Madagascar: Crise du papier journal, crise de la démocratie

La liberté d'opinion, et surtout son expression imprimée, tient à si peu de choses.

La pénurie de papier journal inquiète les journaux occidentaux depuis un an. Dans le village mondialisé, la crise aura mis du temps, mais elle a fini par toucher les lointains rivages de l'île Madagascar.

L'âge démocratique de notre société est encore celui de l'époque de création des "broadsheet Newspapers" britanniques (The Times, 1788 ; The Guardian, 1821 ; The Daily Telegraph, 1855) ou américains (New York Times, 1851 ; Washington Post, 1877). Une presse écrite de qualité semble tout de même plus utile à cette démocratie en construction qu'un forfait illimité de Facebook.

L'Occident a anticipé la numérisation : on parle d'une baisse de production de 25% en cinq ans et de la disparition de 45% de la capacité de production papetière en Europe, depuis 2007. Fracture numérique : à Madagascar, même dans les grandes villes, quel pourcentage a accès à Internet et au format numérique des journaux ?

Filiales du groupe norvégien Norske Skog, les usines de papiers journaux Norske Skog Golbey (France) et Norske Skog Bruck (Autriche) transformeront une de leurs machines à papier journal en machine à carton. Les papeteries se reconvertissent dans le carton pour accompagner le boom de la vente en ligne et de la livraison à domicile. Ce choix commercial en faveur de la production de colis d'emballage en carton crée une tension aux dépens du papier journal : si le papier peut être recyclé en carton, la réciproque n'est pas possible. Il faudra bientôt choisir entre un journal ou une pizza...

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Un coup d'oeil à l'index NBSK (Nothern Bleached Softwood Kraft) renseigne que, dans l'absolu, le prix de la pâte à papier avait déjà pu passer de 400 USD la tonne (1999) à 900 USD (printemps 2000), avant de dégringoler à 515 (février 2001), pour repasser à 860 USD (mai 2000). À 1230 USD/tonne (juin-novembre 2018), il était encore de 810 USD (juillet 2020) pour atteindre 1310 USD la tonne, en juin 2021. Que penser finalement de ce yo-yo.

Rareté et renchérissement. Pénurie entretenue, exportations orientées vers des marchés mieux rémunérateurs : business as usual. Un "marché opportuniste", mais on mettra gentiment le tout sur le dos du Covid ou de la guerre en Ukraine.

Un article de 1951, "La pénurie du papier journal: un rébus que la science peut résoudre" (cf. Le Courrier de l'UNESCO, volume IV, 7/8, p.14, 1951) nous apprend que le problème avait déjà pu être onusien : "Nous parlons volontiers de l'âge atomique ou de l'âge de l'acier, mais il est rare que nous nous rendions compte à quel point notre civilisation repose sur l'emploi d'une matière aussi courante que le papier journal. Pourtant, il suffit de réfléchir un instant pour réaliser que le papier est un élément essentiel dans le domaine de l'éducation, dans celui de l'information et, en général, dans toute notre vie moderne".

Pins, sapins, ifs et autres arbres à feuilles persistantes fournissent la majeure partie de la pâte à papier mondiale : cet article évoque des recherches alors en cours pour l'extraction de papier à partir d'arbres tropicaux, d'eucalyptus, de bambou, de canne à sucre, ou de papyrus, l'ancien "papier" des scribes égyptiens de l'Antiquité.

À Madagascar, la collecte des vieux chiffons n'atteint pas une dimension industrielle tandis qu'une "exploitation raisonnée des forêts" est restée une vue de l'esprit. Pourtant, on peut toujours rêver d'une unité R&D articulée à la PAPMAD (les Papeteries de Madagascar) pour, là aussi, viser toujours l'autonomie de fournitures.

Certes, les journaux pourraient réduire la pagination et diminuer le nombre d'exemplaires. Voire, augmenter le prix jusqu'à être définitivement inaccessibles. Ce qui n'aurait aucun sens : et commercial et démocratique. Les différents acteurs trouveront-ils la volonté commune d'interpeller le Gouvernement quant aux mesures envisagées, par exemple la mutualisation du papier journal ? Mine de rien, une pénurie de papier journal affecterait le pluralisme des idées en amont des futures élections de 2023.

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