Sénégal: [Feuilles d'hivernage] Grotte de Badougha dans le Pakao - Mythes et légendes autour d'un lieu de prières d'El Hadji Oumar Tall

26 Août 2022

Parmi les trésors cachés du Pakao figure la grotte de Badougha, dans la région de Sédhiou. Peu connue du grand public, elle est située dans la commune de Sakar (sous-préfecture de Diendé), à quelques encablures de Diannah Malary.

C'est dans cet endroit qu'El Hadji Oumar Tall, figure éminente de l'islamisation en Afrique, a fait ses invocations ou sa retraite spirituelle pendant neuf mois avant de rejoindre Bandiagara au Mali où il a disparu dans la grotte sacrée de Déguimbéré. Lieu de prière, de recueillement et de paix intérieure, ce site qui frappe par sa beauté et sa spiritualité mérite un détour. Il attire chaque année des centaines de visiteurs en quête de bénédictions.

Le Pakao regorge d'une multitude de trésors et lieux culturels qu'il est indispensable de découvrir lorsqu'on décide de visiter cette partie du pays. La grotte de Badougha, située dans la commune de Sakar dans le département de Sédhiou, fait partie de ces endroits peu connus et difficiles d'accès, qui le rendent encore plus merveilleux. La localité se trouve à moins d'un kilomètre de la route nationale numéro 6 en allant sur Kolda, en provenance du Croisement Diaroumé ou de Sédhiou. Dans sa noble quête, El Hadji Oumar Tall qui a contribué, de façon décisive, à l'islamisation de l'Afrique et au rayonnement de la confrérie Tidjane a laissé ses empreintes dans cette localité où il a effectué un séjour de neuf mois. Sous la grotte appelée " Noumang ", le saint homme effectuait sa retraite spirituelle, ses invocations.

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L'accès à la grotte est difficile, surtout en cette période hivernale. Elle se niche au sein d'une nature exubérante, avec de hautes herbes et un chemin rendu glissant par les pluies. En cette journée hors du temps, une petite randonnée offre un aperçu de la beauté des lieux. Le temps, comme par magie, semble suspendu. L'endroit, chargé d'émotion et de spiritualité, émerveille le visiteur. Il y règne une ambiance unique qui ne laisse personne indifférent. Point d'effervescence en ce temps pluvieux, mais cette incroyable cavité est un milieu très mythique, mystique et même légendaire. Elle est éclairée par une lumière mystérieuse et offre un spectacle hors du commun. Depuis sa découverte, cette grotte est devenue un lieu de prières, de purification et de recueillement.

El Hadji Oumar Tall a vécu neuf ans à Badougha. À son arrivée dans la localité, le sage d'Alwar a été hébergé par Ibrahima Djité. " Durant son séjour à Badougha, le Cheikh avait l'habitude de quitter très tôt la maison pour allait faire ses invocations dans la grotte. Il ne revenait que tard dans la nuit ", renseigne Youssoupha Kagny, chef religieux. Lorsque Cheikh Oumar quittait le domicile de son tuteur, précise-t-il, ce dernier ignorait sa destination, l'endroit où il passait la journée. D'ailleurs, souligne-t-il, le bienfaiteur du chef de guerre ignorait même le nom de son hôte ainsi que l'objet de sa visite. Les habitants de Badougha et lui, informe M. Kagny, ne le sauront que le jour où le combattant pour la propagation de l'Islam a achevé sa retraite spirituelle dans la grotte. Le jour où ils raccompagnaient le Cheikh.

" Lorsqu'El Hadj Oumar Tall s'est présenté à son tuteur et à ses concitoyens, ils étaient ébahis. Le Cheikh a prié pour eux et pour la paix et la prospérité de leur localité ", ajoute Boubacar Kagny, notable du village. El Hadj Oumar a disparu aussitôt après. " Le Pakao est très honoré du passage du combattant. C'est une bénédiction. Nous en rendons grâce à Dieu ", magnifie l'imam ratib de Badougha Yancouba Djité.

Son apparition découle, selon l'imam, d'un rêve selon lequel il y avait " une lumière " dans le Pakao. Le Cheikh devant impérativement s'y rendre pour profiter des bienfaits de celle-ci à travers une retraite spirituelle.

Après Badougha, d'après lui, le saint d'Alwar est passé à Karantaba, Katabina, puis à Bissau (Guinée-Bissau) avant de rallier Bandiagara au Mali où il a disparu. À Badougha, chaque génération s'est efforcée à valoriser et à promouvoir la grotte et la chambre de retraite spirituelle d'El Hadj Oumar Tall. " Nous voulons davantage aménager les deux sites pour qu'ils soient beaucoup plus attractifs mais nous n'avons pas de moyens ", indique Fodaly Mané, habitant du village. En attendant que l'intervention des pouvoirs publics et des bonnes volontés, la population de Badougha n'est pas restée les bras croisés. Après chaque hivernage, elle procède au désherbage de la grotte pour faciliter l'accès aux pèlerins.

CONSTRUCTION D'UNE MOSQUÉE SUR LE SITE

Le saint d'Alwar a béni tous les lieux où il a eu à séjourner. Depuis la découverte de sa grotte, des fidèles, hommes et femmes de tout âge, venus de partout, affluent à Badougha. La grotte cristallise tous les espoirs des pèlerins. Recueillement et bénédictions sont pieusement murmurés dans la caverne bénite. Selon les habitants du village, ceux qui s'y rendent sont convaincus que leurs bénédictions et vœux formulés dans la grotte sacrée seront exaucés sans aucun doute. " Le voyage à Badougha permet de faire des bénédictions qui seront à coup sûr exaucées ", indique Yaya Djitté.

" Des gens viennent de partout et rallient cet environnement béni pour se recueillir et régler certains problèmes qui empoisonnent leur existence ", explique Yaya Djitté. Sur la partie supérieure de la grotte, l'empreinte d'un pied de Cheikh Oumar est visible. " Tout le monde sait que c'est un saint. Beaucoup de femmes ont eu un enfant grâce à des prières qu'elles ont formulées ici et qui ont été exaucées. Beaucoup d'entre elles ont donné le nom de Badougha à leur nouveau-né ", fait savoir Yaya Djitté.

Aujourd'hui, le rêve des habitants de Badougha, selon Fodaly Mané, est de construire une mosquée sur le site pour améliorer les conditions de séjour des visiteurs. L'imam Yancouba Djitté souhaite également l'extension de la grande mosquée du village. Depuis quelques années, la famille Omarienne établie au Sénégal et dans la sous-région a commencé à organiser une ziarra annuelle à Badougha. Un grand moment de prières, de recueillement dans la grotte et dans la chambre de retraite spirituelle d'El Hadj Oumar Tall, se félicite Boubacar Kagny. " La première fois qu'ils ont mis leurs pieds à la grotte, des membres de la famille n'ont point douté qu'El Hadj Oumar était de passage dans cette merveille ", confie l'imam Yancouba Djité. Outre la descendance Omarienne, des particuliers et des personnalités de la République viennent se recueillir dans la grotte. " La construction de cette mosquée est un de nos grands projets. Des promesses ont été faites. Mais jusqu'à présent, rien n'a été concrétisé ", rappelle Yafaye Dabo, le cœur meurtri. Beaucoup de correspondances ont été adressées aux autorités, sans suite.

Le puits et la chambre de retraite du Cheikh

Quand il est arrivé à Badougha, le Cheikh, comme dans nombre de localités où il est passé, y a creusé un puits. Cette source lui servait de faire ses ablutions. Selon certains témoignages, l'eau est réputée miraculeuse. Et en temps normal, précise Yaya Djitté, ce lieu devenu un lieu de prières, de purification et de recueillement, attire de nombreux visiteurs. Ferveur et foi sont donc au rendez-vous. Malheureusement, fait-il remarquer, le lieu est inaccessible pendant l'hivernage. " Par contre, pendant la période du Gamou, l'eau jaillit au grand bonheur des pèlerins ", note Yaya Djitté.

Dans le village de Badougha, particulièrement chez la famille d'Ibrahima Djité, la chambre où passait la nuit le Cheikh est bien préservée. En hommage à El Hadji Oumar Tall, la descendance du patriarche a réhabilité le bâtiment qui se dresse au milieu de la cour. Un autre mur a été érigé pour clôturer et préserver le site. Aujourd'hui, l'endroit, réputé être un lieu où les prières sont exaucées, reçoit chaque semaine des dizaines de pèlerins qui viennent s'y recueillir. " El Hadji Oumar Tall est une fierté pour notre localité et pour tout le Pakao ", témoigne Abdou Khadre Djitté, petit-fils du tuteur du Cheikh.

Un élément très important du patrimoine local

À l'image des autres sites et monuments historiques de la région de Sédhiou, la grotte de Badougha est un élément très important du patrimoine. C'est ce qui justifie son inscription sur les registres d'inventaires du ministère de la Culture et de la Communication en accord avec les communautés locales, estime Youssou Diatta. Ce site qui figure sur l'itinéraire religieux d'El Hadj Oumar Tall, qui y aurait séjourné pendant neuf mois dans l'esprit de ses retraites spirituelles, est considéré, selon le directeur du Centre culturel régional de Sédhiou, comme un lieu de mémoire bien protégé par les communautés locales.

" Ce lieu est assez prisé par les visiteurs qui y viennent pour des prières. Il est également fréquenté par des touristes pour la découverte ", précise-t-il. Pour mieux mettre en valeur ce site, ajoute-t-il, il a été " inscrit dans le programme Promotion et Valorisation du Patrimoine du plan de travail annuel Budgétisé (Ptab) 2023 du Centre culturel régional de Sédhiou sous la houlette de la Direction du Patrimoine culturel du ministère de la Culture et de la Communication ". L'aboutissement de ce projet, assure Youssou Diatta, " permettra à coup sûr de mieux le sauvegarder mais également le booster sur le plan du tourisme culturel ".

VILLAGE CENTENAIRE

Badougha, un village qui manque de tout

Considéré comme l'un des plus grands résistants africains à l'occupation française en Afrique, El Hadj Omar Tall, guerrier marabout musulman, pieux, rempli d'un savoir mystique et spirituel, a posé ses baluchons à Badougha, village fondé il y a plus d'un siècle par les ancêtres Idrissa Kagny et Ibrahima Thiam. Badougha signifie en langue mandingue : " Va prendre les prières de la maman ".

Ses fondateurs avaient quitté le village Bambadiong, situé sur la rive droite du fleuve Casamance. Ils ont été rejoints, au fil du temps, par d'autres familles venues du Pakao et ailleurs. Malgré qu'elle soit un site historique et touristique, cette localité manque de tout. Distante d'un kilométrique de la route nationale numéro 6, la piste latéritique est quasiment impraticable. Même pour les motos Jakarta. L'électricité est également une denrée rare alors que la haute tension est à moins d'un kilométrique du village, souligne Yafaye Dabo, habitant du village.

Badougha est également dépourvue d'infrastructure sanitaire. La localité ne dispose même pas de case de santé. D'après Yafaye Dabo, les populations se rendent soit à Sakar, situé à 6 km de Badougha, soit à Sédhiou (30 km) pour se faire soigner. Au plan hydraulique, les populations crient leur soif. Elles se ravitaillent dans les puits avec tous les risques liés à la consommation.

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