Maroc: Reportage - Diplômés ou pas, les jeunes face aux affres du chômage

Nadia, Samira, Ali, entre autres, racontent leur dilemme à Libé On ne sait plus quelle formation suivre pour répondre aux attentes du marché

L' heure n'est pas du tout à la détente, entre les jeunes Marocains en quête d'emplois et le marché du travail dont la situation n'a quasiment pas connu de véritable amélioration. Le taux de chômage n'ayant toujours pas nettement reculé, plusieurs d'entre eux sont désormais persuadés que le sort s'acharne contre eux.

Il faut dire que les statistiques du marché de l'emploi, publiées au fil des derniers mois par les institutions publiques nationales sont loin de les avoir réconfortés ; d'autant plus qu'elles continuent de les ranger dans la catégorie de la population la plus durement touchée.

Le 8 août dernier, en présentant sa note d'information sur la situation du marché du travail au titre du deuxième trimestre de 2022, le Haut-commissariat au plan (HCP) avait annoncé un taux de chômage à 11,2% au niveau national, de 18,2% à 15,5% en milieu urbain et de 4,8% à 4,2% en milieu rural.

La même note précisait qu'"il est plus élevé parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (30,2%), les diplômés (18%) et les femmes (15,1%)".

Moins d'une semaine après, à l'occasion de la Journée internationale de la jeunesse, célébrée le 12 août dernier, l'organisme public dévoilait dans une nouvelle note que "près de 3 chômeurs sur 10 (29,7%) sont des jeunes. Près de 3 jeunes chômeurs sur 4 (75,8%) résident en milieu urbain ; 67,3% sont des hommes et 90,1% sont diplômés".

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Des chiffres qui font froid dans le dos des jeunes, qu'ils occupent déjà un emploi, soient au chômage ou hors de la main-d'œuvre, et les affectent à bien des égards. C'est le cas de Youssef, jeune diplômé de l'hôtellerie, "persuadé que le marché n'absorbera pas d'aussitôt la masse de jeunes chômeurs et de nouveaux demandeurs d'emplois".

Un pessimisme qui s'est d'ailleurs installé dans de nombreux foyers marocains, comme le suggéraient il y a peu les résultats de l'enquête de conjoncture réalisée par le HCP auprès des ménages au deuxième trimestre de l'année 2022.

En effet, selon cette étude, 86% des ménages sondés s'attendent à une hausse du chômage au cours des 12 prochains mois.

Enquête qui conclura ainsi que "le solde d'opinion est resté négatif à moins 81,1 points contre moins 82,8 points un trimestre auparavant et moins 69,8 points un an auparavant".

Quand bien même l'insertion des jeunes diplômés sur le marché du travail serait fragilisée par la crise sanitaire, comme l'a relevé récemment un rapport de l'OIT sur les tendances mondiales de l'emploi des jeunes 2022, "le gouvernement ne devrait pas prendre cette réalité comme un prétexte pour camoufler ses difficultés à résoudre durablement ce problème", estime Ali.

Il est important de rappeler que "le taux de chômage a atteint, au niveau national, 31,8% pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans contre 13,7% pour les personnes âgées de 25 à 44 ans et 3,8% pour les personnes âgées de 45 ans ou plus", selon toujours la note d'information du Haut-commissariat, publiée à l'occasion de la Journée internationale de la jeunesse.

La même source ajoutait : le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans titulaires d'un diplôme de niveau supérieur s'élève à 61,2% et qu'il est de 30,4% pour les jeunes détenteurs d'un diplôme de niveau moyen et de 12,9% pour ceux n'ayant aucun diplôme.

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient

Toutes ces données tendent à montrer que l'arrivée du gouvernement actuel, formé au lendemain des élections législatives, n'a vraisemblablement pas permis d'espérer une nette et durable amélioration du marché de l'emploi, déplorent bon nombre de jeunes.

En dépit de quelques initiatives, au demeurant louables mais visiblement peu convaincantes à leurs yeux, tel que le programme "Awrach", ils sont de plus en plus nombreux à scruter l'horizon avec appréhension et amertume.

Que l'on ait affirmé que ce programme offrira quelque 250.000 opportunités de travail dans des chantiers publics, ce qui devrait permettre de booster l'emploi des jeunes, ces derniers ne se font pas d'illusion.

Samira est convaincue que "les programmes du gouvernement mis en place dans l'optique de créer de l'emploi et d'encourager ces derniers à créer leurs propres projets manquent de sens et de cohérence".

En fait, si la fragilité des emplois proposés dans le cadre dudit programme est évidente, les jeunes restent persuadés que ceux-ci ne sont qu'un accessoire pour se laisser convaincre que les choses bougent sur le terrain et qu'elles vont s'améliorer.

Plus d'un an après sa mise en place, certains laissent éclater leur colère et ne sont pas loin de penser qu'ils n'ont été que des marchepieds pour les dirigeants actuels.

D'autres s'interrogent avec insistance sur leur avenir, persuadés que les préoccupations qui ont marqué autrefois leurs aînés sont restées d'actualité. "Pour combattre un tant soit peu le chômage au demeurant endémique, les autorités doivent d'abord apprendre à descendre de leur piédestal et rencontrer sur le terrain ce qu'endurent au quotidien les jeunes, particulièrement les lauréats ", estime Nadia, une infographe de formation qui s'est convertie dans la photographie pour échapper à l'oisiveté.

"Je pense que les difficultés pour les plus de trente ans dans ce pays sont dues uniquement aux entreprises et à leur mode de fonctionnement vis-à-vis des seniors. Ceux-ci se retrouvent trop souvent sur la touche après avoir été licencié", affirme Sofiane.

Selon lui, "les managers optent souvent pour les juniors. Ou que les cadres âgés sont dépassés et coûtent, accessoirement, trop cher. Je n'en sais rien. En tout cas, c'est ce dont je souffre depuis pratiquement 5 ans", rumine-t-il.

Autre préoccupation évoquée par les jeunes, l'information autour et sur ces questions, "A mon avis, une des principales causes du chômage chez les jeunes, c'est le manque d'informations. On ne sait plus quelle formation suivre pour répondre aux attentes du marché !", fustige Nawel.

Se retirer complètement du marché du travail

Convaincu que l'Etat ne parvient pas à assurer leur insertion sur le marché du travail, plusieurs jeunes choisissent désormais de se retirer complètement du marché du travail. "La plupart des jeunes, issus notamment de la classe moyenne voire plus bas, cherchent actuellement des opportunités pour immigrer", constate S.

Ils espèrent ainsi se trouver une activité rémunératrice sous d'autres cieux quand c'est difficile de monter leur propre entreprise. Car, quand bien même ils envisageraient de le faire, bon nombre ont le sentiment que le sort s'abat toujours sur eux. "A ce que je sache, des dispositions ont été prises pour aider les jeunes porteurs de projets, le problème c'est l'absence criarde d'une vraie communication autour de telles initiatives", fustige Meriem.

"Ce que je pense du chômage ? C'est qu'il y a de moins en moins du travail. Fort heureusement, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, de plus en plus de jeunes ont pu trouver des alternatives et ne sont plus obligés de postuler pour des offres de travail sans suite", selon Brahim, webmaster et infographe.

"D'ailleurs, certains ont même préféré démissionner de leur boulot pour commencer une nouvelle carrière en freelance ou pour faire du e-commerce vu qu'il y a plein de sites Internet en Europe et aux Etats-Unis qui leur offrent des opportunités de vendre des services partout dans le monde", apprécie-t-il.

Responsabilité partagée

S'il est du ressort du gouvernement de créer des conditions d'un marché de travail fluide et ouvert à tous, certains jeunes estiment que ces derniers ne peuvent pas tout régler. Pour les tenants de cette ligne, les jeunes doivent aussi y mettre un peu de leur volonté dans la quête du travail et surtout ne pas tout attendre des autorités.

"Loin de moi l'idée de dédouaner les autorités, je pense tout de même que les jeunes ont leur part de responsabilité dans la situation qu'ils vivent. On ne peut pas avoir fait de grandes études et se spécialiser dans un domaine puis, un bon matin, se lever pour réclamer que le gouvernement vous trouve un emploi ou vous vienne en aide", fait remarquer Kamal.

"Si on a été capable d'acquérir des connaissances diverses voire pointues, qu'est-ce qui manque aux lauréats de se prendre en charge et d'envisager leur avenir autrement en misant sur des projets personnels qui ne dépendent pas du soutien ou d'une aide quelconque de l'Etat", s'interroge-t-il.

Pour Wassim, "il ne sert à rien de filer la patate chaude au gouvernement dont les moyens sont limités et est tiraillé entre la politique et nombreuses charges posées sur sa table. Chaque jeune en âge de travail doit s'assumer. Il doit être responsable du chemin qu'il souhaite emprunter".

Pour lui, "les autorités ont plusieurs chats à fouetter. Aussi, n'oublions pas aussi que le pays évolue dans un environnement féroce, donc concurrentiel, qui exige une attention soutenue de l'Etat sur bien d'autres questions". "Le marché de l'emploi est certes étroit, mais il y a des secteurs comme celui des technologies qui offrent encore des emplois aux jeunes. Ceux d'entre eux qui estiment en avoir les capacités et le niveau peuvent s'y engouffrer. Quoi qu'il en soit, ils ne doivent pas baisser les bras", tempère Nadia.

Pour les plus jeunes, "ils devraient d'abord poursuivre leur formation et chercher à acquérir une expérience dans des secteurs plus ouverts à leurs compétences", conseille-t-elle.

Pour A. "si on doit absolument trouver du boulot en plein temps, la seule solution ce sont des centres d'appels. N'eût été ce secteur, je pense que le taux de chômage au Maroc aurait pu être catastrophique ", assure-t-il. Cela dit, "il faut encore que le travail qu'on vous offre soit décent et bien rémunéré. Car, il ne suffit pas seulement d'avoir un emploi, il faut encore que vous y évoluiez comme il se doit et que cela vous permette de mener à bien votre carrière".

"De son côté, le gouvernement doit trouver les meilleures formules pour faciliter la tâche aux jeunes désireux de créer leurs entreprises, notamment en ce qui concerne l'octroi de crédits".

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