Sénégal: Gestions des eaux usées domestiques - Une grande équation à résoudre dans la banlieue

4 Août 2022

L'absence de réseau d'assainissement digne de ce nom est en train d'installer un laisser-aller total dans les quartiers de la banlieue dakaroise. Dans plusieurs localités, les ménagères qui se plaignent de ne voir aucun égout jettent les eaux usées dans les rues. Ceci, sous le regard impuissant des populations.

Dans les quartiers précaires de la banlieue, un problème lié à la gestion des déchets liquides domestiques se pose avec acuité. L'absence d'égouts dans certains quartiers fait que les ménagères n'ont que la rue pour se débarrasser des eaux usées domestiques. Comme c'est le cas ici au quartier Sefa niché entre la station Tally Bou Mack et le Commissariat central de Guédiawaye. En effet, alors qu'elle vient de sortir d'une boutique, une bouteille d'eau de javel à la main, Diakhère Ciss hésite avant de marcher au milieu d'une flaque d'eau. À côté d'elle, l'on aperçoit une partie du sol lézardée par les eaux usées déversées par les populations, il n'y a pas longtemps. Hésitante au début, elle consent à dire que la gestion des eaux usées n'est pas facile en banlieue. De son avis, ce n'est pas beau à voir. " Où est-ce qu'on peut déverser cette eau à part dans la rue ? " s'interroge-t-elle.

Dans son raisonnement, la jeune ménagère soutient que si cela ne dépendait que des femmes, le cadre de vie serait toujours beau à voir, mais, dit-elle, elles n'ont pas le choix.

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À cet instant précis, une autre passante, Codou Thiane, souligne que ce problème de gestion des eaux usées est à prendre au sérieux. Car, pense-t-elle, " un étranger peut faire des jugements envers les habitants, et pourtant ce n'est pas de gaieté qu'ils déversent les eaux usées sur la route ".

Elle se dit consciente que ce moyen de se débarrasser des déchets liquides domestiques peut même valoir des sanctions à quelqu'un. " Pourtant, même le Service d'hygiène a le pouvoir d'infliger une amende aux auteurs d'un tel acte d'insalubrité publique. Par le passé, il était fréquent de voir des agents du Service d'hygiène remettre une convocation au responsable d'une famille dont un membre a sali la rue en y déversant des déchets liquides ", lance-t-elle en s'éloignant.

À cinq cents mètres de cette boutique, deux vieux sont debout à côté de la porte d'une maison en train de discuter. Lorsque nous les avons interpellés sur la gestion des eaux usées et autres déchets liquides domestiques, Sadibou Ba, un enseignant à la retraite, réagit en premier en ces termes : " Mon cher, vous évoquez un problème très sérieux hein. L'assainissement devrait être pris en compte par nos dirigeants qui avaient l'obligation d'aménager toutes les zones d'habitations avant que la population ne vienne s'installer ", dit-il. Ensuite, le vieux Sadibou Ba ajoute que c'est à partir de ce moment que toutes les infrastructures publiques, y compris un réseau d'assainissement, seront à même d'être réalisées pour que ceux qui vont occuper la zone puissent vivre dans un environnement sain.

Une pratique séculaire

Sur un ton ironique, l'autre vieux, Amadou Ndiaye, intervient en s'adressant au vieux Sadibou Ba. " Dis-lui que nous n'avons que la rue et peut-être les maisons abandonnées pour déverser nos eaux sales. Il n'y a pas à chercher midi à quatorze heures. C'est la vérité ", soutient le vieux Ndiaye. Les deux hommes se mettent à rire ensemble. Par la suite, le vieux Sadibou Ba reprend la parole pour se désoler d'un fait : " Moi qui suis un éducateur, je suis mal à l'aise en regardant ma fille salir la rue en y déversant des déchets liquides. Les eaux issues du linge ou provenant de la cuisine, etc. sont jetées dans la rue parce que c'est la seule solution pour s'en débarrasser ", disserte le vieux. Il ajoute : " Le mal est là. Qui va y remédier ?".

Rencontrée aux alentours de l'école 6, Khady Kane se demande si les ménagères ont la possibilité d'épargner la rue au moment de déverser les eaux sales domestiques. " Depuis ma naissance, je ne verse les déchets liquides de notre maison que dans la rue. Pire, c'est récemment que nous avons cessé de recourir aux baye-pelle (videurs manuels) pour vider nos fosses septiques ", martèle Khady Kane qui veut dire qu'il s'agit là d'une pratique séculaire. Elle se veut catégorique : " Nous allons tout simplement continuer à salir la rue, parce qu'il faudra attendre longtemps encore pour que cette zone soit dotée d'un réseau d'assainissement ".

ALIOUNE BADARA DIOUCK, 6ème ADJOINT AU MAIRE DE LA VILLE DE PIKINE

" Il faut du temps pour réaliser le tout-à-l'égout

Sixième adjoint au maire de la Ville de Pikine et ancien maire de la commune de Djeddah Thiaroye Kao, Alioune Badara Diouck, expert en décentralisation, pense qu'il faudra du temps pour que la problématique de la gestion des eaux usées domestiques soit prise en charge dans les quartiers précaires de la banlieue. La cause est toute simple : elle requiert des investissements lourds.

L'État n'a pas les moyens de réaliser le tout-à-l'égout parce que cela coûte extrêmement cher. C'est l'avis de Alioune Badara Diouck, adjoint au maire de la Ville de Pikine. Selon lui, la meilleure solution, à l'heure actuelle, c'est de privilégier une meilleure éducation des populations tout en réfléchissant à un système de valorisation des eaux usées. À ce propos, il préconise de transformer en compost les déchets qui proviennent du poisson que les femmes utilisent pour préparer le célèbre " ceebu jën " (riz au poisson).

À l'en croire, même si l'État en a la volonté, la vérité est qu'il est très difficile, dans un département de Pikine où vivent cent vingt mille (120.000) ménages, de leur assurer un réseau d'égout. Il considère que le problème serait moindre s'il s'agissait des déchets solides que l'Unité de coordination des déchets (Ucg) est en train de prendre en charge. Selon l'expert en décentralisation, le département de Pikine dispose d'un territoire d'égout très faible. " Je pense que seules trois à quatre communes ont un système d'égout. Si je prends l'exemple de la commune de Djeddah Thiaroye Kao, seuls trois quartiers présentent un réseau d'égout ", souligne-t-il.

Sa conviction est que le problème qui se pose avec la gestion des eaux usées domestiques est lié à l'absence de déversoirs. Il se souvient qu'à Djeddah Thiaroye Kao, un projet de réalisation de puisards a été initié, mais la gestion de ces puisards était si catastrophique qu'ils étaient en quelque sorte devenus une bombe écologique. " Même avec le Projet de modernisation des villes (Promovilles), poursuit-il, des puisards ont été réalisés. Malheureusement, c'est toujours l'éternel problème de gestion qui revenait ".

M. Diouck est d'avis que la raison était simple : les populations déversaient n'importe comment leurs eaux usées domestiques dans les puisards qui, finalement, étaient devenus bouchés. En terrain connu, Alioune Badara Diouck rappelle que les deux tiers de la banlieue ne sont pas urbanisés et que pour installer un réseau d'égout, il faut impérativement restructurer les zones d'habitation. " Déjà, la restructuration en tant que telle coûte cher. Ajoutée aux investissements liés à l'aménagement d'un système d'assainissement, je ne crois pas que l'État ait les moyens de le faire. C'est pourquoi j'estime qu'il faut privilégier une meilleure éducation des ménages ", conclut-il.

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