Jouer au tambour signifie beaucoup pour les Burundais, car, il leur procure de la joie, la fierté et revêt toute une histoire. Après son inscription au patrimoine immatériel de l'UNESCO, le tambour, instrument à percussion, fascine au niveau africain et mondial.
Au Burundi, ''fabriquer et battre le tambour'' est une tradition qui remonte de longtemps selon Bukuru, un traditionnaliste de Muramvya, au centre du pays. « Et c'est quelque chose qui se transmet de père en fils dans certaines familles », précise-t-il.
D'après lui, le tambour n'est pas fabriqué dans n'importe quelle espèce d'arbre. C'est à partir d'une peau de taureau tannée et d'un tronc d'arbre taillé en ''Umuvugangoma'', une espèce d'arbre propre à la fabrication du tambour.
Pour l'embellir, aujourd'hui, on y met des couleurs au drapeau national burundais : le blanc, le rouge et le vert. Et les trois étoiles aussi sont visibles.
D'après ce traditionnaliste, Bukuru, le tambour est sacré : « C'était le symbole de la royauté, du pouvoir. Il était battu pour des occasions bien exceptionnelles et des lieux précis », raconte-t-il, donnant les exemples de l'intronisation du roi, pour la fête d'Umuganiro (fête de semailles) qui rassemblait presque tous les Burundais à la Cour royale, etc.
Bukuru, 85 ans, indique que c'est à l'aide de deux baguettes en bois que le tambour est battu exclusivement à la cour du roi et chez les grands chefs qui étaient eux-aussi de sang royal. Et de souligner que, selon la tradition, le nom Ingoma (Kirundi, langue nationale), qui désigne le tambour, signifie aussi royaume.
Et le fait de battre le tambour est surtout de l'héritage, confie Oscar Nshimirimana, responsable du sanctuaire du tambour sacré de Gishora, commune et province Gitega, au centre du pays : « Ce n'est pas seulement mon père qui battait le tambour, mais tous mes arrière-grands-parents. C'est notre destin, parce que c'est dans notre sang, ce n'est pas pour l'argent ».
Ce sanctuaire du tambour sacré du Burundi a été fondé par le roi Mwezi Gisabo, vers début 1900 après avoir échappé aux Allemands, caché et sauvé par un fidèle de la localité.
Et aujourd'hui, sur les collines, dans les écoles, les lycées, … on apprend à battre le tambour dans des clubs culturels. Un instrument qui fascine la jeunesse, se réjouit M. Nshimirimana : « En tout cas, le tambour est très apprécié par les jeunes. Ici, au sanctuaire du tambour, des enfants de moins de dix ans viennent apprendre. Et ils sont très intéressés. »
Un spectacle vivant
La danse rituelle au tambour offre un spectacle vivant bon à voir. Là, on réunit danses, poésies héroïques et des chants centrés sur la culture burundaise, l'unité, … au son des tambours.
Oscar Nshimirimana, 42 ans, décrit que lors de cette danse, les tambourinaires, pieds-nus sont habillés de blanc, de rouge et de vert, les couleurs du drapeau national : « Pour débuter, ils entrent en scène en portant les tambours sur la tête. Puis, chacun dispose son instrument en arc de cercle autour du tambour central ( inkiranya) dont ils attendent le signal du départ. Les tambours de gauche (amashako) battent le rythme continu tandis que ceux de droite (ibishikiso) suivent les cadences données par le tambour central. Quelques tambourinaires dansent sur le rythme imposé par le groupe », raconte-t-il, notant que ce rituel peut être associé à une danse guerrière.
En plein battement, poursuit-il, souvent ce sont trois tambourinaires qui se détachent du groupe pour faire des démonstrations, plaire aux spectateurs : « Tour à tour les tambourinaires prennent place au centre et dirigent le groupe. La danse exécutée par le tambourinaire placé au centre mêle fantaisie, rires, joie, etc. A de nombreuses reprises apparait le geste de se trancher la gorge qui symbolise l'attachement au pays avec ce message : « Que je meure si je trahis »Les plus jeunes et habiles font des acrobaties et peuvent sauter jusqu'à quelques mètres en hauteur.
Régi par un décret
Trois ans après son inscription au patrimoine immatériel de l'UNESCO, le gouvernement burundais a, en 2017, pris la décision de suspendre le jeu du tambour dans des cérémonies non officielles comme les célébrations des mariages, remise de dot, etc.
Ainsi, dans le souci de mettre à l'honneur ce patrimoine, il a adopté un décret portant Réglementation de l'Exploitation du Tambour aux niveaux national et international et a mis en place une journée nationale dédiée au tambour.
« Toute exhibition d'une troupe de tambourinaires en dehors des cérémonies officielles va requérir une autorisation du ministre ayant la culture dans ses attributions », précise ce décret du 20 octobre 2017.
Il interdit d'ailleurs, dans son article 3, les personnes de sexe féminin de battre le tambour comme le veut la tradition.
Et selon un traditionnaliste interrogé par AllAfrica, certaines parties du tambour sont assimilées à celles d'une femme. Il parle du ventre, des seins, etc. « Selon la tradition, elles peuvent seulement accompagner les tambourinaires par des danses et pas battre le tambour. C'est interdit », tranche-t-il.
Toujours dans le souci de protéger le tambour, ce décret mentionne que toute formation, organisation ou groupe ayant dans ses objectifs l'animation culturelle doit se faire enregistrer au ministère de la culture.
« Toute exhibition d'une troupe de tambourinaires en dehors des cérémonies officielles, requiert l'autorisation du ministre ayant la culture dans ses attributions. Cette autorisation est notamment exigée lors des cérémonies de mariage, dot, de naissance, de remise de diplôme, etc », stipule l'article 5 dudit décret.
Dans son article 6, il mentionne que ''la demande est introduite par l'organisateur de l'activité au moins deux semaines avant la date des cérémonies, en précisant la date, le lieu et la durée du spectacle. « Avant de délivrer toute autorisation, le ministère de tutelle apprécie la pertinence d'une troupe de tambourinaires à cet évènement », note-t-il.
Cette réglementation prévoit aussi des sanctions pour les récalcitrants et trois ministères sont chargés de la mise en application de ce décret à savoir, celui de la culture, des finances et celui du tourisme.