Ile Maurice: Appréciation du dollar - Importation, dettes étrangères... Attention à la note salée

Le dollar américain a le vent en poupe, se renforçant d'environ 11 % depuis le début de l'année. Atteignant, pour la première fois en deux décennies, la parité avec l'euro, un dollar qui s'apprécie n'est pas une bonne nouvelle pour les économies émergentes, incluant Maurice.

En effet, un dollar plus fort augmente la pression sur la valeur de notre roupie qui dégringole à la vitesse de l'éclair avec des conséquences sévères sur notre capacité à rembourser nos dettes étrangères, payer nos importations ou encore éviter les spéculations et la dépréciation artificielle de notre roupie entre autres...

L'économie mondiale est en crise. Estimée à 3,2 % en 2022 et 2,9 % en 2023 par le Fonds monétaire international (FMI), la croissance mondiale ralentit à vue d'œil alors que l'inflation grimpe en flèche, n'épargnant aucune économie à travers le monde. À titre d'exemple, affichant un langage de vérité pour mieux préparer sa population, la Bank of England prévient que le Royaume-Uni entrera en récession en raison de l'augmentation de ses taux d'intérêt. Il est prévu que l'économie britannique se contracte au cours des trois derniers mois de 2022, tendance qui se poursuivra en 2023, alors que l'inflation devrait vite dépasser les 13 %.

Dans toute cette instabilité provoquant la volatilité des devises locales dans chaque pays, le dollar, en forte demande, se renforce d'environ 11 % depuis le début de l'année, les investisseurs abandonnant leurs positions en Europe, dans les pays émergents et ailleurs pour chercher refuge dans les actifs libellés en dollars.

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À Maurice, pour les raisons que l'on connaît déjà, à l'instar de la performance toujours faible de notre tourisme, de nos exportations, des entrées d'investissements directs étrangers ou encore de l'inefficacité politique monétaire, notre roupie affiche une dépréciation d'environ 25 % depuis janvier 2019. La montée en valeur du dollar exerce donc une pression supplémentaire sur notre roupie, et cela comporte des répercussions sévères. On y reviendra.

Pour commencer, pourquoi le dollar gagne en valeur ? "Depuis des lustres le dollar s'impose comme la première monnaie de réserve mondiale. Résultant, en cas de crise, comme maintenant, les investisseurs se tournent vers le dollar, surtout avec la hausse des taux d'intérêt de la Fed. Choisissant la sécurité, ils investissent dans les obligations américaines ou simplement achètent et gardent des dollars. L'euro est aussi une monnaie de réserve, mais s'impose moins que le dollar. Cependant, de nouvelles puissances émergent, comme la Chine ou l'Inde, et, avec le temps, peuvent défier la position du dollar, mais cela n'arrivera pas du jour au lendemain", contextualise l'économiste Kevin Teeroovengadum. Avec la crise actuelle l'euro s'affaiblit, augmentant la demande pour le dollar. "Aussi, avec la crise énergétique, certains pays se sont tournés vers les États-Unis pour l'importation de carburant et les États-Unis fournissent les armes en Ukraine aussi. Tous ces facteurs impactent le dollar index, qui monte, renforçant la valeur du dollar et la demande pour cette devise."

Dans le même élan, selon l'expert financier Sameer Sharma, même si l'inflation mondiale commence, peut-être, à plafonner avec l'amélioration des chaînes d'approvisionnement et le ralentissement de l'économie mondiale, le dollar restera fort par rapport aux devises des marchés émergents. "Dans notre cas, Maurice manque de marge de manœuvre fiscale et monétaire, comme l'a d'ailleurs souligné Moody's, pour faire face à la crise. Seules des réformes structurelles et une politique monétaire plus responsable de la part de la Banque centrale, après une recapitalisation, permettront d'atténuer le choc."

"Seules des réformes structurelles et une politique monétaire plus responsable de la part de la Banque centrale, après une recapitalisation, permettront d'atténuer le choc."

Voyons à présent l'impact d'un dollar apprécié sur nos indicateurs. En premier, l'on retrouve évidemment notre capacité à payer nos dettes. Passant de 92,1 % en juin 2021 à 86,4 % en juin 2022 selon le ministre des Finances, cette estimation de la dette publique annoncée repose sur plusieurs facteurs donc un Produit intérieur brut (PIB) dopé par près de 7 % par l'inflation et la vente des actions d'Airport Holdings par l'État à la Mauritius Investment Corporation (MIC), ajoutant 5 % de plus à la valeur du PIB entre autres, qui réduit donc le taux de la dette publique.

Ce qui nous intéresse ici, c'est la valeur de notre dette externe. Selon Moody's, notre dette étrangère représentait 35,5 % en 2021. Selon les données disponibles de la Banque de Maurice (BoM), à mars 2022, notre dette externe était de 22,2 % du PIB, soit environ Rs 107 milliards. Sauf qu'il nous faut à présent y rajouter la dernière ligne de crédit de l'Inde de Rs 13,5 milliards, qui augmente donc le pourcentage de notre dette étrangère. Nos dettes étrangères sont payées en dollars et deviennent donc plus chères à solder avec un dollar apprécié vis-à-vis d'une roupie faible.

Autre impact, la balance commerciale. Selon Statistics Mauritius, à mai 2022, nos importations, sujettes au taux de change, nous ont coûté Rs 24 milliards contre des recettes d'exportations de Rs 7,8 milliards, soit un déficit de la balance commerciale de Rs 16,3 milliards. En juin 2022, nos importations, toujours sujettes au taux de change, nous ont coûté Rs 28,7 milliards contre des recettes d'exportations de Rs 9,7 milliards, soit un déficit de Rs 19 milliards.

Ce qui est intéressant, outre le fait que notre balance commerciale se creuse davantage évidemment, c'est l'effet de la quasi-parité de la valeur du dollar et de l'euro. Actuellement, le dollar s'échange à Rs 44,95 selon le taux de change indicatif de la State Bank of Mauritius (SBM) et l'euro s'échange à Rs 46,25. Il est à mettre en exergue que nos importations se font pour la plupart en dollar et nos recettes d'exportations sont plus importantes en euro. À titre d'exemple, en 2021 nos importations d'Europe, incluant le RoyaumeUni et l'île de la Réunion, représentaient 24 % de nos importations, nous en étions à 27 % en 2020 et 26 % en 2019, ce qui implique qu'approximativement plus de 70 % de nos importations sont payées dans une autre devise que l'euro ou la livre anglaise, et ici, c'est donc le dollar qui prédomine.

Pour les exportations, nous en étions à 45 % des recettes en provenance d'Europe, incluant le Royaume-Uni et l'île de la Réunion, 48 % en 2020 et 47 % en 2019, ce qui implique moins de revenus en dollars. Résultat, avec une faible productivité et l'impact d'un port inefficient entre autres, nos recettes d'exportations, cela même si la demande pour nos produits pourrait augmenter avec les coûts à l'achat pour un pays étranger étant plus faible vis-à-vis de notre roupie dépréciée, ne font pas le poids face à une note d'importation de plus en plus cher. Nous dépensons donc beaucoup plus que nous avons en revenu et le dollar apprécié y ajoute son grain de sel.

Ensuite, un dollar plus fort implique forcément une roupie encore plus faible. Mais, il y a aussi l'impact des spéculations. Misant sur un glissement continuel de la roupie, certains achètent et stockent des dollars, alors qu'il y a un manque sur le marché. Cela accentue la demande de devises sur vis-à-vis de l'offre, ce qui peut résulter en une dépréciation artificielle de la roupie. Autre effet d'un dollar plus fort, ceux qui préféreront retirer leurs investissements des banques mauriciennes ou des actions en bourse entre autres, pour réinvestir dans le dollar ou les obligations américaines. Autre que l'effet sur les banques, cela implique encore moins de devises dans le système vis-à-vis de la demande, et donc une roupie qui se déprécie davantage.

"Misant sur un glissement continuel de la roupie, certains achètent et stockent des dollars, alors qu'il y a un manque sur le marché."

Finalement, autre que les facteurs domestiques, à l'instar d'une politique monétaire discutable, la faible performance de nos secteurs pourvoyeurs de devises étrangères, le recours du secteur privé à "l'easy cash" fraîchement imprimé de la Banque centrale et les transferts de la BoM à l'État entre autres, bien d'autres facteurs exogènes, dont l'appréciation du dollar, fragilisent notre position. Des décisions courageuses devront être prises et la BoM doit défendre sa roupie, quitte à sacrifier les objectifs de croissance à travers la consommation ou encore l'impact de l'inflation sur les revenus de la taxe.

Il serait donc pertinent de consolider les finances de la BoM, essuyer l'excès de liquidité sur le marché afin d'aligner les taux d'intérêt pratiqués sur le marché au Repo Rate et même à nouveau augmenter le taux directeur. Des sacrifices au niveau des dépenses étatiques devront être faits. Il est important d'éviter de tomber dans la surenchère populiste en ces temps difficile. Il nous faut aussi miser davantage dans les projets prioritaires ayant une valeur ajoutée et pouvant booster la productivité. De même, le secteur privé devra se joindre à l'effort national dans la lutte contre l'inflation, car après tout, c'est l'affaire de tous.

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