Congo-Kinshasa: Insécurité dans l'Est - Guerres d'influence et pillages de ressources

Rutshuru — Lorsque les coups de feu ont retenti, Dansira Karikumutima a bondi. "Je me suis enfuie avec ma famille", raconte-t-elle à propos de ce jour de mars où les rebelles du M23 sont arrivés à Cheya, son village situé dans la province du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo. "Nous nous sommes dispersés, chacun courant dans une direction différente par peur".

Des mois plus tard, cette femme de 52 ans, son mari et leurs onze enfants se sont retrouvés dans un camp informel de la ville de Rutshuru. Là, ils passent leurs nuits dans une école tandis que la journée est consacré à la recherche de nourriture.

La famille de Mme Karikumutima fait partie du lot des victimes de l'insécurité qui ne cesse de s'aggraver dans l'est de la RDC. Si elle n'est pas maîtrisée, l'agitation "risque de rallumer un conflit interétatique dans la région des Grands Lacs", prévient le Centre africain d'études stratégiques dans un rapport publié fin juin sur la détérioration de la situation sécuritaire.

Le M23, abréviation de "Mouvement du 23 mars", tire son nom d'un accord de paix conclu en 2009 entre le gouvernement congolais et un groupe rebelle aujourd'hui disparu issu d'une scission de l'armée congolaise qui avait pris le contrôle de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, en 2012.

Le M23 fait partie de la centaine de groupes armés qui opèrent dans l'est de la RDC, une région instable où les conflits font rage depuis des décennies, et où ils s'intensifient, surtout ces derniers mois.

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Près de 8 000 personnes ont été tuées depuis 2017, selon le baromètre sécuritaire Kivu Security Tracker, qui surveille les conflits et les violations des droits de l'homme dans la région. Les violences ont aussi fait plus de 5,5 millions de personnes déplacées dont 700 000 rien que cette année, estiment les Nations unies.

L'insécurité en RDC est alimentée par un engrenage complexe mêlant géopolitique, rivalités ethniques et nationales, et bataille pour le contrôle des ressources naturelles qui abondent dans l'est du pays.

Les combats ont ravivé les tensions entre la RDC et le Rwanda voisin, dont certaines remontent au génocide rwandais de 1994, où environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués par des membres de l'ethnie hutue. La concurrence pour les ressources et les luttes d'influence en RDC ont également aiguisé les rivalités de longue date entre le Rwanda et l'Ouganda.

Accusations mutuelles

Par la voix de son président Felix Tshisekedi, au pouvoir depuis 2019, la RDC accuse le Rwanda de soutenir le M23, le principal groupe rebelle qui s'oppose à l'armée congolaise dans l'est du pays. Pour sa part, Kigali accuse la RDC et son armée de soutenir les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle principalement hutu basé au Congo, qui comprend des combattants ayant participé au génocide.

En novembre dernier, les rebelles du M23 ont attaqué plusieurs positions de l'armée congolaise dans le Nord-Kivu, près des frontières avec l'Ouganda et le Rwanda. Les rebelles ont progressé, notamment en envahissant une base militaire congolaise en mai et en prenant le contrôle de Bunagana, une ville commerciale proche de la frontière ougandaise en juin.

Bintou Keita, qui, en tant que chef de la Monusco (mission de l'ONU), est la plus haute responsable des Nations unies en RDC, a averti en juin que le M23 représentait une menace croissante pour les civils et qu'il pourrait bientôt venir à bout des 16 000 soldats et policiers de la mission.

Les nouvelles attaques du M23 visent "à faire pression sur le gouvernement congolais pour qu'il réponde à ses demandes", a déclaré Jason Stearns, responsable du Groupe de recherche sur le Congo à l'Université de New York, lors d'une séance d'information organisée en juin par le Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS).

Les rebelles veulent l'application d'un pacte de 2013 connu sous le nom d'accord de Nairobi, signé avec le gouvernement de la RDC, qui leur accorderait l'amnistie et les réintégrerait dans l'armée congolaise ou dans la vie civile.

Quelle est l'implication de l'Ouganda ?

"La rivalité de longue date entre l'Ouganda et le Rwanda en RDC et dans la région des Grands Lacs est un moteur essentiel de la crise actuelle", observe l'Africa Center dans son rapport, citant un "profond niveau de méfiance à tous les niveaux - entre la RDC et ses voisins, en particulier le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, ainsi qu'entre tous ces voisins".

En novembre dernier, l'Ouganda et la RDC ont entamé une opération militaire conjointe dans le Nord-Kivu pour traquer les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe de rebelles ougandais affilié à l'État islamique et désigné par le gouvernement américain comme une organisation terroriste. Le président ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, a imputé aux ADF la responsabilité des attentats suicides perpétrés à Kampala en octobre et novembre derniers.

Les responsables ougandais ont accusé le Rwanda d'utiliser le M23 pour miner ses efforts contre les ADF, note le rapport de l'Africa Center, ajoutant que les Nations unies ont également "accusé l'Ouganda d'aider le M23". Dix ans plus tôt, les enquêteurs de l'ONU avaient affirmé avoir des preuves crédibles de l'implication du Rwanda.

Jason Stearns, du Congo Research Group, estime que l'opération militaire conjointe de l'Ouganda et de la RDC a créé des "effets d'entraînement géopolitiques dans la région", le Rwanda se plaignant essentiellement que l'intervention de l'Ouganda "empiète" sur sa sphère d'intérêt dans l'est du Congo.

Les enjeux économiques

Les combats porte aussi sur le contrôle des vastes ressources naturelles de l'est de la RDC, notamment les diamants, l'or, le cuivre et le bois. Le pays possède aussi d'autres minerais, tels que le cobalt et le coltan, nécessaires à la fabrication de batteries pour les téléphones portables, divers appareils électroniques et les avions.

"La RDC produit plus de 70 % du cobalt mondial" et "détient 60 % des réserves de coltan de la planète", rapportait en février le site Internet spécialisé Mining Technology, estimant que la RDC "pourrait devenir l'Arabie saoudite de l'ère des véhicules électriques".

Le rapport de l'Africa Center note qu'il existe "de nombreux éléments suggérant que les factions rebelles soutenues par l'Ouganda et le Rwanda - notamment le M23 - contrôlent des chaînes d'approvisionnement stratégiques mais informelles reliant les mines des Kivus aux deux pays". Ces groupes utilisent les gains qui découlent de ce trafic "pour s'approvisionner en armes, recruter et contrôler des mineurs artisanaux et payer des fonctionnaires corrompus des douanes et des frontières congolaises, ainsi que des soldats et des policiers".

Les accès ont également de l'importance. Fin 2019, un accord tripartite a été signé pour prolonger le chemin de fer à écartement standard de la Tanzanie à travers le Burundi jusqu'à la RDC, donnant à ces deux derniers pays un accès au port maritime tanzanien de l'océan Indien à Dar-es-Salaam.

En juin 2021, le président congolais Tshisekedi et son homologue ougandais Museveni ont inauguré la première des trois routes reliant les pays. Le projet devrait permettre d'accroître le volume des échanges commerciaux entre les deux pays, d'améliorer la transparence transfrontalière et de renforcer les relations par le biais d'une "diplomatie des infrastructures", rapporte The East African. Le projet comprend une route reliant le port de Goma sur le lac Kivu à la ville frontalière de Bunagana.

"Situé entre l'Ouganda et le Burundi, le Rwanda voit tout cela se mettre en place et a l'impression d'être mis sur la touche, d'être marginalisé", a déclaré M. Stearns lors de la séance d'information du CSIS.

Le Rwanda a conclu ses propres accords avec la RDC - notamment les vols de RwandAir et le traitement de l'or extrait au Congo - mais le gouvernement congolais a suspendu tous les accords commerciaux à la mi-juin.

Comment résoudre la crise ?

La RDC, qui a été acceptée ce printemps dans le bloc régional de la Communauté d'Afrique de l'Est, a répondu à l'appel lancé par celle-ci en juin pour qu'une force de sécurité régionale dirigée par le Kenya protège les civils et désarme de force les combattants qui ne déposent pas volontairement leurs armes. Aucune date n'a été fixée pour le déploiement de cette force.

Âgé de 59 ans et candidat à sa succession en 2023, M. Tshisekedi a déclaré que le Rwanda ne pouvait pas faire partie de la force de sécurité. Le président rwandais Paul Kagame, 64 ans et au pouvoir depuis 2000, a lui déclaré à l'Agence de radiodiffusion du Rwanda qu'il n'avait "aucun problème" avec cela.

Les deux dirigeants, lors d'une rencontre le 6 juillet dans la capitale angolaise, Luanda, ont convenu d'un "processus de désescalade" concernant les combats en RDC. La feuille de route diplomatique appelle à la cessation des hostilités et au retrait immédiat du M23.

Mais des combats ont éclaté dès le lendemain dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu entre l'armée congolaise et le M23, qui se dit "pas concerné" par la déclaration de Luanda. Bien avant la rencontre de Luanda, en mai, le major Willy Ngoma, porte-parole du M23, avait confié à VOA Afrique que Kinshasa n'a "pas la volonté de faire la paix".

Le gouvernement congolais affirme qu'il veut que le M23 quitte la RDC avant la reprise des pourparlers de paix. Paul Nantulya, un chercheur de l'Africa Center qui a contribué à cette analyse, a prédit qu'il faudrait "du temps pour résoudre les tensions de longue date entre le Rwanda et la RDC".

Dans des observations écrites partagées avec VOA par courriel, il a appelé à "une initiative de réduction du conflit vérifiable et applicable entre le Congo et ses voisins - en commençant par le Rwanda" et à "un processus de démocratisation inclusif au Congo".

L'ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, a prévenu dans une interview accordée en juin au service Afrique centrale de la VOA que les discours de haine attisaient le conflit. Citant les génocides passés, il a demandé instamment "que le monde entier les pointe du doigt et s'assure que cela soit arrêté avant que le pire ne soit atteint".

Reportage et contributions:

Kennes Bwire, Carol Guensburg, Etienne Karekezi, Geoffrey Mutagoma, Venuste Nshimiyimana, Austere Malivika et Margaret Besheer.

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