des menuisiers pensent qu'ils peuvent devenir des chirurgiens. Il ne faut pas qu'on pense que le soudeur peut être remplacé du jour au lendemain par un docteur en droit. Non, il faut plutôt mettre les hommes qu'il faut à leur place. Que chacun réfléchisse à ce qu'il peut apporter à ce pays qui nous a tout donné. Si on réussit cela, on aura fait un grand pas. C'est vrai que même les pays les plus développés vivent le terrorisme. A la différence que chez nous, le phénomène a pris de l'ampleur parce que c'est nous-mêmes qui l'avons occasionné à travers notre comportement. Aujourd'hui, il y a beaucoup de questionnements sur certains sujets. Nous avons tous connu le drame d'Inata dont les enquêtes piétinent jusqu' à ce jour. Il n'y a pas de vérité autour d'Inata alors qu'il aurait fallu qu'on y mette de la volonté pour que cela ne se reproduise plus jamais.

La vérité sur ce drame nous aurait permis de savoir là où on a péché. J'ai aussi pensé qu'Inata allait constituer l'un des plus gros chantiers de Damiba dès sa prise du pouvoir parce que je reste convaincu qu'au sein de notre armée, nos FDS ne parlent pas le même langage. Et on ne peut pas lutter contre le terrorisme s'il n'y a pas de cohésion au sein de notre armée. L'attitude de Damiba est d'autant plus révoltante qu'au lieu de chercher à instaurer la cohésion au sein de notre armée, à ramener la sérénité au sein de la grande muette, il préfère plutôt tenter de jouer les bons offices en réunissant des comédiens d'anciens chefs d'Etat pour soi-disant parler le même langage. D'ailleurs, ces gens, rien ne les oppose fondamentalement, disons-nous la vérité. Ils sont tous actionnaires dans les mêmes sociétés. Ils ont tous des comptes dans les mêmes pays où personne ne peut aller vérifier. Qu'est-ce qui empêcherait Roch d'appeler Blaise ? Est-ce qu'aujourd'hui, les Burkinabè ont la preuve que ces gens-là ne se parlent pas régulièrement? Non, ce n'est pas évident.

Qu'en est-il de vos rapports avec Bassolma Bazié ?

Disons-le tout net et ce n'est pas un secret, nos relations n'étaient pas au beau fixe. On a essayé de travailler ensemble à l'UAS tout en se respectant mutuellement. Aujourd'hui, il est mon ministre et quand je dois lui parler, je le fais en tant que syndicaliste. A part cela, il n'y a rien de particulier entre nous.

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