Tunisie: Imam et ancien ministre - Noureddine El-Khademi est-il rattrapé par son passé?

23 Août 2022

Ministre des Affaires religieuses désigné par le parti islamiste Ennahdha au temps de la Troïka, Noureddine El-Khademi observe depuis le 18 août un sit-in à l'aéroport international de Tunis-Carthage en guise de protestation contre son interdiction de voyage.

Une mesure que l'ancien ministre juge illégale et privative de liberté individuelle. Selon ses propos, il a été interdit de voyage à sept reprises. De son côté, le ministère de l'Intérieur n'a pas manqué de rapporter les éclaircissements nécessaires dans un bref communiqué publié le 20 août. Il s'agit d'une interdiction judiciaire. L'imam et homme politique est-il rattrapé aujourd'hui par son passé peuplé de prêches enflammés et d'appels au jihad en Syrie durant son mandat ?

Avant la mise au point publiée par le ministère de l'Intérieur qui a mis terme à certaines fausses informations colportées par les sympathisants de l'imam, ce dernier s'est adressé par le biais des réseaux sociaux au Président de la République, Kaïs Saïed, lui assurant l'absence de motif pour la prise de telle mesure, ajoutant qu'il a été interdit de voyage à sept reprises et qu'il a contacté le ministère de l'Intérieur et d'autres directions relevant de ce département qui lui ont notifié qu'il n'y avait aucune décision d'interdiction de voyage à son encontre.

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Démenti de la version d'El-Khademi

Des sources sécuritaires peinent à croire cette version des faits et rappellent que les services du MI ne sont pas autorisés à divulguer les raisons d'une telle décision. La procédure S17 ( consultation avant le transit) a été mise en place depuis 2013 dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme suite à des séries d'attaques terroristes contre les unités militaires et sécuritaires au moment où les groupes extrémistes essaimaient dans le pays et les mosquées servaient de centres de recrutement pour les jihadistes. Il s'agit donc d'une procédure judiciaire et non administrative, évoquent les mêmes sources.

Pour rappel, l'ancien ministre de l'Intérieur, Hichem Mechichi (2020-2021), avait expliqué lors d'une plénière à l'ARP que la mesure de consultation avant le transit (S17) est prise dans tous les pays à l'encontre de " toute personne susceptible de porter atteinte à la sûreté de l'Etat ". Elle inclut la traite des personnes, trafic de drogue et crimes terroristes. El-Khademi ne peut nullement feindre d'ignorer les accusations portées à son encontre quand il était membre du gouvernement mené par Hamadi Jebali puis par Ali Laârayedh. Des accusations qu'il a toujours formellement démenties.

En novembre 2015, il a déposé une plainte contre le journal Akhbar Al Joumhouriya, son directeur Moncef Ben Mrad et une journaliste suite à un article accompagné d'un éditorial le présentant comme un imam ayant incité les jeunes à partir au jihad en Syrie. L'article s'est basé sur une vidéo d'un prêche de l'ancien ministre en question postée sur les réseaux sociaux à la mosquée El-Fath à Tunis que fréquentaient à cette époque plusieurs affiliés aux groupes salafistes jihadistes dont le groupe terroriste Ansar El- Chariâa. Une information relayée par plusieurs médias en Tunisie comme à l'étranger et la plainte a été classée sans suite par le Tribunal de première instance de Tunis.

Poursuites judiciaires en vue ?

Une commission d'enquête sur les filières de recrutement des jihadistes à l'ARP dissoute a été créée en 2017 mais sa présidente, Leila Chettaoui, fut éjectée de la présidence de cette commission suite à un accord entre Ennahdha et Nida Tounes. L'absence de preuves factuelles sur lesquelles une instruction judiciaire pourrait reposer a aussi constitué un défi et un handicap majeur dans la réussite des travaux de la commission. Tout simplement de la poudre aux yeux pour les travaux d'une commission parlementaire qui aurait pu faire mieux.

L'ancien ministre clame haut et fort son innocence et a toujours nié tout lien avec les filières de recrutement des jihasites durant la période de la Troïka.

Pour preuve, il n'a jamais eu affaire avec la justice. Mais certaines personnalités politiques blanchies auparavant par une justice à double vitesse sont aujourd'hui, et après le coup de force de 25 juillet 2021, sous les verrous alors que bien d'autres ont choisi de se réfugier à l'étranger. Par ailleurs, Noureddine El-Khadmi a reconnu sur les réseaux sociaux qu'une interdiction de voyage avait été finalement émise par un tribunal judiciaire à son encontre. L'affaire n'est pas donc du ressort du ministère de l'Intérieur mais du ministère public auquel il devrait s'adresser. Il semble qu'il soit rattrapé par son passé.

Notons que lors de son sit-in, l'ancien ministre des Affaires religieuses a reçu à l'aéroport en guise de soutien la visite de plusieurs personnalités politiques à l'instar de Ahmed Nejib Chebbi, Jaouhar Ben M'barek, Ayachi Hammami, ainsi que des membres du parti Ennahdha.

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