Bénin: "Course aux noces", l'autrice béninoise Nathalie Hounvo Yekpe et la pression sociale sur les femmes

Comédienne et metteuse en scène béninoise, Nathalie Hounvo Yekpe fait du théâtre depuis vingt ans. Sa toute première pièce de théâtre en tant qu'autrice sera mise en voix ce samedi 16 juillet à 11h au Festival d'Avignon (et diffusée sur Facebook live), dans le cadre de Ca va, ça va le monde !. Course aux noces parle du destin de trois sœurs confrontées aux pressions sociales et aux manipulations et aux mascarades provoquées par l'institution du mariage.

" C'est beaucoup d'émotions pour moi, de me trouver ici. Le rêve de tout comédien -surtout quand on est en Afrique-, c'est le Festival d'Avignon. J'ai toujours rêvé de ça. Mais même dans mes rêves les plus fous, je n'ai pas imaginé de me retrouver dans ce grand festival en tant qu'autrice."

La pression sociale subie par les femmes en Afrique

Et Nathalie Hounvo Yekpo a des choses à dire. Avec un sens aigu du dialogues et du scénario, elle fait surgir la pression sociale subie par les femmes au Bénin. " Tu sens au quotidien, le regard des autres près de ta nuque. " Dès la première phrase, ça sent le vécu. Tout au long de l'histoire, l'autrice béninoise colle véritablement à la peau de ses personnages. " Le déclic pour cette pièce, c'est ma vie, mon quotidien. Et quand je dis "ma vie", ce n'est pas ma vie individuelle, ce n'est pas la vie de Nathalie Hounvo Yekpe seule, mais beaucoup d'autres vies tout autour. Des vies qui sont mélangées à ma vie. Des vies de femmes, de jeunes filles, des filles aînées de la famille, parce que, quand on est l'aînée d'une famille en Afrique, tout devient beaucoup plus compliqué. Surtout quand tu es dans une famille modeste, on te fait tout de suite comprendre qu'il faut que tu te sacrifies pour les autres qui sont derrières. Quand on est aînée, on n'a pas droit à des rêves. Il faut rêver pour sa jeune sœur et son jeune frère. "

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L'institution ou plutôt la mascarade du mariage est le pivot de ce drame familial porté par trois sœurs : l'aînée a la charge des autres et doit prendre des décisions pour les autres ; la cadette est considérée comme la honte de la famille, parce qu'elle a 40 ans et n'est toujours pas mariée. La troisième semble avoir une très belle vie. Elle est mariée à un homme beau et fortuné.

Mais tout est apparence. " Dans ma famille, on a l'habitude de me traiter de "décalée" [rires], parce que je ne suis pas d'accord avec beaucoup de choses en rapport avec la tradition, à ma culture et sur les relations entre hommes et femmes. C'est surtout sur ça que je ne m'entends pas du tout avec mes sœurs, mes cousines, ma mère, mes tantes... Il y a beaucoup de pression. Et autour de moi, je vois aussi beaucoup de pression sur les jeunes filles et les jeunes femmes. "

" L'écriture était là avant le théâtre "

Peut-être aussi pour cela, Nathalie Hounvo Yekpe a acquis d'abord une maîtrise en aménagement du territoire à l'université d'Abomey-Calavi avant de faire le grand saut dans le monde du théâtre. " Cela n'a pas été un saut ! Après le bac, comme beaucoup de jeunes, j'avais beaucoup d'hésitations à m'inscrire dans une faculté. Je voulais faire médecine... et je venais à peine découvrir le théâtre. J'ai été passionnée, j'avais envie de dévorer la scène et ma mère était contre. Donc, j'ai fait les deux en parallèle. Je faisais partie de la première promotion de l'École internationale de théâtre du Bénin. J'ai dû reprendre une année en géographie, à cause des tournées du théâtre, mais j'ai bien déposé le diplôme chez mes parents pour leur prouver que j'avais fini mes études universitaires. Ensuite, j'ai continué avec le théâtre. "

Sortie en 2006 de l'École internationale de théâtre du Bénin, elle commence rapidement à écrire : des nouvelles, des pièces de théâtre, des séries pour la télévision... Comment une jeune femme béninoise devient-elle autrice pour le théâtre ? " Je crois que l'écriture était là même avant que je découvre véritablement le théâtre. Depuis toute petite, j'aimais écrire. Surtout quand je suis fâchée ou quand je suis en colère, je me cache et j'écris quelque part. Ensuite, j'ai inventé des histoires. Au collège, il est arrivé plusieurs fois que mon professeur de français passe mon texte à d'autres professeurs de français pour qu'ils le lisent dans leur classe. En revanche, je n'ai jamais imaginé que je pouvais écrire. J'ai toujours considéré l'acte d'écriture comme un acte qui est destiné à des génies. J'ai essayé plusieurs fois d'écrire une pièce, mais j'écrivais dix pages et ensuite j'ai abandonné. Jusqu'à ce que, en 2020, je découvre le programme de résidence Découvertes des Francophonies à Limoges."

Le mahi, une langue très imagée et très ironique

Pour la première fois, elle peut se totalement concentrer sur son écriture. Le résultat, Course aux noces, impressionne. Le texte entretient une relation très physique avec le lecteur en déployant dès la première page une langue très corporelle évoquant la nuque, le dos, les ongles, " les oreilles de ton cœur " ou " les chuchotements qui migrent et se ruent sur ton pauvre cœur comme des gamètes males à la vue d'un ovule ". Est-ce l'héritage d'une relation physique qu'elle a longtemps pratiquée avec le public de ses one-woman-show ?

" Oui, il y a une relation physique, mais d'abord, je parlerais de la langue. Je suis Mahi [ethnie du Bénin] par ma mère, et j'ai grandi dans un village mahi. Au Bénin, tout le monde sait que le mahi est une langue très imagée et très ironique. Donc, culturellement, j'ai tout de cette ethnie. On s'exprime avec des images, avec des anecdotes. Tout cela est très présent. Le côté physique vient de mon passage dans les one-man-show, mais j'ai joué aussi des matchs d'improvisations. Tout cela, ce sont des paramètres qui contribuent à ce que je fais et ce que j'écris."

La dépression et une berceuse

Certaines émotions restent accrochées à sa culture familiale. L'apparition d'une chanson en mina, langue parlée au Bénin et au Togo, montre à la fois les limites de la langue française et la générosité de cette langue dans laquelle on peut insérer d'autres langues pour une pièce de théâtre. " J'ai même voulu changer cette chanson à un moment donné, mais après, je me suis dit: non. C'est cette chanson qu'il faut. Ce personnage Oya (" Celle qui ne sait rien, ne gère rien ") est à fond dans la dépression et se chante elle-même une berceuse : " Ne pleure pas joli bébé. Quand on pleure la nuit, les monstres vous arrachent la voix. " Encore une fois, il est question des autres, parce que ce monstre en question, c'est le voisin qui peut vous entendre pleurer. Donc elle a 40 ans et se chante cette berceuse pour garder cette douleur en elle. "

La distribution des rôles est l'autre grande originalité de la pièce. Au-delà des personnages des trois sœurs, elle a conçu la figure des " on dit ". " Les " on dit " représentent pour moi toute cette pression sociale. Tout ce que les gens disent de nous et qui nous pousse à des actes pas forcément décidés par nous-même. Et la plupart du temps, ils sont à côté de la plaque. Ils croient tout savoir sur nous, mais ils ne savent pas qui on est. Ils sont tellement occupés à créer un personnage pour nous, qu'ils n'arrivent pas à voir qui nous sommes. Ces autres imaginent notre vie à notre place. "

Les " on dit "

En même temps, elle résiste à la tentation de victimiser les femmes. Dans sa pièce apparaît en filigrane aussi un portrait de l'homme à qui elle donne de façon ironique et intrigante le rôle de " la victime ". " Je suis contente duportrait de l'homme que je dresse dans la pièce [rires]. Pour écrire cette pièce, j'ai beaucoup écouté les femmes et leurs vies. Et j'entends beaucoup d'accusations à l'égard de l'homme. En même temps, dans tout ce qu'elles disent, j'entends aussi que l'homme est également " victime " de ce qui est notre tradition et de ce qui est de la modernité.

Au Bénin, les femmes veulent le beurre et l'argent du beurre. Elles ont besoin d'émancipation, d'égalité entre hommes et femmes, mais, en même temps, elles veulent conserver des avantages des relations traditionnelles, par exemple que l'homme est responsable que sa femme doit bien s'habiller et bien se nourrir. Elles vont au restaurant avec un homme et ne veulent pas payer ou contribuer à la facture. Je n'ai pas envie de présenter l'homme comme le méchant qui fait mal à la femme, qui brise la femme. Dans cette histoire, tout part de la femme qui veut être mariée, parce qu'elle aussi est victime des autres, des "on dit". Parce que tout le monde veut la voir mariée, elle fait tout pour y arriver, et elle met l'homme devant le fait accompli."

" Il fallait lire toute la nuit ! "

Née dans un petit village, Nathalie Hounvo Yekpe raconte d'y avoir vécu " la plus belle partie de mon existence, aux champs, à la rivière, avec d'autres enfants ". À l'âge de 13 ans, sa famille déménage dans la capitale Cotonou. Elle a dû mal à s'adapter à la ville, mais c'est là qu'elle découvre les livres. " Je me souviens, en classe de 6e, j'empruntais des livres que je devais rendre le lendemain. Donc il fallait lire toute la nuit ! Voilà comme j'ai découvert ma passion pour la poésie, les romans... "

Entretemps, la lectrice nocturne s'est transformée en autrice dont la pièce est mise en voix par Armel Roussel avec les comédiens Khadim Fall, Edoxi Gnoula, Fatou Hane et Babetida Sajo ainsi des élèves de L'École du Nord au Festival d'Avignon dans Ca va, ça va le monde !. Un cycle de lectures que Nathalie Hounvo Yekpe connaît par cœur : " Depuis des années. J'écoute beaucoup. Il y a des pièces que j'ai écoutées cinq fois ! C'était un rituel, le matin, quand je me réveille. Et pendant que j'écrivais la pièce, quand j'étais un peu embrouillée, quand je n'arrivais pas à avoir des idées, j'ai arrêté avec mon clavier et je suis allée sur le site pour choisir une pièce. "

Aujourd'hui, elle va peut-être à son tour inspirer d'autres à l'écoute de sa première pièce.

Les lectures auront lieu du 15 au 20 juillet à 11h (entrée libre) dans le Jardin de la rue de Mons (Maison Jean Vilar), dans le cadre de la 10e édition de Ça va, ça va le monde ! au Festival d'Avignon 2022. Les lectures seront diffusées aussi en direct par Facebook Live. Les créations seront également diffusées sur les antennes de RFI tous les samedis du 30 juillet au 3 septembre à 17h10 (heure de Paris) et seront disponibles sous forme de podcast sur rfi.fr.

L'édition 2022 de " Ça va, ça va le monde ! "

RFI présente Ça va, ça va le Monde ! en coproduction avec le Festival d'Avignon et la compagnie [e]utopia, avec le soutien de la SACD, Wallonie-Bruxelles International, l'Institut Français, et l'Institut français du Bénin. Ce cycle de six lectures d'œuvres d'auteurs et autrices africains et haïtiens est coordonné par Pascal Paradou et dirigé par le metteur en scène Armel Roussel.

15 juillet : Opéra Poussière de Jean D'Amérique (Haïti)

Lauréat du " Prix Théâtre RFI " (2021)

Oubliée de l'Histoire, Sanité Belair revient sur terre. Lieutenante de l'armée révolutionnaire haïtienne, résistante anticolonialiste, exécutée en 1802, à l'âge de 21 ans, par les soldats français, elle va se battre de nouveau pour réparer la mémoire et trouver sa place aux côtés des " pères de la Patrie ".

16 juillet : Course aux noces de Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin)

Sur une proposition des Francophonies - Des écritures à la scène

Trois femmes et les " on-dit ". L'une est célibataire, l'autre est mariée par intérêt et la troisième de force. Un drame qui raconte la difficile lutte des femmes africaines pour choisir leur vie et faire face à la pression sociale et familiale.

17 juillet : Terre Ceinte de Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal)

Adapté et mis en lecture par Aristide Tarnagda, et co-produit par La Charge du Rhinocéros

Écrit en 2015 par celui qui deviendra le premier écrivain d'Afrique subsaharienne à obtenir le prix Goncourt, ce roman explore la violence du terrorisme et ses conséquences sur une ville qui entre en résistance.

18 juillet : Celle des îles de Koulsy Lamko (Tchad)

À Nantes, l'Haïtienne Celile ou Celle des îles, conteuse et chanteuse de cabaret passe un casting pour égayer les soirées du restaurant " Le petit bateau négrier ". Femme ou esprit, elle réveille les mémoires détruites de l'esclavage.

19 juillet : Procès aux mémoires de Laura Sheïlla Inangoma (Burundi)

Sur proposition des Récréâtrales

Un procès. Trois femmes sont accusées d'assassinat et de sorcellerie. Mais les cadavres sont introuvables. Et les réseaux sociaux s'en mêlent. Une narration contemporaine sur la mémoire du sacré, la place du spirituel et les enjeux de la modernité.

20 juillet : Fantôme de Dieudonné Niangouna (République du Congo)

Mis en lecture par Catherine Boskowitz

Une famille confrontée à l'histoire et à la mémoire, celle d'un père tué au Cameroun par un rhinocéros blanc ? Trois frères et sœurs, accompagnés de leur neveu se retrouvent pour vendre la maison familiale, mais tout bascule quand surgit un vieillard qui ressemble étrangement au père décédé.

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