Sénégal: Louga - Les fondements d'un riche patrimoine culturel

23 Août 2022

La ville de Louga est un creuset culturel dont les fondements remontent au temps colonial et porte l'empreinte du commandant de Cercle d'alors, Jean Charles Edmond Wattel qui a été le personnage par lequel la culture s'est forgée une image qui en a fait une référence avec la naissance de groupes spécialisés dans le théâtre, la danse et dont les ramifications se traduisent aujourd'hui par le développement d'un tourisme culturel à impact direct sur le vécu des populations.

La naissance des activités culturelles à Louga remonte au début des années cinquante et porte l'empreinte de l'administrateur colonial de l'époque, le Commandant de Cercle Jean Charles Edmond Wattel. Initiateur de la grande foire à bétail à Louga qui avait fini par attirer des éleveurs et vendeurs de bétails des villes et villages, le commandant de Cercle avait l'ambition de faire de Louga un centre économique sur le site du marché " Marbath " créé en 1904 et qui était un pôle d'attraction de commerçants et marchands de bétails de la ville de Louga et de ses environs. Mais le marché a fini par prendre une dimension sous régionale avec la présence de Mauritaniens, de Maliens et de Guinéens.

Mais ces rencontres à caractère économiques ont fini par transformer le marché " Marbath " en carrefour culturel, chaque localité se rendait sur les lieux avec ses coutumes. Dès lors, les conditions d'un brassage culturel étaient réunies. Selon Youssouf Mbargane Mbaye, président du Réseau régional des communicateurs traditionnels de Louga : " A cette époque, à la fin des journées, les marchands, composés de troubadours, de danseurs, de chanteurs, pour exprimer leur joie, se mettaient à danser et chacun dans son style culturel. Finalement, tout le monde se retrouvait ensemble pour chanter et danser dans des styles différents et variés ". C'est à partir de ces faits culturels qui se sont invités sur le marché " Marbath " que le commandant Wattel prit sur lui l'option de réorganiser le marché pour exploiter le potentiel cultuel existant.

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Ainsi, en 1956, il organisa la première édition de la grande foire à bétail et une seconde édition en 1958 à Louga pour rendre le marché " Marbath " plus attractif. Mais au-delà des succès commerciaux, ces rencontres ont permis de voir des artistes de tous genres exposer leurs talents et qui ont fini de convaincre plus d'un que la ville de Louga est un terreau fertile pour l'expansion culturelle de la localité.

Au début était le Cercle de la jeunesse de Louga

C'est dans ces circonstances que des fils de Louga ont pris l'initiative de mettre sur les fonts baptismaux des troupes théâtrales. Ainsi sont nés les groupes culturels " Espoirs " sous la conduite de feu Ahmadou Bamba Ndiaye dit " Less Bari ", le groupe " Foyer " crée par feu Pape Ndiaye et ses amis d'alors, " Bull star " de Mbaye Lazar et surtout le " Cercle de la jeunesse " de Louga. C'est sans doute cette dernière, créée par feu Mademba Diop qui a le plus participé au rayonnement culturel de Louga à travers la danse, les chants et autres genres artistiques et a commencé à s'illustrer dès sa création.

Créé par feu Mademba Diop et ses amis en 1956, le Cercle de la Jeunesse de Louga remporte son premier succès avec le trophée du Conseil de la jeunesse mise en compétition la même année au sein de l'Afrique occidentale française (Aof) et qui regroupait la Guinée, le Mali, et la Mauritanie. Auréolée de ce succès sous régional, les poulains de Mademba Diop remporteront tour à tour le " Trophée Mamadou Dia " en 1958 et en 1960, du nom du Président du Conseil de l'époque. En 1962, le Cercle de la Jeunesse de Louga a été désigné pour représenter l'Aof au Festival mondial de la Jeunesse et des Etudiants à Helsinki en Finlande avant de remporter la Coupe du Président Léopold Sédar Senghor en 1964.

Ces performances sur scènes ont valu au Cercle de la jeunesse d'être lauréat au Festival mondial des Arts nègres e 1966 à Dakar et d'être invités dans plusieurs pays étrangers d'Europe et d'Amérique latine où, en 1973, il était convié au Festival international afro-latino-américain à Guadalajara au Mexique. Autant de succès qui ont poussé les autorités du Ministère de la culture de le déclarer " hors concours " de toutes les compétitions au Sénégal pour avoir raflé toutes les coupes mises en jeu. C'est plus tard, dans les années 80 que des responsables de la troupe, à la tête desquels Youssouf Mbargane Mbaye, Ndiongué Cissé et autres ont créé la troupe " Le Ngalam " qui, tout en maintenant la ligne artistique du Cercle de la Jeunesse, a inscrit dans le contenu de son répertoire, l'éducation et la sensibilisation sur les problèmes des populations notamment la Santé, l'Environnement, etc.

TOURISME CULTUREL A LOUGA

Un moyen d'intégration socio-économique

Les nombreuses tournées sur le plan international du Cercle de la Jeunesse et plus tard du Ngalam ont eu le double effet d'exposer l'art et la culture de Louga au-delà des frontières du Sénégal, de susciter un intérêt de beaucoup d'Européens à vouloir en découvrir la source mais aussi, incité beaucoup de jeunes à s'intéresser davantage aux activités culturelles pour avoir des opportunités de voyage à l'Etranger.

C'est dans ce cadre que beaucoup de jeunes acteurs culturels de Louga ont commencé à investir le secteur. Avec les opportunités de voyages, ils ont entrepris de créer des écoles de danse et de percussion qui ont commencé à attirer les artistes de beaucoup de pays occidentaux notamment la France, l'Italie et l'Espagne.

Selon Ndiawar Seck, percussionniste, auteur et compositeur établi en Espagne : " Les premières fois que nous sommes apparus dans le rues d'Espagne, les enfants qui nous ont aperçus ont pris peur et ont fui du fait de nos accoutrements " a expliqué l'artiste. Nd. Seck révèle dans la foulée : " Mais dès que nous avons commencé à battre nos percussions, ils sont tous revenus avec leurs parents attirés par les sonorités très rythmées ". C'est ainsi que des artistes européens ont commencé à s'intéresser aux activités culturelles de ce genre d'émigrés en provenance de Louga : " L'intérêt qu'ils ont commencé à afficher pour la danse et la percussion ont poussé beaucoup de Lougatois à s'installer dans certains pays et à y ouvrir des écoles de danse et de percussion que les artistes de différents pays d'Europe fréquentent pour apprendre notre art ".

Mieux renseigne Ndiawar Seck, ces partenaires culturels ont pris l'option depuis plusieurs années de passer une partie de leurs vacances à Louga afin de visiter pour mieux connaître les racines de la culture et de l'Art qu'ils ont appris à pratiquer.

Seulement, selon l'auteur-compositeur lougatois : " Nous avons intégré dans nos activités culturelles des thèmes liés à l'Education, à la Santé et à beaucoup de domaines de la vie sociale ". C'est pourquoi d'ailleurs, les partenaires culturels de presque toutes les troupes de percussion et de danse profitent de leurs séjours à Louga pour offrir chaque année des lots d'équipements et de fournitures scolaires aux établissements scolaires et à certaines structures de santé de la Commune de Louga. Plus que ça, la troupe " Thiappa Thioly " qu'il dirige en Espagne développe dans ses activités des thèmes tels que : " La Culture contre les violences faites aux femmes " ou " La Culture comme moyens d'intégration sociale et culturelle ". C'est ce qui explique selon lui, l'intérêt que beaucoup de bailleurs portent à leurs activités au point de financer certaines de leurs activités.

Festival international de Folklore et de Percussion (Fesfop)

D'ailleurs, le Festival international de Folklore et de Percussion (Fesfop) initié à Louga depuis 2000 est une parfaite illustration du développement du tourisme culturel. Car, au mois de décembre de chaque année, au cours du Festival, des ateliers de Percussions sont organisés en direction d'artistes de pays occidentaux et africains invités et qui sont inscrits dans l'agenda culturel de la ville. Là, force est de constater que cet événement auquel participe annuellement la Belgique, l'Italie, la France, l'Espagne et d'autres pays européens et africains en plus des régions du Sénégal constitue un moment fort d'intégration culturelle entre des pays d'Europe, d'Amérique latine et de la sous-région africaine et qui a permis de sceller des jumelages entre des pays européens et la ville de Louga.

Mieux, de jeunes artistes et techniciens de Louga ont bénéficié de formations en photographie mais surtout en sons et lumières pour permettre une bonne utilisation du matériel de spectacle du Fesfop mais surtout, la création d'une Radio culturelle financée par la Province de Wallonie/Bruxelles et la coopération italienne. A cela s'ajoute la création du " Musée des Percussions " à Louga et dont le conservateur a été formé en Belgique. Youssouf Mbargane Mbaye a révélé d'ailleurs que : " Tous les instruments de percussion en voie de disparition sont collectés et jalousement gardés au Musée pour sauvegarder le patrimoine culturel africain ".

C'est dire que le patrimoine culturel de Louga a permis de rendre la ville attractive qui a développé le tourisme culturel, et a réussi, par le génie créateur des artistes locaux d'attirer des touristes et des investisseurs européens dont les actions sont perceptibles à tous les niveaux de la vie culturelle, sociale et économique de la région de Louga.

NDEYE GNAGNA DIALLO, DIRECTRICE DU CENTRE CULTUREL REGIONAL

" A Louga, la Culture joue un rôle important dans le vécu des populations "

La Directrice du Centre culturel régional Mademba Diop de Louga, Ndèye Gnagna Diallo, décrypte dans cet entretien le potentiel cultuel de la ville, les atouts mais aussi, les conditions nécessaires à mieux booster le secteur qui souffre de manque d'infrastructures.

Madame la Directrice, comment se porte la Culture de façon générale à Louga ?

" La région de Louga dispose d'un potentiel culturel très riche à travers l'existence de troupes théâtrales et musicales comme le Ngalam, le Saourouba et le Cercle de la Jeunesse. En plus de ces troupes artistiques, on note la présence d'Associations culturelles telles que le Festival international de folklore et de percussion (Fesfop), le Festival international pour la renaissance du Patrimoine immatériel (Firpi), le Festival populaire du théâtre en français (Festef), le Ndiambour Hip-hop, etc. Il s'y ajoute que nous organisons des manifestations au Centre culturel avec notamment des ateliers de formation en théâtre, en cours de Peinture et Dessin, des " After Works ", projections de fils sans compter des soirées et veillées culturelles. Pour dire vrai, il y'a un dynamisme culturel à Louga qui est un espace où la Culture joue un rôle important dans le vécu quotidien des populations.

Qu'en est-il de la vitrine culturelle de la région de Louga ?

" La région de Louga dispose d'une richesse et d'un patrimoine culturel qui date de longtemps avec des sites et monuments historiques, des figures religieuses, des lieux de mémoires, des " Trésors humains vivants " à l'instar de Youssouf Mbargane Mbaye. Bien qu'ayant subi ces derniers temps l'impact de la Covid-19, la Culture à Louga s'est relevée et s'est diversifiée. Le Fesfop, véritable événement structurant participe au développement socio-économique de la région en développant la coopération décentralisée avec des villes d'Europe notamment la Province belge de Namur.

Avec autant d'atouts, nous développons des stratégies qui visent à développer davantage la Culture à travers des manifestations culturelles notamment la danse, le théâtre, le conte, le cinéma, l'Art plastique, la formation en entreprenariat et en marketing digital pour les femmes entre autres.

Cependant, un appui financier conséquent des Collectivités locales aux acteurs culturels permettrait de mieux favoriser le tourisme local et la décentralisation de l'action culturelle dans les trois autres départements de la région ".

Objectivement, qu'est ce qui pourrait aider à mieux sécuriser ce patrimoine pour le rendre pérenne ?

" Pour impulser le développement culturel de la région de Louga, il faudra mettre l'accent sur la construction d'infrastructures culturelles telles que des galeries, théâtre de verdure, salles de spectacles pour développer la formation et l'éducation artistique et culturelle. Dans cette perspective, le Centre culturel régional Mademba Diop envisage de consolider le partenariat avec l'Inspection d'Académie par le développement du théâtre scolaire ainsi que des cours d'initiation en Peinture et Dessin pour assurer la relève. Il faut aussi noter que la Culture n'est pas seulement un secteur de création artistique mais elle est aussi un important secteur de production économique de biens et de services.

C'est pourquoi j'appelle les acteurs à arrêter de dire que " L'Art ne nourrit pas son homme ". Un acteur culturel qui se conforme aux statuts d'éligibilité doit pouvoir vivre de son art étant entendu que le Ministère de la Culture et de la Communication a mis en place plusieurs Fonds pour aider les associations culturelles et les artistes à favoriser l'émergence et l'organisation d'un secteur privé de la Culture de soutien à l'Entreprenariat culturel.

ARTISTE, COMMUNICATEUR TRADITIONNEL...

Youssouf Mbargane Mbaye, un gardien du patrimoine culturel lougatois

" Je suis né dans une famille de griots de percussion et de tradition orale ". Ces propos de Youssouf Mbargane Mbaye renseignent sur les racines culturelles de l'homme présenté à Louga comme l'artisan principal de la sauvegarde du patrimoine culturel lougatois.

Né en 1951 à Louga, Youssou, comme on l'appelle affectueusement à Louga, a fait ses débuts scolaires à l'école Artillerie avant de poursuivre ses études secondaires au lycée Charles De Gaulle de Saint Louis qu'il arrêtera en classe de Première. " J'ai choisi d'arrêter mes études pour chercher du travail car, j'avais senti le nécessité d'aider ma mère " a expliqué Youssouf Mbargane. Il révèle dans la foulée : " Bien qu'issu de famille de griot, mon père nous a toujours interdit la main tendue et de ne compter que sur nos efforts pour vivre ".

Recruté agent du service du Contrôle économique en 1974 puis à l'Association sénégalaise pour le Bien-être familial (Asbef) comme chargé de l'Information et de la communication en 1984, " le jeune griot ", fonctionnaire, ne s'est pas départi de son héritage et de ses racines.

Féru de lecture, Youssouf Mbergane Mbaye s'est exercé très tôt à l'écriture et à la conception de pièces théâtrales. Mais son rôle d'acteur culturel s'est dévoilé en 1973 lorsque Iba Dia, alors entraîneur de l'Us Gorée, lui a demandé de lui faire la mise en scène d'une pièce de théâtre (Le drame de Gouye Ndiaye) qu'il avait conçue. Une première expérience payante car, la pièce avait permis à Youssouf Mbaye de remporter sa première médaille d'or la même année.

Membre du Cercle de la Jeunesse au bas âge, l'artiste, auteur et compositeur ne cachait pas ses ambitions de personnelle : " Le charme dans ma vie d'acteur culturel, c'est de me donner très tôt des ambitions personnelles " a-t-il expliqué.

Auteur de 10 pièces théâtrales et 30 poèmes en français et en Wolof, l'homme de culture a marqué son époque avec une participation depuis 1972 de toutes les tournées internationales du Cercle de la Jeunesse de Louga. En 1979, il créa, avec Ndiongué Cissé, feu Souhaibou Niang la troupe du Ngalam qui a fait des exploits sur le plan national et international.

Mais Youssouf Mbargane est aussi un formateur car, l'ascension beaucoup de jeunes artistes portent son empreinte. Selon Ndiawar Seck, artiste-compositeur basé en Espagne : " Nous avons tous été formé par notre oncle Youssou qui nous a encadré et tracé la voie. C'est grâce à lui que beaucoup de jeunes talents ont réussi dans la Culture ".

Pour sa part, la Directrice du Centre culturel régional de Louga considère l'homme comme une référence : " Youssou est un trésor humain vivant et Louga a la chance d'avoir un patrimoine humain comme lui " a témoigné Madame Gnagna Diallo. Elle qui loue la générosité de l'homme de Culture qui participe à la formation des jeunes acteurs culturel a plaidé pour l'érection d'une stèle en son nom.

Agé aujourd'hui de 71 ans, Youssou Mbargane qui n'envisage pas de quitter la scène projette de rédiger un dictionnaire de la Culture pour donner aux futures générations des référents culturels à même de les aider à sauvegarder un patrimoine qui s'est transmis à travers les générations passées.

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