Sénégal: [Feuille d'hivernage] Petit-Paris du Boundou - Une "ville lumière" en pleine brousse

22 Août 2022

Comme les Almadies à Dakar, Petit-Paris est un paradis au cœur du Boundou. Une ville lumière en pleine brousse. Dans ce village de Kidira, écoles, poste de santé, sièges administratifs, lieux de culte, logements des fonctionnaires... Tout est l'œuvre des émigrés. Un système de cotisation mensuelle permet d'envoyer des fils du village en France, avec l'ordre d'inscription sur la liste, le seul et unique critère qui vaille.

En allant à Petit-Paris, on se perd facilement. Roulant à vive allure, le motocycliste, guide d'une journée de découvertes, finit sa course au village appelé Sinthiou Dialiguel. " Non, vous n'êtes pas à Petit-Paris ", sourit un vieux mâchant sa cola. Puis, il entame une séance d'explications. " Si vous voyez une rangée d'étages, sachez que vous êtes arrivés à destination ", indique-t-il. Il a fallu encore appuyer sur l'accélérateur. Après une course d'un quart d'heure, on finit par découvrir l'architecture décrite par le notable de Sinthiou Dialiguel. La température avoisine les 42 degrés en cette matinée du mardi. Un groupe de jeunes et de vieux profitent de l'ombre d'un grand arbre en face du poste de santé.

Pendant ce temps, un bruit assourdissant provenant d'une menuiserie métallique rend difficile ou impossible toute discussion. Le vieux a raison. Le visiteur est tout de suite frappé par la floraison d'étages. Les ruelles sont ceinturées par des bâtiments en R2+, R+3, aux carreaux luisants et éclatants. Il n'y a plus de maison en paille ou en zinc dans ce village créé en 1840 sous l'appellation de Ouro Himadou. Ce nom est presque aux oubliettes depuis 2013. Et c'est grâce au génie d'une griotte venue de Kidira. " Avec toutes ces jolies villas, nous sommes à Petit-Paris ", s'est-elle exclamée, selon les confidences d'un des notables. L'ancien ambassadeur de la France au Sénégal, Christophe Ruffin, en visite sur cette contrée du Boundou en 2014 est allé plus loin. " Ce n'est plus Petit Paris mais Grand Paris ", avait dit le diplomate. Une réputation qui a failli leur priver d'une sélection au programme " L'eau pour tous ". " Quand le responsable est venu ici, il nous a dit "mais vous, vous n'avez plus besoin de rien, vous avez tout" ", rappelle l'un des notables du village, Sada Ly, par ailleurs secrétaire chargé des relations extérieures du village de Petit-Paris.

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Méthode, organisation et une caisse pour l'émigration

" C'est le paradis en pleine forêt ", rigole un vieux du nom de Demba Ly, en pleine discussion sous un arbre. Ainsi, l'homme en caftan blanc fait allusion à l'organisation et à la vie dans ce village de l'arrondissement de Bellé. Pour une population de 2.000 habitants, Petit-Paris compte plus de 150 émigrés en France. Amadou Tidiane Ly en est un. En djellaba noir, il mène une visite guidée du village commençant par sa propre demeure construite grâce à l'émigration. " Je suis cheminot en France. Ce qui m'a permis de construire cette terrasse entièrement carrelée ", explique-t-il. La prochaine étape est la présentation du premier étage du village construit en 2002. La façade est carrelée en bleue, les pourtours peints en jaune et rouge. Ici, la première maison en dur a été construite en 1980, la deuxième en 1986. Le premier étage a été bâti en 2002. Aujourd'hui, on en compte plus de 50.

Cette transformation fulgurante est propulsée par une organisation qui promeut la réussite sociale et un investissement dans la famille. Ainsi une caisse de solidarité est mise en place pour envoyer les jeunes en France. " La caisse est tout le temps alimentée. Quelqu'un qui veut aller trouver un emploi en France s'inscrit sur la liste. Le voyageur est choisi selon l'ordre d'inscription. La caisse gère tous les frais du voyage ", explique M. Ly. À l'en croire, l'émigré prend ensuite le temps de travailler et de rembourser. " Il n'y a aucune pression, il rembourse à son rythme, car l'intégration n'est pas toujours facile ", ajoute M. Ly.

2013, l'année des lumières

Avant 2013, ce n'était pas encore Petit-Paris, mais Ouro Himadou. Le changement n'est pas seulement que de nom. La localité a franchi un cap. L'émigration s'est développée. La lumière a jailli. Les rues et ruelles sont jalonnées de poteaux et de lampadaires. " La nuit, la lumière fuse de partout. Tous les coins sont éclairés ", signale le jeune Moussa, à l'aise en face du Poste de santé. Sada Ly embouche la même trompette. " C'est en 2013 que nous avons eu l'électricité. Et nous sommes le premier village du département à en bénéficier. Avant 2013, nous avions des papiers sénégalais, mais nous ne nous sentions pas Sénégalais. C'est lors du Conseil des ministres décentralisés de Tambacounda que nous avons envoyé un mémorandum.

Deux mois plus tard, notre requête a été satisfaite ", souligne-t-il. Cette lumière, indique Amadou Tidiane Ly, a favorisé le développement économique avec l'installation de plusieurs ateliers et commerces. " On est passé de zéro à sept ateliers de couture. Ce qui constitue un record. Des salons de coiffure, des menuiseries s'installent presque tous les jours, sans oublier les restaurants et fast-food qu'on trouve rarement en brousse ", explique l'émigré.

" De la glace partout "

À Petit-Paris, il ne neige pas, mais la glace est bien présente. Après l'électrification du village en 2013, le premier réflexe des émigrés était d'acheter 300 congélateurs pour permettre aux femmes de vendre de la glace aux villages environnants. Aujourd'hui, plus de 2000 congélateurs sont utilisés d'où l'expression " la glace partout " utilisée par les habitants. Les femmes s'épanouissent et se font de l'argent. Les principaux clients sont les villages maliens dépourvus d'électricité. " En période de chaleur, nous pouvons vendre le morceau entre 300 et 500 FCfa. Les Maliens traversent le fleuve pour venir s'approvisionner. C'est la principale activité des femmes qui gagnent bien leur vie ", dit Aïssa Ly mobilisée par la préparation du déjeuner. Sa voisine va dans le même sens. À ses yeux, l'électricité contribue à l'autonomisation des femmes. " En période de chaleur ou durant le Ramadan, nous nous en sortons bien avec des gains journaliers supérieurs à 3000 FCfa ", assure-t-elle.

Éducation, eau, santé

Des symboles d'une autonomie

À Petit-Paris, on n'attend pas l'Etat. Tous les besoins sont pratiquement satisfaits par les fils du village établis en France. Pour cela, un système de cotisation est mis en place. Chaque membre cotise mensuellement 60 euros. C'est ainsi que plusieurs infrastructures, d'un montant de 250 millions FCfa, ont été construites. " Sur fonds propres, nous avons construit une mosquée de 40 millions de FCfa, un collège d'un coût de 86,5 millions de FCfa, un poste de santé d'une valeur de 60 millions de FCfa. Le forage a été également érigé par les émigrés grâce à une enveloppe de 27 millions de FCfa. La clôture de l'école primaire a coûté 15 millions de FCfa. Sans oublier la construction de logements pour les enseignants qui ne déboursent que 5000 FCfa par mois pour l'entretien des bâtiments ", liste Sada Ly. Le siège de l'Assufor, d'une valeur de 7 millions de FCfa, est offert par les émigrés ainsi que les équipements du poste de santé estimés à 6 millions de FCfa, précise-t-il. Pour Sèga Ly, le chef de village, l'Etat fait également des efforts en affectant des enseignants et du personnel pour le poste de santé. " Nous sommes bien organisés. Nous ne connaissons que le travail, la solidarité, le travail, s'aimer entre soi. Petits comme grands, tout le monde essaie d'aller de l'avant. Si Dieu nous préserve des conflits, nous continuerons à développer la localité ", soutient-il.

Émigration clandestine, détournement de fonds, des phénomènes bannis

À Petit-Paris, on n'aime pas l'émigration clandestine. Le jeune Ousmane considère ce phénomène comme une honte. " Mieux vaut partir dans de bonnes conditions comme le font nos grands frères. En tout cas, c'est mon choix ", dit-il assis au milieu de ses camarades, sous l'ombre d'un arbre. Issa prolonge le débat. Et c'est pour s'interroger sur l'intérêt d'un voyage risqué. " C'est un gros risque que je ne prends pas. On peut en mourir et laisser sa famille orpheline ", ajoute-t-il. De l'histoire de Petit-Paris, aucun candidat à l'émigration clandestine n'a été enregistré, selon Sada Ly. Coordonnant l'association des émigrés, il souligne que tous les fils qui sont à l'étranger, l'ont fait de façon régulière. " Ils ont tous utilisé la voie légale pour émigrer. Aucun candidat à l'émigration clandestine n'est recensé ", explique-t-il. L'autre phénomène banni par cette communauté est le détournement de fonds. " Les émigrés cotisent chaque mois. La caisse est assez bien alimentée. Mais vous n'entendrez jamais parler de détournement. Tout est tracé ; même le plus petit centime ", éclaire M. Ly.

Marché quotidien, chambres froides, goudron, les grandes préoccupations

À Petit-Paris, les émigrés ont permis d'acheter un bus pour convoyer les élèves au lycée de Kidira et un autre véhicule qui se charge de l'approvisionnement quotidien des maisons en denrées. Toutefois, les difficultés et préoccupations persistent. Parmi elles, un marché quotidien qui permettra aux femmes de développer des activités économiques. " Les denrées que nous achetons chaque mois sont estimées à trois millions de FCfa. Si nous avons un marché, cette somme peut booster l'activité des femmes ", souligne Amadou Tidiane Ly.

Petit-Paris s'est tourné depuis quelques années vers le maraîchage. Ainsi, les jeunes qui s'activent dans ce domaine souffrent des problèmes de stockage. " Si nous avons des chambres froides, nous pourrons développer encore plus le maraîchage et approvisionner les villages environnants. Ça fera sans doute partie de nos prochaines priorités ", indique Sada Ly. L'autre préoccupation est le goudronnage de la piste. Cette doléance sera bientôt satisfaite selon M. Ly. " J'ai reçu l'engagement ferme de l'Etat. Le début des travaux ne va pas tarder, car le président de la République Macky Sall a toujours respecté ses engagements envers nous ", rassure-t-il.

De zéro à héros

À lui seul, il gère et coordonne tout. Depuis 2006, tous les projets de construction d'édifices publics et d'émigration des jeunes passent par lui. Sada Ly est un agent d'Air France à la retraite depuis 2006. Et depuis lors, sa vie est dédiée au développement de la localité au point d'être surnommé " la porte de Petit-Paris ".

" Je vais vous donner le contact de la porte et la force de Petit-Paris ". Ce sont les mots du président du Conseil départemental de Bakel, Mapathé Sy, pour présenter Sada Ly, un des notables de ce village au cœur du Boundou. En cette matinée de forte canicule, l'homme s'étale sur un lit fixé sur sa véranda. En caftan mauve, il gère presque à lui seul, les projets, affaires et relations de Petit-Paris. " Je suis secrétaire chargé des relations extérieures et coordinateur de tous les projets, intermédiaire entre les populations et les pouvoirs publics", dit-il, assez calme. C'est sa manière de s'offrir un repos bien mérité après plusieurs décennies d'activité en France. " Je suis parti le 25 décembre 1975 à Paris.

Et c'est là-bas que j'ai appris à m'exprimer en Français ", explique-t-il, revenant sur les péripéties de son adaptation. Après diverses activités, Sada Ly intègre en 1982 la compagnie Air France en tant que Chef cuisinier, devenant ainsi le seul Africain à y travailler. Leader dans le sang, il choisit de se mêler à la lutte syndicale " pour dire non quand il le faut et défendre les intérêts " des travailleurs. " J'étais le seul Africain à l'époque. Quelques années après, j'ai réussi à faire intégrer une dame saint-louisienne qui était ménagère dans une autre entreprise privée, puis mon jeune frère ", rappelle-t-il, le visage joyeux. Preuve, selon lui, qu'il " est facile de s'intégrer dans ce pays vu les excellentes relations entre Paris et Dakar ". " L'intégration a été réussie. J'y ai épousé une Française médecin, fille d'une biologiste et du vice-président de l'université Paris 7. Elle a accepté mes conditions, s'est convertie à l'Islam et prie toute seule.

Elle a même jeûné tout le ramadan ici avec cette chaleur ", rigole le vieil homme. Ambitieux et débrouillard, il y travailla jusqu'à la retraite en 2006. Ainsi, Sada décide de rentrer au village natal pour gérer les affaires de la cité en contact permanent avec les émigrés. Il opte également pour l'entreprenariat malgré les mauvais souvenirs. " J'ai débuté les projets en achetant des vaches. Les 72 têtes ont été volées en 1989 lors de la crise entre le Sénégal et la Mauritanie. Ça m'a choqué. L'économie est partie en fumée ", se souvient l'agent d'Air France à la retraite. Il s'est relevé par la suite et a réussi à construire un hôtel à Kidira, puis une unité de ramassage d'ordures ménagères.

Ayant envoyé plus de 20 jeunes à Paris, son rêve après la réalisation de diverses infrastructures, est de voir Petit-Paris disposer d'un marché quotidien. " C'est mon plus grand défi actuellement. Je déteste les titres, ce qui m'intéresse c'est le travail et le développement ", conclut-il.

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