Sénégal: Décès de l'ancien photographe Abdou Fary Faye - L'Œil de Dakar se referme

31 Juillet 2022

Le cinéma et l'audiovisuel sénégalais sont en deuil avec le décès du pionnier Abdou Fary Faye, dans la nuit de vendredi dernier. Il était photographe, caméraman et réalisateur et formateur.

Abdou Fary Faye est mort. Il a rendu l'âme, dans la nuit du vendredi au samedi, à l'âge de 86 ans. L'ancien chef opérateur est un pionnier qui a largement participé à l'écriture de l'histoire de la photographie et de l'audiovisuel du Sénégal contemporain. Il était photographe, projectionniste, caméraman, formateur, photographe de plateau et réalisateur. Officiant au Centre culturel français à cette époque, il a grandement participé à donner à cet institut une saveur tropicale. Il l'a surtout effectivement ouvert aux jeunes cinéastes qui venaient y découvrir leur vocation. Le 27 mai dernier, un hommage lui avait été rendu, à l'Hôtel de Ville de Dakar, dans le cadre du Dak'Art 2022, à travers une exposition pluridisciplinaire intitulée " Abdou Fary Faye : Mémoire vive des arts et de la culture ". Aujourd'hui il n'est plus, mais son esprit, son œuvre et son héritage sont plus que jamais vivaces et significatives.

Ce jour d'hommages, au milieu de sa famille, chancelant avec l'âge et flegmatique de sa sagesse, Abdou Fary Faye était là pour recevoir les manifestations d'estime et admirer la revue de son œuvre. Ce soir de mai, il était encore beaucoup question de son engagement, de la maîtrise de son art et de sa légendaire générosité. Les réalisateurs Ben Diogoye Bèye, Jo Gaï Ramaka et Moussa Touré, aujourd'hui parmi les doyens et les plus illustres cinéastes d'Afrique, ont notamment témoigné du tutorat et de l'orientation efficace de l'ancien technicien.

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Aux balbutiements de leur carrière, au moment où ça s'appelait mieux passion, Abdou Fary leur a fourni conseils, outils nécessaires et logistiques pour s'illustrer dans la cinématographie. Wasis Diop avait confié, dans une conférence à Paris en juillet 2020, que c'est lui qui avait prêté le matériel à Mambéty pour son tout premier film alors qu'il était adolescent. L'assistant attitré de Sembène Ousmane, la réalisateur Clarence Delgado, avait terminé son témoignage par des pleurs en évoquant l'altruisme et l'humanisme du doyen. Abdou Fary Faye avait réussi l'impossible en réunifiant les deux courants des cinéastes qui se toisaient à l'époque, avec le pôle de Sembène et Ababacar Samb Makharam d'un côté et celui de Djibril Diop Mambéty et Mahatma Johnson Traoré de l'autre.

Il était ensuite membre actif de Cineseas et de Fepaci. A l'annonce de son décès, samedi matin, le photographe Babacar Touré Mandemory a témoigné : " Doyen Abdou était une mine d'or pour ceux qui avaient le niveau en photographie et qui savaient écouter. La première fois que je lui ai montré mes tirages photo, il est resté à les regarder longuement, avec attention. Puis avec ses mains et doigts habiles, commença à me montrer comment il fallait procéder sous l'agrandisseur pour masquer certaines zones de l'image afin d'y amener de l'équilibre. Abdou était le maître incontesté de sa génération ".

Mémoire

Lors de l'exposition, le journaliste et critique de cinéma, Baba Diop, affirmait que " Abdou Fary Faye (était) à lui seul un mémoire et une mémoire de la cinématographie du Sénégal ". Celui-ci disposait en effet d'un fond d'archives photographiques très fourni qui renseigne sur près de 70 ans de la vie du pays. C'est justement ce fond-de-malle qui a été utilisé pour réaliser les photographies de l'expo pluridisciplinaire. C'était une kyrielle de clichés en noir et blanc (portraits, situations et photos d'art) qui faisaient notamment vivre les instants forts du Festival mondial des arts nègres de 1966, à Dakar. Une série de photos qui peut aussi bien servir à un travail de gentrification de Dakar. Abdou Faty Faye y dévoile le Dakar postindépendance qui rayonnait de sa voirie attrayante et de sa salubrité conquérante. Cette série, c'est aussi des tranches de vie. De la vie d'Abdou Fary Faye qui se révèle dans certaines prises avec tout son caractère racé et la visible passion de son art. Il y avait aussi sa vie au milieu de situations et de figures marquantes, sur des plateaux de tournage de films devenus cultes.

Dans un autre volet de cette exposition pluridisciplinaire, il y avait une installation vidéo qui projetait un (auto)portrait d'Abdou Fary Faye. Ce dernier y confie sa jeunesse pénible, sa réussite au bout d'une passionnante abnégation, son intégration dans la marine française, sa plaisante bonhommie, et ses précieux conseils à la jeune génération. " Il faut se donner le temps de recherche et de la passion, il faut de la curiosité et de la patience, et aimer son travail du fonds de son cœur ", recommandait feu Abdou Fary Faye. Dans le film, il dit qu'il décidait de permettre à Gaëls Samb Sall (organisatrice de l'exposition) de disposer de son fond d'archives car il sait qu'il ne lui reste " plus longtemps à vivre " et que ça peut " servir à connaître ce qui fait notre histoire ". On peut ainsi parler de la geste d'un maître qui affirme son héritage. C'est ce grand homme qui vient de nous quitter.

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