Madagascar: Belo-Ampasy - " Fitampoha ", Toera le grand absent

Le " Fitampoha " est une des traditions les plus simplistes, faciles à vivre et peu ostentatoires à Madagascar. Il s'est tenu à Belo Tsiribihy et Ampasy du 4 au 12 août. Populaire et sage, il ne manque plus que " Toera " pour la plénitude.

" Il est interdit de porter des chaussures et des sandales. Le port du lambahoany - pagne en tissu - est obligatoire, le noir est aussi tabou ", prévient les quelques passagers du canot à moteur en direction d'Ampasy.

Au loin, de l'autre côté du fleuve Tsiribihy en aval, un nuage poussiéreux monte au ciel. Les pointes des banderoles d'une société de téléphonie jouent le rôle de phare. " C'est là-bas le Fitampoha ", balance Dany, un piroguier.

Après cinq minutes à longer la rive, à bifurquer à bâbord sans ménagement pour traverser en largeur le cours d'eau. Quelques ballottements en guise de premier accueil, les pirogues et les canots déposent des contingents de familles sur la plage d'Ampasy.

Depuis le 5 août, les habitants de Belo, là où ont été lancés les rituels d'ouverture du " zomba ", et des villages alentour accourent par vague sur cet îlot fluvial. Jusqu'au 11 août à minuit selon l'édit des souverains. Toutefois c'est plus tôt, puisque les esquifs cessent de travailler vers 17h.

À partir de cette heure, il est interdit de s'y laver, d'y puiser de l'eau pour les tâches en cuisine, de s'y baigner, de s'y désaltérer... Le fleuve ne doit plus être touché par un humain. C'est en quelque sorte le début de la purification. Personne ne peut retraverser jusqu'au lendemain à 15h.

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Sur une longueur d'une dizaine de kilomètres, la mort peut être la sanction de celui ou celle qui brave cet interdit. Alors ce 11 août, c'est la dernière ligne droite avant la cérémonie effective du bain des reliques royales.

Vers 14h, un orateur clame à travers les enceintes. " Dès maintenant, allez faire des réserves d'eau, parce que l'heure approche ". Aussitôt suivis par des femmes avec leurs bidons jaunes, les enfants profitent des dernières heures pour s'amuser dans le fleuve.

Soudain, des cris d'effroi émanent de la plage gauche d'Ampasy. Des centaines de badauds accourent. Le bruit circule vite qu'un enfant s'est noyé ou a failli se noyer, c'est selon la version de chacun dans la panique.

" Va voir, notre fille est partie là-bas avec ses amies ", enjoint une mère à son mari. Celui-ci se lève et disparaît dans la foule. Même topo chez toutes les familles. Plus de peur que de mal, " c'est une femme visitée par un esprit ", souffle le père de famille d'un ton soulagé.

En ces deux derniers jours de " Fitampoha ", deux phénomènes de ce genre ont émaillé la placidité ambiante due à la chaleur. Lorsqu'en général, une femme est visitée par l'esprit d'un roi ou d'autres nobles ancestrales. Portée par son visiteur de l'au-delà, elle court et plonge dans le Tsiribihy.

Quand les émois se tempèrent, elle rejoint ou est ramenée vers le " trano fotsy ", littéralement " maison blanche ", préau sacré mettant à l'abri les " Sazoky ", femmes connectées aux esprits des rois Sakalava. Dans le vocabulaire malgache usuel, ce sont les " tromba ".

Pour faire intervenir les esprits de régents, le " kolondoy " est pratiqué. Chants accompagnés de battements de mains ou de tambours, dénommés " Hazolava ", entrecoupés de sons de conques marines, quelques uns pêchés à Ihorombe.

Ces " Sazoky " sont les garants de la bénédiction. Ministre, directeur de ministère, gradé de la gendarmerie, juge, avocat, médecin, politicien... tout le monde s'agenouille devant elles. Elles bénissent sans distinction toutes les personnes venues rendre honneur au " Fitampoha " et au roi.

Personne n'est d'obligé de recevoir cette faveur. C'est selon la volonté de chacun et chacune. Tout de même, dix onctions d'eau sacrée d'affilée, cela mouille la chemise.

Il ne faut pas croire que les milliers de personnes présentes à Ampasy vadrouillent et s'installent où elles veulent. Des genres de stands-maisons ont été érigés, une centaine au grand maximum. Faits d'ossature en bois rond avec des murs et des toitures en " paille ".

L'emplacement des paillotes est ordonné selon le rang socio-historique. Ceux des dignitaires et des nobles sont placés au premier plan. Entourant la grande place destinée au bal populaire nocturne. Au centre de laquelle domine le " trano fotsy ".

Celle du roi coutumier Magloire Bertin Kamamy est le plus proche du " rivotsy ". Une alvéole en forme de tente de la guerre de sécession recouvert d'un tissu blanc. Elle se trouve à la pointe nord-est de l'île. L'espace où elle est placée est entouré par un cordon rouge, infranchissable.

Il s'agit des reliques, ou " dady ", des dix grands monarques du groupe humain Sakalava, des pères fondateurs aux plus récents rois des dernières décennies. Soit plus de 700 ans d'histoire. Elles ont été emmenées depuis Belo le 5 août. Selon une longue procession en " huit ".

Avec toujours ce ton empli de regret chez les dignitaires quand un sujet précis est évoqué. " Pour le moment, Toera n'est pas là. Il faut que son crâne soit là et les conditions pour constituer les reliques seront remplies ", fait savoir Piero Kamamy, un des membres du comité d'organisation.

" Toera est un exemple pour nous, ce qu'il a fait, il a combattu et a réussi à ne jamais laisser les Français entrer à Madagascar durant son règne ", renchérit un père de famille. Quand son nom est évoqué à travers les innombrables bars du lieu, la ferveur est constante.

Durant le " Fitampoha ", un documentaire sur son histoire a été projeté sur la grande place centrale. La preuve, quand une forte délégation ministérielle et administrative, avec zébus et grosses monnaies, ont effectué leur discours devant l'assistance et le monarque Magloire Kamamy.

Ce dernier, effleurant à peine les remerciements, a beaucoup insisté, parfois à la limite de la supplication, sur la nécessité capitale du retour du crâne de Toera à Madagascar. Le brouhaha des milliers de personnes présentes s'estompe un instant.

Chaque discours est amplifié pour être entendu de tous. Un autre orateur, pour s'étaler plus sur les reconnaissances, a repris le micro et a longuement remercié les responsables étatiques. " Il y aura un impact fort sur le groupe humain Sakalava si le crâne est de retour ", accorde Piero Kamamy.

Mais aussi sur tout le pays. À en croire les représentations et les faits d'armes accolés à sa légende. Toera symbolise une féroce jalousie à l'Indépendance de son peuple, de ses terres. Il a été le premier à protéger jusqu'à sa mort Madagascar de l'invasion des français colons.

Il était également un grand stratège utilisant " le génie de la nature " pour battre les ennemis. Fabiela Derostant Fiavota, un autre dignitaire royal, clame, " il maîtrisait la guérilla comme personne ".

Le roi aurait interdit aux Sakalava de manger des " fody " de l'espèce des " Foudia madagascariencis ". Petit oiseau, dont le mâle est souvent rouge éclatant, présent à l'ouest et presque dans tout le pays.

Selon une croyance locale, quand les Français ont tendu une embuscade à Toera et ses compagnons. Ces derniers étaient dissimulés dans la végétation. Des " fody " étaient alors nombreux entourant la cachette des Malgaches.

Facile à apeurer, les oiseaux ne se sont pourtant pas envolés. Le contraire aurait permis aux assaillants de repérer la cachette du roi et de ses compagnons. Les colons sont passés sans rien voir. Depuis ce jour, il a interdit la consommation de ce volatile.

Même jusque dans la culture alimentaire, ce grand roi a marqué son empreinte. Si la monarchie Sakalava était assimilée à du basket-ball, il serait le " goat ". À Ampasy, ce 11 août, les dernières lueurs du jour poussent des techniciens à allumer les lampadaires " cobra " alimentés par des groupes de la Jirama.

Une quinzaine quadrille toute la place, le " Rivotry ", le " trano fotsy ", les cases des nobles, les huttes des marchands, l'espace du grand bal, le terrain de moraingy. Moment choisi pour un orateur d'annoncer au micro, vers 19h que le " valabe " commence.

Pour faire simple, il consiste à permettre à tout le monde de copuler sans tabou. " Sauf pour toutes les formes d'inceste ", prévient tout de même Piero Kamamy. Au fil des générations, cela a beaucoup changé. " Avant, les femmes étaient prises de force par les hommes. Elles ne pouvaient refuser. Si elles étaient mariées, leur mari devait l'accepter. Aujourd'hui, c'est presque interdit ", met en avant Gilbert, un septuagénaire. Puis un jour de " Fitampoha ", un mari jaloux aurait tué sa femme qui a suivi un autre homme.

" À partir de ce moment, ces mœurs ont été adaptées au contexte de notre époque ", ajoute-t-il. Cependant, la pratique est restée. Les deux parties sont en connaissance de cause. " Si vous marchez le long des plages, vous verrez plein de lambahoany servant de cachette ", s'amuse un dignitaire.

En arrière plan de ce petit village improvisé, un espace a été organisé pour le " moraingy ", lutte traditionnelle. Grisant ces joutes nocturnes. Le principe, c'est du deux contre deux ou trois contre trois, les coups de pied sont interdits.

Pas de duel à la d'Artagnan, comme il se fait d'habitude. Des gars des quartiers de Belo s'invectivent. D'autres groupes provoquent des groupes venus d'un village éloigné. Les gendarmes et les policiers présents ont fort à faire. Les affrontements se déclenchent soudain sans arbitre.

Dès qu'un protagoniste est à terre, d'autres gars viennent les séparer. Enfants, femmes et hommes participent. Dans la " salle " de bal, des jeunes s'affrontent au " kilalaky ". C'est le genre musical officiel du " Fitampoha ".

Dès qu'un artiste comme Shyn, Agrad, Vaiavy Chila et d'autres pointent leur nez, mixés par le Dj, quelques minutes suffisent pour faire réagir le public. " Allez les gars, mettez du kilalaky ! ", crient quelques voix depuis la fosse.

Cette danse se fait en file indienne et en rond. Explosive, ordonnée et improvisée, de 8h du soir jusqu'au lendemain vers 5h le 12 août, la poussière se soulève. Des groupes s'organisent. D'autres arrivent. La place est laissée aux plus créatifs capables de générer le plus de suiveurs.

Il est 4h25 le 12 août. Le grand jour désigné pour le " Fitampoha ", le bain des reliques, est arrivé. Les musiques pétaradantes reprennent de plus belle. Des précautions sont à prendre en sillonnant les stands. Au risque d'écraser des dormeurs.

Des pieds sortent d'une case. Des gens sommeillent, agglutinés dans un petit espace. Salvateur par la brise froide emmenée par l'eau du fleuve. Tandis qu'un groupe autour des dernières flammes d'un mini-feu démarre la première bouteille de rhum artisanal du jour.

" Un coup de fouet ", s'amuse un connaisseur. Les dignitaires sont tous debout. Ils portent un pagne en tissu de mêmes motifs et couleurs, le rouge et le blanc. Quelques-uns encore un peu étourdis de la dernière nuit s'attardent au lit. Vers 8h, la cérémonie débute.

Elle est pliée par la baignade effective après une heure trente environ. Pas de chichi ni de grandes démonstrations ostentatoires, le " Fitampoha " c'est aussi le pragmatisme ritualisé. La procession en " huit ", ou alors en signe de l'infini, marque toujours chaque déplacement des reliques.

" Pour éviter les pièges et les sorcelleries, les rois d'antan changeaient souvent leur trajet. Ils ne revenaient jamais sur leur premier parcours ", renseigne Piero Kamamy. Marcher en huit durant permet donc de duper l'ennemi.

Comme pour le retour des " dady " a Belo le lendemain, samedi. Les porteurs avancent en huit, sans emprunter le chemin de l'aller. Portées par les " mpibaby ", ceux qui les tiennent sur leur dos, les reliques sont plongées et lavées avec le " fihositry ", un savon naturel, entre autres.

Tout d'un coup, un homme se retire des milliers de personnes attroupées regardant la cérémonie. Il demande à tout venant, " où est le micro ? J'ai des choses à dire. Quelque chose ne va pas ". Il s'épanche sur l'oreille d'un dignitaire. Quelque part un potentiel débordement a été évité.

Hors de lui, il explique des défauts dans l'application de la tradition. Son souci vient des zébus en offrande. Faire un sacrifice avec un animal " handicapé ", " misy kilema " selon le jargon local, est interdit.

Comme lui, d'autres aussi ont remarqué cet état de fait. Aux dernières nouvelles, une grande réunion de l'ensemble de la dynastie Sakalava du Menabe a suivi quelques jours après le " Fitampoha " à Morondava. Histoire de mettre les points sur les " i ".

Il faut l'avouer, quelques dents grincent. Soit sur l'application strictosensu des traditions, soit sur la gestion des finances autour de l'évènement. " Nous pensons le faire tous les deux ans. Les années impaires sont par contre interdites ", annonce Piero Kamamy.

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