Des attentes interminables aux stations-service, chômage forcé pour beaucoup de chauffeurs, manque des moyens de déplacement pour les usagers, explosion du prix de transport… La situation devient de plus en plus intenable pour les transporteurs et les passagers. Une situation qui est la résultante d'une pénurie de carburant qui sévit au Burundi. Un effet de contagion semble se dessiner avec une partie du continent africain qui vit la même situation.
« Que voulez-vous qu'on vous dise. C'est grave. Je viens de passer six heures ici, et je ne suis pas servi », lâche Claude, un taximan, rencontré dans une des stations-service du nord de Bujumbura, la capitale économique du Burundi.
Sidéré, mine renfrognée, ses joues entre ses mains, il ajoute qu'il n'a même pas espoir d'être servi. Ce qui est probable, car, même si des centaines de véhicules font la queue dans cette station, les pompes sont à l'arrêt.
« Il y a eu des rumeurs que cette station va travailler aujourd'hui. Et on n'a pas d'autres choix que de ranger nos véhicules et attendre », confie-t-il. Notre interlocuteur souligne au passage qu'il vient de boucler deux jours sans travailler suite au manque du carburant.
Or, il n'a d'autre activité que le transporteur. « Dites-moi alors, à ce rythme, comment vais-je payer le loyer, nourrir ma famille », dit-il, d'une voix tremblotante. En temps normal, Claude indique qu'il pouvait gagner facilement 50 mille BIF par jour avec son taxi.
Une situation très grave pour I.B, un autre transporteur croisé sur une autre station-service du centre-ville de Bujumbura. Malgré cette situation confuse, il doit s'acquitter à un versement journalier auprès de son employeur.
« C'est vraiment difficile. Pour travailler et avoir au moins à manger, j'ai dû acheter du carburant chez les vendeurs clandestins. Et là, tu n'as pas de choix. Le litre est porté à plus de 7000 BIF alors que le prix officiel est de moins de 3000 BIF. Une hausse de plus de 100% », se désole-t-il.
Devant cet état de fait, les quelques litres achetés dans ces conditions n'ont pas pu tenir toute la journée. « Et voilà, je viens de passer plusieurs heures ici. Le peu de litres qui étaient disponibles à mon arrivée sont épuisés sans que je ne sois servi. Et j'attends de voir », dit-il.
Le désespoir se lit sur son visage. Ce jeune, la trentaine, pense déjà à remettre le véhicule à son propriétaire. « Au lieu qu'il continue à espérer des versements alors que je ne suis pas en train de travailler, je vais lui remettre son taxi et aller grossir le rang des chômeurs. Là, des amis pourront même venir à mon aide. Mais, aujourd'hui, ils pensent que je suis au travail et que j'ai de l'argent pour subvenir à mes besoins quotidiens. »
Suite à la récente hausse du prix du carburant, en mai dernier, les tarifs officiels, à la pompe, ont été fixés à 1,6 dollars américains pour l'essence et celui du gasoil à 1,5 dollars américains par litre.
Le social en souffre
Au Burundi, c'est surtout les week-ends que les gens quittent la capitale économique pour se rendre à l'intérieur où se tiennent les cérémonies familiales.
Ce sont soit les mariages, les levées de deuil partielles ou définitives, les cérémonies funèbres, etc. Suite à la pénurie du carburant, certains ratent involontairement ces moments marquant les liens familiaux au Burundi.
« Je n'ai pas pu participer à l'inhumation de mon grand-père à Kirundi à cause du manque du carburant », se plaint Isidore, un natif du nord du pays. Le week-end dernier, il affirme avoir passé trois jours à faire le tour des stations-service à la quête du « liquide précieux ».
« Malgré tout cet effort, je n'ai pas été servi. Je n'avais pas d'autres choix que d'envoyer ma contribution financière par téléphone. C'est vraiment déplorable.» Il regrette fortement de n'avoir pas pu assister aux funérailles de son grand-père.
Malheureusement, il n'est pas le seul à avoir vécu cette situation. Félix Nduwimana, un père de famille résident à Bujumbura a dû annuler à la dernière minute à la participation du mariage de son cousin, à Mwaro, au centre du pays.
« Samedi dernier, j'ai passé plus de sept heures sur une station-service sans être servi. Je pense que mon cousin pourra me comprendre parce que mon absence n'a pas été volontaire. Je suis désolé », déplore-t-il. Avant de demander à l'État de trouver une solution urgente à ce problème devenu très récurrent. « On pensait qu'avec la deuxième hausse du mois de mai, en une année, il allait résoudre le problème. Rien de tout ça parce que la situation empire. »
Interrogé, Gabriel Rufyiri, président de l'Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) indique que cette pénurie est liée au manque de devises dans le pays.
« Les importateurs de ces produits pétroliers sont approvisionnés en devises à hauteur de 60 %. Et 90% de ces 60% de ses réserves reviennent aux services de défense et de sécurité et d'autres institutions de souveraineté », détaille-t-il.
Effet de contagions dans d'autres pays africains…
Comme s'ils se sont donnés le mot ! La pénurie de carburant n'est pas spécifique au Burundi. Sur le continent, le phénomène touche également plusieurs pays. En Afrique de l'ouest, comme au Cameroun, les files d'attente sont devenues une habitude sur les stations-service, selon plusieurs médias locaux et internationaux.
Ce qui se répercute directement sur le prix du transport. A Yaoundé, la capitale camerounaise, les usagers du transport craignent une inflation pouvant s'envoler vers les 4%, si la situation perdure.
Et pour essayer de limiter les dégâts, le ministère de l'eau et de l'Énergie prévoit un approvisionnement de 62 500 mètres cubes de produits pétroliers. 88 mille mètres cubes de Gasoil et 35 mille mètres cubes de Super sont également attendus.
Ces 123 mille mètres cubes d'hydrocarbures sont en cours d'acheminement vers les côtes camerounaises, a dernièrement rassuré le gouvernement camerounais.
Idem au Nigeria où Faire la queue pendant des heures et des heures aux stations-services est devenue inévitable pour les propriétaires des véhicules, les transporteurs, etc.
D'après les médias internationaux, la guerre entre la Russie et l'Ukraine a entraîné une hausse de plus de 100% des prix à l'importation du carburant. Et les détaillants disent qu'ils travaillent à perte parce qu'ils ne peuvent facturer que sur la base du prix fixé par le gouvernement.
Ils ajoutent que même les promesses du gouvernement, selon lesquelles les pénuries prendront bientôt fin, n'ont pas amélioré la situation. D'où leur demande au gouvernement de réglementer le marché afin de leur permettre de fixer leurs prix du carburant.
Même si le Nigeria est l'un des plus grands producteurs de pétrole brut d'Afrique, ce pays n'est pas épargné par les pénuries de carburant qui y sont fréquentes.
Il a produit en moyenne 1,42 million de barils par jour en mai, selon l'Organisation des pays exportateurs de pétrole.
Cependant, le Nigeria doit importer la majeure partie de son carburant car il ne dispose que de très peu de raffineries en état de marche.
Certaines stations-service ont augmenté leurs prix et ce qui a réduit les files d'attente, tandis que d'autres, à Abuja, la capitale, continuent de vendre au prix fixé par le gouvernement.
Dans la corne de l'Afrique, l'Éthiopie n'est pas épargnée par cette pénurie. Ce mercredi, des médias rapportent que le prix des carburants a grimpé en flèche. Et ce, après que le gouvernement ait réduit les subventions, aggravant ainsi les difficultés économiques des personnes déjà confrontées à une forte inflation.
Dans la capitale Addis-Abeba, sur les stations-service, des longues files d'attente s'observent. Le prix de l'essence à la pompe a augmenté de près de 30 % pour atteindre 48,83 birrs (environ 94 cents US), tandis que le diesel a augmenté de près de 40 % pour atteindre 49,02 birrs dans le cadre du nouveau régime de prix qui s'appliquera jusqu'au 6 août, a déclaré le ministère du commerce.
D'après le journal économique Addis Fortune, le gouvernement fédéral, qui avait déjà augmenté les prix en mai, prévoit de supprimer progressivement les subventions aux carburants.
Dans un rapport couvrant le premier trimestre de 2022, le fonds d'investissements éthiopien Cepheus Capital a indiqué que les importations de produits pétroliers au cours des neuf premiers mois de l'exercice 2021/2022 ont bondi de 75 % pour atteindre 2,2 milliards de dollars, et celles de céréales de 121 % pour atteindre 1,8 milliard de dollars.