Sénégal: Ancien village de pêche et grenier à riz du Rip - Keur Nalla, à la recherche du trésor perdu dans le Baobolong

22 Août 2022

Un des plus anciens villages du département de Nioro du Rip, Keur Nalla, est aujourd'hui nostalgique des activités économiques menées, jadis, sur la vallée du Baobolong. Ses habitants, 200 environ, plaident la restructuration de leur " trésor " en vue de mettre en valeur le potentiel agricole et de pêche de leur village.

A 9 heures passées, ce dimanche 24 juillet 2022, un nouveau jour se lève à Keur Nalla. A cette heure de la matinée, le soleil darde déjà ses rayons sur l'espace vert herbacé bien arrosé par une forte pluie de la nuit. Comme tous les jours, l'ambiance est à son comble dans cette bourgade de la commune de Porokhane : Des enfants, à moitié nus, jouent et se pourchassent devant les maisons sous le regard d'un groupe de chiens qui, apparemment, veillent au grain. Au milieu de dizaines de concessions, des moutons bêlent et picolent, quelques ânes et taureaux traînassent inlassablement et une dizaine de vieilles vaches allaitent leurs veaux avant le départ pour le pâturage.

Non loin de là, un groupe de jeunes, plus âgés, commente l'actualité politique sous un grand baobab. Ici, il est de tradition, après la pluie, d'attendre que le sol soit sec pour aller dans les champs. " C'est ce qui fait que vous les avez trouvés ici. Mais en temps normal, seules les vieilles personnes restent dans le village ", précise Thierno Amath Ba, jeune responsable.

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Keur Nalla, habité essentiellement d'éleveurs et d'agriculteurs, est situé à quelques encablures de la frontière gambienne. Fondé il y a 760 ans par deux frères Abou et Nalla, venus du Fouta, c'est la plus ancienne localité du département de Nioro du Rip. Ce village, placé sous l'autorité de Vieux Abdou Diallo, le 27e chef de village, manque de tout. Pourtant, il ressort des témoignages qu'il fut un véritable potentiel économique grâce notamment à la vallée du Baobolong qui traverse le village. Ce cours d'eau, défluent du fleuve Gambie, s'étend du Sud-ouest de Nioro à Maka-Yopp, soit une longueur de 150 kilomètres. Les habitants de Keur Nalla, de même que ceux des localités environnantes comme Porokhane, Médina Ndiobène, entre autres, s'adonnaient à la culture du riz et faisaient de la pêche.

Daouda Dieng, âgé de 75 ans, se souvient du beau vieux temps. " Mamadou Dia nous avait envoyé un tracteur pour le drainage du lac et pour nous faciliter la pratique de l'agriculture, notamment le riz. A l'époque, j'étais très petit, mais je me rappelle que nous travaillions presque toute l'année ", raconte-t-il, le sourire aux lèvres. " Je peux dire que nous étions le grenier à riz de la zone. A l'époque, on parvenait à nourrir nos familles et le reste de la culture était vendu dans les localités de la zone et même en Gambie ", appuie le septuagénaire, la tête poivre-sel.

" Il fut un temps où plusieurs dizaines de saisonniers venaient ici pour y gagner leur vie. Nos enfants restaient au village, on n'a jamais connu l'exode rural. A la fin de chaque saison, on parvenait à garder des réserves avec lesquelles on vivait tout le reste de l'année ", se remémore, de son côté, Adja Rouguiatou Ba, nostalgique.

Mais, ces moments de bonheur sont, aujourd'hui, un vieux souvenir. Car, depuis quelques années, avec la remontée du sel, aucune culture ne s'y exerce. " Il n'y a plus de poissons et la culture y est impossible à cause du sel. Nous n'avons pas les moyens de pouvoir des activités économiques comme le maraîchage et autres ", regrette M. Dieng. Selon lui, même l'eau du puits, -intarissable et creusé depuis des décennies-, est très salée.

" La grande solution, c'est d'endiguer l'avancée du sel en mettant en place un grand barrage au niveau de Keur Diatta dans la commune de Porokhane ", indique Malick Ba, directeur exécutif de l'Ong Symbiose. Il fait constater que, dans cette zone, la nappe phréatique est endommagée. Ce qui fait que dans certains villages environnants, l'eau de puits n'est plus consommable.

Dans ce contexte où l'on vante le consommer local et l'autosuffisance alimentaire, Keur Nalla veut retrouver son trésor dans le Baobolong. " Nous appelons les autorités à nous venir en aide pour qu'on puisse bénéficier de notre trésor, parce que cela nous permettra non seulement de manger à notre faim, mais également de nourrir tout le département ", plaide ce père de famille, qui pense qu'une fois le lac dragué, les villageois pourraient y mener le maraîchage pour augmenter leurs revenus.

Vivre ensemble

A Keur Nalla, des bâtiments témoignent de son ouverture à la modernité, mais il garde toujours ses us et coutumes autour du vivre ensemble. " Dans notre village, Toucouleurs, Socés, Sérères et Peuls vivent en harmonie, les Diallo étant les chefs et les Dieng les imams. Dieu merci, il n'y a jamais eu de problème entre nous ", lâche Habib Dieng, imam ratib de la localité. Chapelet entre les mains, le visage voilé par un foulard blanc, il soutient que ce village historique renferme de multiples secrets mystiques. D'ailleurs, Maba Diakhou Bâ a eu à y vivre avant de s'installer à Nioro.

" Pendant la période de guerre, tous les autres villages du royaume du Rip avaient été détruits sauf Keur Nalla. Personne n'y est jamais tué non plus. En fait, nos parents détenaient des secrets mystiques et c'est ce qui leur a permis de sauvegarder la localité ", confie-t-il. A l'en croire, " durant les durs moments de sécheresse, à chaque fois qu'on commençait à lire le saint Coran, la pluie commençait à tomber. Ça, c'est un de nos secrets et on en remercie le Bon Dieu ".

A part l'agriculture et l'élevage, l'enseignement coranique reste la principale activité quotidienne à Keur Nalla. Même si l'école française y est implantée en 1998, grâce aux démarches de feu Alassane Dieng, un fils de la localité, le passage à l'un des 4 "daaras" demeure obligatoire pour les enfants du village. " Il faut d'abord maîtriser le Coran ou une bonne partie avant de faire autre chose, c'est ce que nos ancêtres nous ont légués ", rassure Daouda Dieng, entouré de quelques notables du village. Le nombre d'élèves, venus également d'autres localités environnantes, n'a jamais dépassé la vingtaine par classe.

Enclavement

L'autre particularité de Keur Nalla, les quelque 200 habitants n'effectuent pas la prière chez eux. Pour preuve, à l'appel du muezzin, vers 13h 34, hommes, femmes, enfants, se sont vite retrouvés à la mosquée dirigée par l'actuel et 25e imam du village, depuis sa fondation. " On prie et on tend la main au Ciel pour un bon hivernage ", lâche Maman Aïssata, mère de famille de 58 ans. " Nous voulons nous développer, mais, nous ne souhaitions pas laisser de côté notre tradition. Ici tout le monde se respecte et nous suivons les recommandations divines ", ajoute son fils, Ismaïla.

Situé à environ 15 kilomètres de Nioro, Keur Nalla est enclavé. " Comme vous le voyez, le fleuve nous a complètement ceinturés. Les villages de Sotokoye, Keur Soutou sont là-bas, se situant à quelques petits kilomètres, mais par exemple pour aller à Nioro, il va falloir faire un grand tour en passant par Daga et Porokhane Peulh ", regrette Salif Ba qui, au bout du doigt tremblant, nous montre les bâtiments, antennes et autres édifices de la capitale du Rip. Il appelle les autorités étatiques à les aider pour des routes praticables et l'électricité de leur village.

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