Cameroun: La jeunesse africaine a mal à la Françafrique

27 Juillet 2022

Depuis quelques années, on assiste à des mouvements d'humeur, des critiques acerbes, à la limite hostiles de la jeunesse africaine prenant pour cible la France et les intérêts français sur le continent. Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas d'un mouvement anti-français ou contre les français.

Les Africains vivent en bonne intelligence, entretiennent des relations de bon voisinage, parfois excellentes avec les citoyens français, fruit d'une proximité historique de très longue date. Le sentiment estimé, à tort, " anti-français " est une réaction de défiance, un ras-le-bol de la jeunesse africaine vis-à-vis de la politique africaine de la France, représentée par le système de la Françafrique. Il s'agit donc d'un sentiment anti-françafrique.

La Françafrique est un système de domination politique, économique et culturel mis en place par le Général De Gaulle dans les années 1960, au moment des indépendances des 14 anciennes colonies françaises. En 2022, soit plus de 62 longues années plus tard, le bilan de ce système est largement négatif : les Africains ont le sentiment amer d'avoir été grugés, car les indépendances de ces pays ne sont en réalité que des coquilles vides, des indépendances de façade. Après un certain fatalisme et la résignation des parents, qui ont connu la colonisation, les choses ont changé aujourd'hui avec les plus jeunes, ceux qui ont moins de 40 ans, et qui constituent les ¾ de la population.

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Grâce à la mondialisation, à la globalisation et à l'émigration, les jeunes Africains sont plus ouverts et mieux intégrés au reste du monde dans les milieux estudiantins, culturels et professionnels ; ils sont aussi performants et compétents que leurs camarades ou collègues occidentaux, ils ne se sentent pas inférieurs à eux, comme bon nombre de leurs parents et grands-parents dans les années 1960. Ils sont mieux informés, et en temps réel, de tout ce qui se passe à travers le monde par le biais des NTIC, notamment le téléphone, Internet et les réseaux sociaux.

C'est cette jeunesse décomplexée, sûre d'elle, consciente de sa valeur qui se lève aujourd'hui pour crier son ras-le-bol au système réducteur, castrateur, prédateur de la Françafrique. Ceci nous amène à nous interroger sur les raisons de ce rejet de plus en plus marqué.

Les raisons sociales

Le sentiment anti-françafrique résulte d'une fracture générationnelle consécutive à une évolution sociale inéluctable. L'Afrique d'aujourd'hui est différente de celle des années 1960. Plus de 60 ans après, les populations africaines, majoritairement jeunes ont une toute autre vision du monde : le taux de scolarisation est plus élevé ; beaucoup de ceux qui exercent de petits métiers ingrats et précaires sont diplômés de l'enseignement supérieur ou sont issus des instituts de formation professionnelle.

Ces derniers n'arrivent pas à trouver un emploi à cause de la mal gouvernance qui sévit à l'état endémique dans leur pays, caractérisée par la corruption, le favoritisme, le clientélisme, le népotisme, le tribalisme. Cette jeunesse se sent humiliée par l'arrogance, le ton paternaliste, la condescendance affichés par les dirigeants des puissances occidentales à leur égard. Ils sont outrés par l'obéissance servile de leurs chefs d'État, prompts à exécuter au doigt et à l'œil les desiderata de ces puissances occidentales, et leur propension à servir prioritairement les intérêts de ces dernières, au détriment de ceux de leur peuple et de leur pays.

La jeunesse africaine souhaiterait qu'à la place des rapports de dominant à dominés, ou de maître à esclaves, s'instaurent désormais des relations de respect mutuel et un dialogue franc, d'égal à égal avec les dirigeants de la France et du Bloc Occidental.

Les raisons économiques

Plus de 60 ans après les indépendances, aucun des Etats de la Françafrique n'a réussi à décoller réellement sur le plan économique et pour cause ; ces États ploient sous le poids d'un endettement colossal à travers des prêts et des " aides au développement ", assortis de taux d'intérêt rédhibitoires, de pénalités pour retards de remboursement, qui grèvent lourdement leurs ressources financières. Non seulement le système de la dette imposé à ces pays n'a pas permis à la majeure partie de ceux-ci de se développer, mais il bénéficie essentiellement aux bailleurs de fonds étrangers, aux institutions monétaires internationales (notamment le FMI et la Banque Mondiale), ainsi qu'à leurs partenaires africains.

L'on note également que sur les 14 pays que compte la Françafrique, 5 pays sont classés au peloton de tête des pays les plus pauvres d'Afrique ; il s'agit de la Centrafrique, du Burundi, de la République Démocratique du Congo, du Niger et du Togo. Paradoxalement, ces pays répertoriés comme les plus pauvres d'Afrique, sont aussi ceux qui possèdent d'immenses richesses minières, dont l'exploitation profite essentiellement aux sociétés multinationales, aux puissances occidentales et à leurs partenaires locaux. Par ailleurs, la monnaie, en l'occurrence le franc CFA, qui est un levier économique important, reste contrôlée par le Trésor français. Aucun pays au monde ne peut se développer dans ces conditions.

Les raisons politiques

On observe un silence assourdissant de la part du Bloc Occidental, lorsque leurs alliés africains tripatouillent les Constitutions de leur pays afin de s'éterniser au pouvoir, bafouant, de ce fait, leur sacrosaint principe de l'alternance démocratique au sommet de l'Etat. En revanche ces derniers sont prompts à condamner, à fustiger et à sanctionner sévèrement les coups de force militaires qui surviennent pour contrer ces manipulations constitutionnelles intempestives.

Plus encore, la condamnation de ces coups d'État est à géométrie variable, puisque certains, comme au Tchad semblent bénéficier de l'onction du Bloc Occidental et de leurs alliés africains. La majorité africaine silencieuse qui voit tout, entend tout, mais ne peut réagir par peur de représailles, accuse de ce fait le gouvernement Français et le Bloc Occidental, d'être responsables de leurs malheurs, en complicité avec leurs dirigeants. Il leur est reproché d'encourager l'installation de " républiques monarchiques ", dans lesquelles le pouvoir se transmet de père en fils, ou au sein d'une même famille, comme c'est le cas au Togo, au Gabon au Tchad, etc.

Ce procédé anti-républicain bloque le renouvellement des acteurs politiques au sommet des États et ouvre la voie à l'instauration de régimes dictatoriaux, sous leur regard bienveillant et complice. La France et le Bloc Occidental contribuent ainsi à maintenir au pouvoir des régimes autocratiques, dictatoriaux et liberticides qui excluent des circuits du développement la majeure partie de leur population, à savoir les jeunes, principales victimes des tares et dysfonctionnements qui frappent les États africains.

Cependant, cette jeunesse africaine paupérisée, abandonnée à elle-même, désespérée, contrainte de s'exiler dans des conditions atroces pour aller chercher ailleurs sa survie, vers les pays riches de l'Occident, est en train de se réveiller et de prendre conscience de sa force.

Ces jeunes se rendent compte qu'unis et déterminés à faire entendre leurs revendications, ils constituent une puissance, telle un " tsunami ", capable de renverser non seulement les pouvoirs en place, mais aussi l'ordre mondial établi par le Bloc Occidental.

Le constat est clair : la " Françafrique de papa " a vécu, elle est morte et enterrée ; au bout de 60 ans, l'Afrique et les Africains ont changé, ce qui en soi est inéluctable ! Les pays africains semblent engagés dans une nouvelle guerre de libération, afin de recouvrer leur entière souveraineté, il est urgent pour le Bloc Occidental et ses alliés africains de s'en rendre compte, de tenir compte de ce changement des mentalités, et de réagir en conséquence.

Il serait indiqué, voire vital pour ces puissances de réadapter leur logiciel géopolitique à cette nouvelle donne, sinon elles courent le risque de perdre leur influence et d'être purement et simplement évincées hors de l'Afrique.

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