Maroc: Concussion

Défiant toute logique, les services consulaires français exigent de se faire payer pour services non rendus

" C'est de l'escroquerie ", c'est ainsi que Bouazza El Kharrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), qualifie le refus de l'ambassade de France de restituer les frais de visa aux personnes déboutées.

Arnaque et atteinte aux données personnelles

Selon lui, le versement de sommes précises exige, en contrepartie, l'obtention d'un service. " Du moment que le service d'octroi du visa n'a pas eu lieu de la part des services consulaires français au Maroc, les personnes concernées ont le droit de récupérer les frais payés ", a-t-il déclaré aux médias tout en rappelant que la France est un pays signataire des accords onusiens exigeant la protection du consommateur et doit respecter ses engagements.

Concernant la société TLS Contact chargée de la réception des dossiers de visa, le président de la FMDC estime qu'elle exploite les données personnelles des citoyens marocains alors qu'il s'agit d'une société qui n'a rien d'une autorité administrative et dépourvue de toute représentation étatique. Du coup, la FMDC estime que l'obtention des données personnelles ne relève pas des prérogatives de cette société intermédiaire.

Le Défenseur des droits a indiqué qu'une tension forte existe entre la proclamation et la réalisation d'un " principe universaliste d'égalité" et d'un "principe réaliste de souveraineté étatique"

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Dans le même sens, Bouazza El Kharrati pense que les Marocains ont le droit d'accéder à l'information concernant le nombre de visas censés être accordés par la France et doivent être informés par l'ambassade de France ainsi que ses consulats si ce nombre a été atteint. A ce propos, le président de la FMDC a appelé la France ainsi que le reste des ambassades européennes à respecter le consommateur marocain et sollicité le gouvernement marocain à ne pas hésiter à agir de la même sorte que les pays qui restreignent l'accès des Marocains à leur pays.

Le pouvoir très discrétionnaire des visas

La condamnation des agissements français par la FMDC n'est pas la première du genre et ne sera pas la dernière. Déjà en 2016, le Défenseur des droits français avait, dans un rapport sur les droits des étrangers en France, établi une liste des obstacles qui se dressent à l'accès des étrangers aux droits fondamentaux en France et mesuré l'écart entre les droits proclamés et les droits effectivement exercés. " Or, ces obstacles ne sont pas seulement liés à des pratiques dépourvues de base légale. C'est dans la règle de droit elle-même qu'une tension forte existe entre la proclamation et la réalisation d'un " principe universaliste d'égalité ", qui conduit à supprimer les différences de traitements illégitimes, et d'un " principe réaliste de souveraineté étatique " qui conduit à créer et développer des régimes juridiques et un accès aux droits différents fondé sur la nationalité ", précise le rapport.

Risque migratoire

Selon ce dernier, la délivrance des visas est une compétence éminemment discrétionnaire qui relève du pouvoir régalien des États qui déterminent souverainement les conditions d'entrée et de séjour sur leur territoire. " Toutefois, la large marge d'appréciation dont jouissent les Etats en la matière est aujourd'hui encadrée à un double niveau : par le droit de l'Union européenne d'abord, et par les normes internationales en matière de droits fondamentaux ensuite. Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la politique des visas est en effet une compétence partagée entre l'Union européenne et les Etats membres.

En 2009, l'établissement d'un code communautaire des visas, dit " Code des visas ", est ainsi venu consacrer une compétence exclusivement européenne dans le domaine des visas de court séjour ", précise-t-il. Et d'expliquer : " Toutefois, le respect des normes édictées par la Convention EDH (Convention européenne des droits de l'Homme) impose certaines limites à la délivrance discrétionnaire des visas de court séjour. En revanche, le domaine des visas de long séjour relève toujours principalement de la compétence des Etats membres.

Plusieurs articles du CESEDA (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) y sont consacrés. Et c'est dans ce dernier domaine que les limitations imposées à l'appréciation discrétionnaire des Etats par les conventions internationales protégeant les droits fondamentaux - notamment la Convention EDH ou la CDE (la Convention relative aux droits de l'enfant) - s'avèrent les plus prégnantes, puisque ces visas, dits d'installation, sont majoritairement sollicités pour des motifs familiaux ".

Par ailleurs, ledit document indique que " le code communautaire des visas énumère les hypothèses dans lesquelles les autorités consulaires peuvent refuser la délivrance d'un visa de court séjour Schengen parmi lesquelles l'existence de doutes raisonnables quant à la volonté du demandeur de quitter le territoire de l'Etat membre avant l'expiration du visa, autrement dit, si l'étranger représente un " risque migratoire ".

" Dans un arrêt du 19 décembre 2013, la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) a considéré que la liste de refus posée par le code des visas avait un caractère exhaustif. Elle estime, en outre, que les Etats n'ont pas à acquérir de certitude quant à la volonté du demandeur de quitter, ou non, le territoire de l'Etat membre avant l'expiration du visa demandé, mais que l'évaluation de l'existence de tels doutes repose sur des éléments complexes réservant une marge d'appréciation importante aux autorités compétentes ", note le rapport du Défenseur des droits français qui s'inquiète de ce qu'un tel motif de refus puisse être opposé de façon trop systématique, notamment lorsque ces décisions portent atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale tel que protégé par l'article 8 de la Convention EDH.

A ce propos, le rapport cite plusieurs exemples saisis de façon récurrente de refus de visas opposés sur le motif du " risque migratoire " à des parents de Français souhaitant rendre visite à leurs enfants et petits-enfants français. " Or, si l'administration consulaire dispose d'une importante marge d'appréciation s'agissant de l'évaluation d'un tel risque, cela ne la dispense pas de prendre en compte, dans l'examen de la demande de visa, le respect des droits fondamentaux des étrangers, en particulier leur droit au respect de la vie privée et familiale. Le Conseil d'Etat, saisi en référé, a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises ", souligne le rapport.

Recadrer le pouvoir d'appréciation

Et c'est pourquoi le Défenseur des droits a recommandé en 2016 aux ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur d'émettre des instructions en vue de guider les autorités consulaires dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation. Ces instructions viseraient à rappeler la nécessité de tenir compte de l'impact de leur décision sur le droit à la vie privée et familiale des demandeurs et de la situation particulière des demandeurs (membres de famille de Français, âge et état de santé) et à demander de procéder à un examen bienveillant des demandes de visas de court séjour présentées pour visite familiale ou privée dès lors que les demandeurs remplissent les conditions fixées par le code communautaire des visas, surtout lorsqu'il apparaît qu'un refus porterait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

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