Ile Maurice: Rajesh Bhagwan, le patron des "dialog sok"

On pourrait le surnommer le cloueur de bec. Sa langue n'a peur de personne, sa verve ne craint rien. Ses répliques sont cultes et malgré les expulsions et suspensions parlementaires, celui qui est tombé dans la marmite politique il y a 40 ans n'hésite pas à monter au front, à descendre dans la rue, quand la situation l'exige. Qui est l'homme fidèle au parti du cœur, connu et admiré pour sa grande gueule ? Portrait du "bulldozer".

"Lakwizinn pe pran difé", lançait-il, tout sourire, mercredi, sa pancarte "Haute trahison" en main. Avec d'autres membres de l'opposition groupés devant le Parlement et le bureau du Premier ministre, mercredi, Rajesh Anand Bhagwan, député du Mouvement militant mauricien (MMM) et élu de la circonscription no 20 (Beau-Bassin/Petite-Rivière), a même glissé aux policiers qui tentaient de disperser la foule venue soutenir leur cause : "Hey boss, nou pann invit zot nou... ". Et ajoutant : "Mo koumadir enn léman."

Élu lors de neuf élections générales consécutives, comptant 40 ans de service en politique, ancien ministre, membre de comités nationaux depuis 2010, whip de l'opposition du 18 mai 2020 au 15 septembre 2014 et du 22 décembre 2014 au 20 décembre 2016, incontournable secrétaire général du MMM et député de l'opposition, Rajesh Bhagwan est actif socialement dès son jeune âge. "Je suis un enfant de Port-Louis. Au primaire, mon ami de classe était le Dr. Satish Boolell", relate-t-il. Le médecin a vécu sa scolarité et son enfance à ses côtés. "C'est un être jovial et doté d'un sens de l'humour impeccable. Rajesh Bhagwan, c'est une institution du Parlement mauricien. Si on n'a pas de Bhagwan au Parle- ment, nous serions en manque. Les gens l'aiment. Il a vécu de manière humble et n'a pas eu de piscine à la sri-lankaise chez lui. C'est quelqu'un dont la politique mauricienne ne peut se passer, une véritable icône", déclare le Dr. Satish Boolell. Aider les plus vulnérables, Rajesh Bhagwan y va de gaieté de cœur, ajoute-t-il.

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Cadet d'une famille de quatre enfants, Rajesh Bhagwan grandit avec un père originaire du Gujrat en Inde, qui était ouvrier-bijoutier tandis que sa mère s'occupait du ménage. Sa famille œuvrait au service de la société. Avait-elle des racines politiques ? Visiblement oui, puisque son oncle n'était nul autre que sir Harilal Vaghjee. "C'était le plus grand speaker que l'Assemblée nationale ait connu à Maurice." Après ses études secondaires à Rose-Hill, ville où il emménagera par la suite, Rajesh Bhagwan intègre le Central Electricity Board (CEB) comme meter reader, puis rejoint l'administration, où il exercera jusqu'en 1983. Vers la fin des années 1980, il fait ses premiers pas en politique. Coup de cœur: en côtoyant les militants, Rajesh Bhagwan est marqué au fer mauve...

Candidat aux élections municipales en 1982, il est élu sous la bannière du MMM. Un an plus tard, le voilà embarqué dans les élections législatives, ce qui dessinera son ascension politique. En 1984, 1990 et 1991, il est maire de Beau-Bassin/Rose-Hill ; de 1991 à 1993, Parliamentary Private Secretary (PPS) ; de 1995 à 1996, ministre des Collectivités locales ; et de 1996 à 1997, ministre de l'Environnement. Ce fauteuil ministériel, il l'occupera encore de 2000 à 2003, puis de 2003 à 2005 en héritant parallèlement de la National Development Unit. Ce passage au vert se matérialisera par des décisions stratégiques, dont la fin de l'extraction de sable, l'arrivée de l'essence sans plomb, la création de la police de l'environnement, la grande conférence des Small Islands Development States, entre autres.

"Un papy gâteau qui fait de la résistance et déploie sa détermination au sein de la politicaille mauricienne, agrémentée de scandales et rebondissements réguliers.

Évidemment, ce parcours sera truffé de chamboulements politiques. Entre cassures d'alliances, remaniements ministériels, transfuges, il côtoiera des figures emblématiques, comme sir Gaëtan Duval, entre autres. Quelle que soit la situation, le militant au caractère bien trempé ne pliera jamais. "Perseverance is the route to success est l'adage au centre de ma vie", avoue-t-il. Une devise transmise à ses trois filles, qui poursuivent des carrières médicale et légale, grâce au sacrifice du couple Bhagwan, qui est également heureux d'avoir un petit-fils né le 16 février, à la même date que son grand-papa... Un papy gâteau qui fait de la résistance et déploie sa détermination au sein de la politicaille mauricienne, agrémentée de scandales et rebondissements réguliers.

"Juste une maladie"

Ces derniers temps, ce "guerrier", tel qu'il se qualifie, ne cesse d'enflammer l'hémicycle. Le 3 août 2021, la fameuse expression "Look at your face" du speaker Sooroojdev Phokeer, balancée à son encontre à 11 reprises, aura résonné à travers le globe. Une remarque relayée par la BBC, qui lui a valu une vague locale et internationale de soutien, en sus d'une conscientisation au vitiligo, cette maladie qui lui colle à la peau à cause du stress.

Rajesh Bhagwan, qui, bien sûr n'allait pas garder sa langue dans sa poche (NdlR, si bien qu'il nous sort au passage le dicton lalang péna lezo qui ravive le débat sur les expressions créoles, surtout après le post de Joanna Bérenger), contre-attaquera et traite- ra le speaker de "drunk" et de "honte". Un an après cet incident désagréable, est-il amer ? A-t-il une dent contre ces notes discordantes du "Loudspeaker" ? "C'est juste une maladie. Cela peut arriver à tout le monde. Par manque d'information, les Mauriciens font des remarques blessantes et la mêlent à la lèpre. Moi, je n'ai pas eu honte. Sekinn dir sa bann propo-la bizin koné ki linn dir."

En juin 2022, le bulldozer verbal avait bien d'autres répliques dans son sac, parce que lui, "éna dan so vant", affirment ceux le connaissant. Sa réponse, au Parlement, à la députée Subhasnee Lutchmun-Roy, a fait le buzz. "L'honorable Subhasnee nous fait la leçon sur le respect quand elle oublie elle-même qu'elle avait qualifié son Premier ministre bien-aimé de Pinocchio avant de supprimer cette même page quand elle a eu l'investiture du Mouvement socialiste militant (MSM). Hé ou la do Subhasnee, pa vinn fer nou la leson", devait-il lui lancer à l'Assemblée nationale.

Contactée pour son avis sur ce sacré personnage, la députée orange n'a pas pipé mot. D'ailleurs, dans le camp gouvernemental et celui de ses ex-compères mauves qui ont subitement viré de bord, changé de camp, les langues sont muselées. Le silence est d'or... ou d'orange. Pourtant, au sein de l'hémicyle, Rajesh Bhagwan ne manque pas de solliciter les réactions de la majorité. D'autant qu'il cumule les suspensions parlementaires. Huit à neuf jusqu'à présent, avance-t-il.

Bête noire du "Loudspeaker", le soldat lalit militan n'en démord pas. "Je ne suis pas un homme fabriqué. Mo pa kominalis ni sekter. Je suis d'abord Mauricien. Je dois tout à ma famille, mon épouse et mon électorat." Bien sûr, il le doit aussi au MMM qui fait partie de sa vie. Mais il a le cœur gros en pensant à tous ces déserteurs qui ont lâché le parti. Face aux transfuges, le député mauve est rouge de colère. Une "trahison" qu'il s'évertue à combattre avec véhémence. "J'accepte les divergences politiques mais pas l'ingratitude. Mo palé kikenn dir mwa mo pé kras dan lasiet manzé. Mo pa enn fanatik. Mo pran pozision kan bizin. J'accepte aussi les critiques mais pas celles de bas étage. Je suis allergique au communalisme." Très croyant, il est aussi un fidèle du Montmartre et du caveau du Père Laval. Mais pas question d'utiliser la religion pour faire la politique, martèle-t-il.

À quoi est due sa fidélité indélébile au MMM et à Paul Bérenger, avec qui il est comme kalson-simiz ? "Je n'aime pas que les gens quittent un parti pour des gains personnels et renient tout qu'ils disaient ou faisaient en claquant la porte. C'est pour cela que quand Ganoo a traité Bérenger de colon, mo disan inn mont dan mo latet." Il était alors "mari amerdé". Comme tout être humain, il ne cache pas ses défauts. "Les gens disent que je suis hot-tempered. Mo pa kontan kan fer dominer." Pour Satish Boolell, Rajesh Bhagwan n'a jamais flanché, fort de sa joie de vivre et de son patriotisme sans faille. "J'ai un peu les mêmes principes. Quand j'étais médecin légiste, je n'avais pas le temps de voir qui était mort avant de travailler. Bhagwan le fait avec les vivants et je l'admire pour ça." Pour Shakeel Mohamed, député du Parti travailliste, cela est dû à la confiance des dirigeants du MMM en Rajesh Bhagwan.

En dépit d'élections difficiles, il s'est réadapté. Car coller des affiches et peinturlurer les routes ne suffisent plus en 2022. "La technologie a changé la donne politique. J'ai dû me recycler avec WhatsApp, Facebook, entre autres outils informatiques. Les gens aiment des politiciens qui se battent. Je suis un fighter de nature. Mo satisfaksion sé respé ki dimounn éna pou mwa. Kan mo marsé, mo étoné bann zenes vinn demann mwa selfie... ". Le Bhagwan 2.0 incarne donc une sorte "d'idole des jeunes" qui cultive sa proximité citoyenne. "Pa nek pez bouton sa... bizin inpliké."

"Un homme entier"

Qu'en pensent ses adversaires ? Rajesh Bhagwan représente toute l'expérience d'une opposition à travers plusieurs décennies, commente Shakeel Mohamed. "C'est quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux et dit ce qu'il pense. Il fait partie de notre culture et folklore politiques. Il m'a toujours donné beaucoup de conseils." Selon lui, le député mauve est un "homme entier". En somme, soutient-il, "he is what you get".

Ces petites choses qui dérangent chez lui ? Pour avoir des réponses, il faudra repasser. Ce que l'homme inspire surtout c'est le respect. "Je l'ai connu en tant qu'adversaire politique la plupart du temps. Rajesh Bhagwan respecte toujours ses opposants. Il a connu plusieurs générations de politiciens dans ma famille, y compris mon grand-père, mon père. Backbencher pendant que Papa était ministre, il m'a raconté comment celui-ci l'a tout le temps soutenu ainsi que Harold Walter et Satcam Boolell", indique le député rouge. Même si le MMM était un adversaire de la famille Mohamed, cela ne les a jamais empêchés d'entretenir d'excellentes relations. Cela dépasse le cadre politique, indique-t-il. Il n'y en a pas beaucoup comme lui aujourd'hui. "He does not care about consequences. He just cares about the truth", fait valoir le député travailliste.

Une faculté étonnante chez Rajesh Bhagwan, observe un agent du MSM des Plaines Wilhems. "Il est franc. So défo : li koz lavérité." Toolsyraj Benydin, candidat de l'Alliance morisien au no 20 en 2019, le connaît depuis une vingtaine d'années à travers sa lutte syndicale. "Son défaut ? Je ne sais pas si c'en est un... Il est toujours sûr de lui. Quand il entre dans un combat ou une élection, il vous dira qu'il va gagner. Ce n'est pas un politicien qui tergiversera ou cherchera des avantages auprès de ceux qui sont au pouvoir. C'est un militant exemplaire."

Quid de son caractère chaud bouillant ? "C'est inné, non ? Parfois, moi-même, je suis comme ça. Malgré nous, on s'emporte et on parle fort dépendant des circonstances", avoue Toolsyraj Benydin. Rajesh Bhagwan représente aussi la solidarité. Car lors du décompte des voix aux élections de 2019, Toolsyraj Benydin affirme qu'ils étaient assis ensemble. "Il était triste pour moi et me disait que si j'étais resté dans ma circonscription no 15 (La-Caverne/Phoenix), j'aurais été élu. Il m'a quand même encouragé. Rajesh Bhagwan a son caractère, comme tout un chacun mais il faut se focaliser sur le service à la population. Li fer so travay."

En tout cas, celui que des adversaires surnomment "Bhai Lysol", en référence à un fâcheux "slip of the tongue", jadis, continuera à cracher son venin à la figure de ceux qui le méritent. Pour le plus grand bonheur des fans de ses "dialog sok".

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