Cameroun: C'est fou le "Petit Piment" d'Alain Mabanckou !

20 Juillet 2022

La schizophrénie et autres maladies mentales, décidément un terrain fertile pour les romanciers. Alain Mabanckou nous en avait déjà fait une petite démonstration, dans un style un peu dément, dans son roman intitulé Verre cassé. Dans cette autre fiction, l'écrivain congolais nous enferme de nouveau dans la tête d'un personnage névrosé, Petit Piment en l'occurrence, héros du roman éponyme, pour essayer de comprendre comment, de l'enfance à nos trente-deux dents, on peut passer d'un état mental sain à une psychose en phase terminale.

Si ce n'était que cela, le livre aurait de quoi décourager plus d'un lecteur. Avouons que l'idée d'aller fouiner sur près de trois cents pages dans la tête d'un déséquilibré pleine de cafard et de toile d'araignée n'est pas des plus enchanteresses, à moins qu'on ne soit étudiant ou spécialiste d'une de ces matières où le nom de Freud a tendance à ressurgir de manière assez récurrente.

Heureusement il y a aussi de l'humour. Pas autant qu'il en faudrait pour rivaliser avec du gaz hilarant (il ne s'agit pas non plus de vous rendre fou de rire) ; c'est plutôt un humour à peine pimenté, un tant soit peu naïf, un humour à la Mabanckou, juste ce qu'il faut pour vous faire sourire de temps à autre tout au long de l'histoire.

On l'aura compris, Petit Piment c'est un bon morceau pour les inconditionnels de la littérature de l'absurde, au sens kafkaïen du terme. Beaucoup de choses dans cette histoire pourraient en effet vous sembler aux antipodes des normes de la logique. A commencer par le nom marqué sur l'acte de naissance du héros, alias Petit Piment, tout un cantique : Nzambe Po Moze yamoyindo abotami namboka ya Bakoko (Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres).

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Il y a aussi ce jardinier plutôt exigeant envers ses cultures, et qui s'indigne de l'ingratitude de ses épinards qui attendent qu'il ait le dos tourné pour croître :

"C'est en effet inacceptable...''

-- C'est même de l'ingratitude de leur part ! Qui c'est qui les arrose, ces pauvres petits épinards, hein ? Qui c'est qui arrache la mauvaise herbe qui les empêche de pousser, hein ? Ils ne peuvent pas me faire ça à moi ! Je ne quitterai pas ce jardin tant que mes épinards ne se seront pas décidés à pousser sous mes yeux ici et maintenant ! "

Il y a les compléments circonstanciels : " Mon ami Fort la Mort m'a dit que le complément circonstanciel est là pour compléter l'action qu'exprime le verbe selon les circonstances. C'est vous dire que sans lui, le verbe il est foutu pour de bon, il n'exprime plus avec précision la cause, le moyen, la comparaison, etc., est-ce que je me trompe ?

Peut-être que ma mémoire n'est plus fiable parce que j'ai perdu la plupart de mes compléments circonstanciels ! "

Il y a ce malade supposément guéri à force de médicaments gastronomiques qui refuse de reconnaître sa guérison pour ne pas avoir à payer son guérisseur : " Profiteur ! Mon mari t'a guéri de ton kwashiorkor, tu dois nous payer ! Tu dois rembourser la nourriture que tu mangeais ! C'est moi qui la préparais, et je ne suis pas ton esclave !

-- Tu as entendu ce qu'elle a dit, non ? Tu es guéri, tu dois nous payer !

-- Je ne suis pas guéri et je ne payerai pas ! "

Il y a la curieuse fin de ce grand opposant au régime, Wabongo-Wabongo III, neutralisé au sortir d'une maison close à Pointe-Noire, puis officiellement déclaré mort en Belgique, tranquille dans un lit d'hôpital : " Alors que Wabongo-Wabongo III sortait de la bicoque de Maman Fiat 500, deux sbires le rattrapèrent, l'immobilisèrent et lui firent avaler de la ciguë.

-- Au moins il aura eu une mort de philosophe, risqua un des sbires.

L'information qui circula dans le pays d'en face et qui arriva jusqu'à chez nous rapportait que Wabongo-Wbongo III était mort à la suite d'une longue maladie dans un hôpital de Bruxelles. Le président à vie, dans sa bonté infinie, ajoutait le communiqué, payerait les frais des funérailles et élèverait ce digne fils du pays au rang de héros de la Révolution rouge... "

On ne va pas non plus vous raconter toute l'histoire, ou essayer de sonder la pensée critique de l'auteur dans sa conception de l'Afrique et notamment de son pays le Congo dans cet ouvrage. Cela a déjà été fait de long en large sur d'autres tribunes.

Une bonne raison tout de même d'aller lire ou relire le Petit Piment d'Alain Mabanckou, c'est que tout homme sensé devrait de temps à autre se demander s'il n'est pas un peu fou, ou tout au moins s'il n'est pas en train de le devenir, et pour cela il faudrait commencer par essayer de comprendre ce qu'est la folie. Rappelez-vous Einstein, le grand Einstein, qui disait : " Une question parfois me laisse perplexe : est-ce moi, ou les autres qui sont fous ? "

Petit piment d'Alain Mabanckou était en lice à l'édition 2016 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL).

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