Afrique: Violations contre les civils au Noso - Militaires et groupes armés se nourrissent de l'impunité

Les principes édictés par l'Organisation des Nations unies pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité ne sont pas respectés au Cameroun. La situation s'empire. Human Right Watch a dénoncé les exactions dans un rapport publié en juin dernier.

Défenseur des droits humains, Hilaire Kamga épingle le régime de Yaoundé qui refuse d'admettre que le Noso est traversé par un conflit armé non international. " Je suis menacé de mort par des personnes qui se présentent comme des membres des groupes séparatistes armés. Ils m'ont déjà appelé plusieurs fois pour me demander de me taire et de leur donner mon effort de guerre, sinon ils feront ma peau au cas où ils me trouvent.

J'ai quitté le village. Avant, je me suis plaint à la brigade de gendarmerie de Kouoptamo courant ce mois de juin 2022. Mais aucune suite n'a été donnée à ma plainte ", se lamente Menfoup, victime d'une attaque orchestrée par des personnes revendiquant appartenir à l'un des groupes séparatistes armés qui affrontent les forces gouvernementales camerounaises dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest.

Ce dernier a au moins eu le courage de dénoncer les menaces essuyées au téléphone. Que font alors les personnes présentes au cœur des affrontements ? " A qui et où devons nous porter plainte suite aux exactions subies par nous et les membres de nos familles ? C'est la loi de la jungle. On tue pour un rien.

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Les militaires comme les membres des groupes séparatistes armés portent atteinte en toute impunité aux civils. Presque chaque mois, j'enterre des proches. Ils sont tués pour rien par des militaires ou des sécessionnistes ", dénonce " docteur " Ngam, un originaire de Fundong dans la région du Nord-Ouest. Ce vieillard passe ses journées à implorer le bon Dieu afin que cesse les hostilités. Il ne croit aucunement à l'efficacité des mécanismes juridictionnels en matière de sanction des auteurs des exactions en temps de guerre. " Je n'ai jamais porté plainte et je ne le ferai pas. Je crains pour ma vie.

Que peut faire le tribunal contre des hommes armés et regroupés dans les milices ou les troupes gouvernementales ? ", s'interroge-t-il. " Pour sauver ma tête et celle des membres de ma famille, j'ai fui pour me refugier ici à Galim. Mes bœufs ont été tués. Des membres de ma famille ont été tués par des groupes sécessionnistes armés. Je ne peux rien. Ils me connaissent bien. Je tiens juste à la sécurité de ma vie. Mes proches ont été enlevés également par des groupes séparatistes armés.

Des rançons ont été payées. Si vous portez plainte contre les groupes armés ou les forces armées, ils viendront vous tuer ou exterminer les membres de votre famille. La seule solution est de se cacher ou de fuir la zone des hostilités ", indique-t-il. Reste qu'au fil des jours, des familles portent, silencieusement, le deuil des leurs qui tombent sous les balles des forces armées en conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest.

Contacté par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade), Hilaire Kamga, spécialiste en matière de promotion et de protection des droits humains, épingle le gouvernement camerounais comme principal responsable de l'impunité des exactions contre les civils dans les régions sinistrées.

L'impunité sévit à cause du facteur négationniste du régime de Yaoundé. Le gouvernement refuse d'admettre qu'il s'agit d'un conflit armé non international. Pour les autorités il s'agit d'une opération de maintien de l'ordre renforcé afin de traquer des délinquants.

Les militaires et les forces gouvernementales qui commettent les violations restent alors impunies. " Tous ces facteurs sont exacerbés par l'absence ou l'inaccessibilité des recours. Le gouvernement de Yaoundé ne veut pas reconnaître qu'il s'agit d'un conflit armé non international. Ce régime ne veut pas que soit appliquée la Convention de Genève relative au droit de la guerre. Nous, les défenseurs des droits humains, nous avons constitué un réseau pour défendre les personnes victimes des violations ou des abus dans les deux régions touchées par des affrontements armés ", explique-t-il.

" Les flambées de violence, les conflits et les atrocités massives sont souvent enracinées "

L'expert en droit de l'Homme s'appuie sur le postulat de l'Organisation des Nations unies (Onu) pour dire que " l'impunité constitue un manquement aux obligations qu'ont les États d'enquêter sur les violations, de prendre des mesures adéquates à l'égard de leurs auteurs, notamment dans le domaine de la justice, pour que ceux dont la responsabilité pénale serait engagée soient poursuivis, jugés et condamnés à des peines appropriées, d'assurer aux victimes des voies de recours efficaces et de veiller à ce qu'elles reçoivent réparation du préjudice subi, de garantir le droit inaliénable à connaître la vérité sur les violations et de prendre toutes mesures destinées à éviter le renouvellement de telles violations ".

Cette position est partagée par le Centre pour les droits humains et la démocratie en Afrique (The Center for Human Rights and Democracy in Africa). Cette organisation pilotée par Me Agbor Bala Nkongho s'oppose aux multiples dérives des forces armées et des groupes séparatistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest depuis le déclenchement de cette crise armée.

Elle souligne que les flambées de violence, les conflits et les atrocités massives sont souvent enracinées et accélérées par la discrimination, les inégalités économiques, l'exclusion sociale, la marginalisation et le non-respect des droits socio-économiques. Selon Human Right Watch, une organisation internationale de défense des droits humains, qui a publié un rapport le 27 juin dernier, " depuis janvier 2022 des combattants séparatistes armés ont tué au moins sept personnes, en ont blessé six autres, ont violé une fille et ont commis d'autres violations graves des droits humains dans les régions anglophones du Cameroun ".

Dans un contexte de recrudescence de la violence, les séparatistes ont également brûlé au moins deux écoles, attaqué une université, enlevé jusqu'à 82 personnes, dont 33 élèves et cinq enseignants, et menacé et battu 11 élèves. Selon certaines organisations, il est question que les auteurs des crimes contre les civils, qu'ils soient membres de l'armée gouvernementale ou des groupes séparatistes armés, soient traduit devant les juridictions compétentes.

Tabenyang Brado, un chef sécessionniste sur www.cameroonconcordnews.com, continue de faire l'apologie de la guerre et exclut toute hypothèse de paix. Pour lui, seule l'indépendance des deux régions anglophones ramènera la paix. Au prix des vies humaines ?

Alors que le pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention de Genève relative aux conflits armés non internationaux condamnent les atteintes à la vie humaine, surtout celle des civils en zone de conflit armé. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 6 énonce : " le droit à la vie est inhérent à la personne humaine.

Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. " Quant à elle, la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre en son Article 3 précise : " Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. "

La compétence concurrente des tribunaux pénaux internationaux

Selon l'Organisation des Nations unies, il est important que " vivre dans la dignité et la sécurité, en sachant que l'Etat de droit est garanti, ne devrait pas être un privilège réservé à une toute petite minorité, selon la géographie, la race, la richesse, le sexe, l'ethnicité ou d'autres facteurs. " Cela devrait être une réalité pour tous partout dans le monde, et pour tous dans chaque État.

Ainsi le principe 20 de l'ensemble des principes édictés par l'Organisation des Nations unies pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité traite de la compétence des tribunaux pénaux internationaux et internationalise. Selon ce principe, la compétence première des États en matière de crimes graves selon le droit international demeure la règle.

" La compétence concurrente des tribunaux pénaux internationaux ou internationalisés peut être retenue, en fonction de leur mandat, lorsque les tribunaux nationaux ne présentent pas de garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité, sont dans l'impossibilité matérielle de mener des enquêtes ou des poursuites efficaces ou n'en ont pas la volonté ", énonce l'Onu. Le principe 21 impose alors aux États de prendre des mesures efficaces, notamment adopter une législation interne ou la modifier, pour permettre aux tribunaux d'exercer la compétence universelle en matière de crimes graves selon le droit international, conformément aux principes du droit coutumier et du droit conventionnel qui s'appliquent.

Deux généraux nommés " pour ramener la paix "

En vue de ramener la paix, le Président de la République du Cameroun, Paul Biya, a effectué, en date du 14 juillet 2022, des nominations au sein du dispositif sécuritaire dans la région du Nord-Ouest, en proie depuis plus de cinq ans à la crise anglophone. Le général Bouba Dobekreo, homme d'expérience jusque-là en poste dans l'Extrême Nord, a pris ses fonctions mardi 19 juillet à Bamenda. Il promet de ramener la paix. Le ministre de la Défense s'est déplacé dans la capitale régionale du Nord-Ouest pour l'occasion.

Le brigadier général Bouba Dobekreo et le brigadier général Housseini Djibo ont été nommés respectivement à la tête de la 5e région militaire et de la 5e région de Gendarmerie pour les régions du Nord-Ouest et de l'Ouest. En déplacement à Bamenda pour l'installation des deux généraux, le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, a tenu à rappeler aux militaires toutes les précautions nécessaires dans l'exercice de leur mission pour éviter les exactions et préserver la confiance avec les populations : " Vous devez mettre à la disposition de la justice, sans états d'âme, ni complaisance, tous les contrevenants aux lois et règlements de la République, déclare le ministre de la Défense. En invitant par ailleurs vos collaborateurs et subordonnés au respect des procédures et à une gestion légale d'une liberté publique "

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