Ile Maurice: Pré-retraités d'Air Mauritius - Crash de toute une carrière

Nuits blanches successives, dépression, familles bouleversées... Voilà en somme ce que vivent des pré-retraités d'Air Mauritius (MK) qui ont eu le malheur de figurer sur la liste du capital humain ayant accompli 33 et un tiers années de service et dont il fallait se débarrasser pendant l'administration volontaire.

Deux ans après s'être fait éjecter du transporteur aérien national, leur traumatisme psychologique et émotionnel est toujours vif.

Ils demandent une oreille attentive à leur détresse. 47 des 141 préretraités de MK se sont regroupés en un front commun. Surtout, ceux qui disent se retrouver dans une No Man's Land, n'étant "pas suffisamment âgés pour percevoir une pension de vieillesse et en même temps, pas suffisamment jeunes pour décrocher un autre travail".

Dans une lettre au Premier ministre datée du 27 juillet, ces 47 signataires, qui estiment que les pré-retraités ont été traités "unfairly and in a discriminatory manner, just because we happened to be the longest-serving employees when the Company went into voluntary administration", demandent l'intervention de Pravind Jugnauth.

Ces ex-salariés, dont certains, unique gagne-pain de la famille, et d'autres, les deux conjoints exerçant pour MK, avec des responsabilités familiales et des engagements financiers importants, tels que le remboursement mensuel de prêts et les frais d'éducation des enfants, disent ne souhaiter à personne ce manque d'humanité avec lequel ils sont traités et l'expérience traumatisante qu'ils traversent. Ils se souviendront le reste de leur vie de ce fameux 28 mai 2020, jour où ils ont chacun reçu leur feuille de route.

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Ce trait final tiré sur toute une carrière est abrupt. Le pays est alors en plein premier confinement de Covid-19. Rien n'y fait. Deux choix leur sont présentés par la direction de MK : signer leur départ en pré-retraite et bénéficier d'une pension ou être limogés avec un mois de salaire et être référés au Redundancy Board.

C'est avec "le couteau sous la gorge" que ces personnes, qui n'avaient pas envisagé de partir à la retraite de sitôt - même pas en 2016 lorsque MK a proposé un plan de Voluntary Retirement bien plus attrayant -, disent avoir été contraintes de signer leur départ. Là aussi, avec l'idée qu'ils allaient toucher une pension, lump sum ainsi que les bénéfices annuels selon les termes des différents accords signés au fil des années, convenables.

La réalité est, hélas, tout autre. La plupart d'entre eux se sont retrouvés, à brève échéance, avec une réduction inattendue de plus de 50 % de leurs revenus. Leur lump sum n'a pas été versée à leur départ à la retraite le 31 juillet 2020. Ils n'ont été payés qu'à hauteur de 50 % de leurs congés restants (maladie et annuels) sans avoir été informés au préalable que leur départ serait soumis à de quelconques conditions.

Ballet de transferts

Ce qui les bouleverse aussi, c'est qu'il n'a pas fallu longtemps après leur départ pour que certains postes, dits redundant, soient remplis suivant un ballet de transferts latéraux. Avec, dans des cas, relèvent-ils, des substituts sans les qualifications et expériences requises mais qui n'ont surtout pas eu à attendre 15 à 20 ans pour accéder à cet échelon.

Place aussi à des réintégrations loin d'être transparentes dans certains cas. D'autres postes, à l'instar de Duty Manager Ground Operations, Manager Revenue Management and Pricing, Revenue Management Analyst, Manager Ground Services, Senior Manager Security, Senior Flight Purser, attendants et chauffeur, entre autres, ont été publiés comme vacants en interne cette année.

Deux ans après, ils restent convaincus de n'avoir pas eu droit à une égalité de chances et de traitement face aux contractuels qui, eux, n'ont pas subi le même sort en 2020 et qui, de surcroît, sont toujours de service. Ou encore face aux autres salariés qui, leur avait-on dit, devaient aussi prendre la porte de sortie lorsqu'ils compléteront 33 et un tiers années de service comme eux, mais qui sont toujours en poste. Le plus révoltant, fustigent-ils, des Managers Couloir sont, quant à eux, toujours indécollables.

Pour corser le tout, en début d'année, ces pré-retraités ont appris qu'ils n'auront droit qu'à 0,25 % d'augmentation annuelle sur leur pension déjà réduite comme une peau de chagrin, contre un taux de 3 à 5 % comme convenu dans le pension rule, indépendamment du taux d'inflation.

Face aux aides du gouvernement aux seniors de 60 ans à monter qui ont droit à Rs 1 000/ Rs 2 000 d'augmentation par mois, aux salariés touchant moins de Rs 50 000, qui, eux, perçoivent Rs 1 000 mensuellement, ils déplorent être des oubliés avec une augmentation de moins de Rs 1 000 sur leur pension par an. Comme si cela ne suffisait pas. Leur fonds de pension a été transféré à la National Insurance Company, soit la défunte BAI, fin juillet.

La fierté d'avoir fait partie de la famille MK a laissé place à de l'amertume. De la colère. Ces ambassadeurs sacrifiés désespèrent d'être les seuls rares à faire les frais de la mauvaise gestion de MK.

Témoignages

Marjorie Ah Leung: "Tout a volé en éclats avec une terrible désinvolture"

Ex-Pricing and Distribution Executive, Marjorie Ah Leung a rejoint MK en 1986 comme passenger service officer "après un IQ test au collège Royal et une interview par le board (alors présidé par sir Harry Tirvengadum) et qui siégeait pourtant pour autre chose". Promue senior passenger handling officer en 1997, elle a intégré par la suite le département commercial comme pricing assistant en 2000, puis pricing analyst en 2008, avant d'être promue pricing and distribution en 2019. N'ayant pas encore 60 ans, cette mère d'une fille qui étudie le droit à Paris n'est donc pas éligible à la pension de vieillesse.

"Avec mon enfant qui étudie, ma lump sum a fondu comme neige au soleil. À un moment, ma fille m'a même demandé si elle devait mettre fin à ses études. Avec l'expérience que j'ai, toutes ces années de sacrifices, jour et nuit, le dimanche, jour férié ou encore sans prendre de congé maladie, pour MK, je suis aujourd'hui obligée de trasé avec de petits boulots en freelance alors que d'autres moins expérimentés sont en poste", se désole-t-elle.

Marjorie Ah Leung, qui nourrissait l'espoir de toucher une pension décente, a, à la place, vu des années de patience et de détermination "voler en éclats avec une terrible désinvolture". "Ce n'est pas de gaieté de coeur que je me livre dans la presse. Personne ne nous écoute. Le président de mon syndicat, soit le même qui a officiellement proposé à l'administrateur, le 13 mai 2020, de mettre des employés - ce qui inclut ses propres membres - à la porte, ne prend pas mes appels. Alors que je traverse moi-même un traumatisme, je me retrouve à tenter tant bien que mal de remonter le moral d'autres collègues, dont certains aux tendances suicidaires", soutient celle qui, par ailleurs, se demande comment elle s'est retrouvée dans la catégorie des 33 ans et un tiers, alors qu'elle avait pris six mois de congé sans solde durant sa carrière.

Yoganand Thakooree: "Mo for ek pé kapav konbat gras a mo fam ki an fotey roulan"

Il avait 58 ans lorsqu'il a été éjecté de MK, en juillet 2020. Yoganand Thakooree, enfant de planteur de Bois-des-Amourettes, avant de déménager à Mahébourg, a démarré comme office attendant cargo en novembre 1984. Il est ensuite devenu chauffeur des membres d'équipage jusqu'à ce que MK le pousse à l'exit trois décennies plus tard. Yoganand Thakooree, qui a aussi été président de la Private Transport Employees Union, a participé à la signature de plusieurs accords et à d'innombrables ateliers de travail. "Mo'nn amenn mo ti blok. Mo'nn fer parti management transpor ek mo ti gagn enn special assignment pou révigor transpor dan MK."

Lui, qui connaît les rouages des relations industrielles, a le coeur en peine après le traitement infligé aux employés "loyaux" qui n'ont pas failli à leurs responsabilités. "Si mo'nn ariv nivo dé vi mwa ek mo fami été, sé gras a MK. Zamé mo pa ti atann zot pou fer koumsa. Si mo for ek pé kapav konbat, sé gras a mo fam ki enn personn an fotey roulan dépi nou maryaz", confie, ému jusqu'aux larmes, ce grand-père de deux petits-enfants, qui ne veulent plus voyager par MK, depuis.

Il ne cesse de remercier sa famille, y compris celle à l'étranger, qui l'a bien soutenu au quotidien dans cette terrible épreuve. "Apré dé zan mo'nn gagn pansion viéyes ek mo santi mwa inpé soulazé. Mé sa ditor ek tretman mo'nn gagné li inoubliyab. Malgré sa amertimla, mo fier mo'nn fer parti lafami MK ek mo priyé gramatin tanto pou ki MK kontign anvolé." Ce qui ne l'empêche pas de se rallier à ses autres collègues pour réclamer justice.

Begum Abdoolamid: "Une pension de quatre sous"

Avant de gravir les échelons et intégrer le département de revenue management comme analyste, Begum Abdoolamid a commencé à l'aéroport comme passenger handling officer en 1986, puis supervisor et reservation control successivement. Que d'expériences et de formations acquises des années durant, avant qu'elle ne soit contrainte de signer, à 53 ans et "sous pression psychologique" et "without disclosing information", son départ en pré-retraite.

Cette mère de famille, dont le fils fait des études de pilote en Afrique du Sud, demande à MK de considérer la réintégration de ceux n'ayant pas encore 60 ans. "J'ai un loan à la banque. Moi, qui touchais un salaire dont un tiers était des allocations, ai droit aujourd'hui à une pension de quatre sous. Que quelqu'un nous écoute. Nous ne sommes pas des happy retirees. Nous avons été jetés en pâture. Moi, j'aurais bien aimé retourner au travail au lieu de nous baratiner avec des slogans creux comme 'Encouraging women back to work'", fait valoir celle qui ne veut pas rester les bras croisés face à son sort. Celle qui frappe aux portes des autorités concernées ou encore qui n'hésite pas à interpeller un ministre démissionnaire de la majorité en pleine rue pour lui exposer son cas. Même si ce dernier lui a répliqué que "MK ne fait pas le buzz".

Ashish Ruggoo: "Nous nous trouvons dans une 'no man's land'"

Il a pris son envol avec MK en octobre 1984 comme traffic officer avant de faire escale aux Ground operations, service passage, freight supervisor, load control et d'être promu Quality Manager des opérations au sol en 2007. Premier auditeur au sein de ce département, Ashish Ruggoo postule ensuite comme Duty Manager en 2009, avant de prendre les rênes du ramp service en 2012. En 2015, il devient Manager Station Security, soit le responsable de la sûreté, qui est régie par les lois internationales, dans les pays où opère la compagnie aérienne et aussi de l'audit y relatif dans les différents aéroports concernés. Un poste où MK a dépensé beaucoup d'argent en termes de formations jusqu'à 2020. Année où Ashish Ruggoo, alors 55 ans, assiste, impuissant, au crash de toute sa carrière.

Sa fille rentrée d'Allemagne, où elle étudie, à cause du Covid-19, était là quand l'onde de choc est tombée. "Depuis deux ans, je ne perçois que 30 % de mes revenus, juste l'argent pour éponger mes dettes. Je dois remercier ma femme qui travaille et qui me soutient moralement et financièrement. Le gouvernement aide tout le monde dans ce pays. Nous, qui n'avons pas encore 60 ans, nous nous trouvons dans une No Man's Land. C'est dur", raconte l'ex-salarié.

Aux différents entretiens d'embauche où il a été, depuis, il est, soit surqualifié, soit son âge ne joue nullement en sa faveur. De fulminer : "Déjà que je ne vois même pas la couleur de ma pension, voilà d'autres coups de massue avec cette dégringolade de 3-5 % à 0,25 % du taux d'augmentation annuel et le rachat par la NIC de notre fonds de pension !"

Pavin Bhugobaun, sa thérapie: militer aux côtés de ses collègues

Pavin Bhugobaun a 24 ans et quatre années de professorat dans des collèges privés derrière lui lorsqu'il fait ses premiers pas à MK comme trainee traffic officer, en octobre 1984. Lui, qui avait postulé pour être membre du cabin crew, a passé son entretien d'embauche avec sir Bhinod Bacha, alors président du board de MK. Près de 36 ans de dur labeur à divers postes - service passage, cargo officer, cargo supervisor et premier instructeur en matière de dangerous goods regulations, flight operations, Program manager compliance ground ops cargo and security et Quality manager/performance - plus tard -, on lui a abruptement coupé l'herbe sous les pieds. Son fils, 21 ans, qui étudiait en Allemagne et qui est rentré au pays à cause du Covid, n'est jamais reparti.

Même si Pavin Bhugobaun n'a eu à attendre que six mois pour bénéficier de la pension de vieillesse et a une épouse qui travaille et une famille qui le soutient au mieux de leurs capacités, il n'a pas choisi de faire bande à part. Cet ex-manager de MK, qui a décroché sa carte planteur en 2021 et qui a suivi deux cours en aquaponie, a de quoi meubler son temps. Malgré cela, il a trouvé le temps pour monter l'association des pré-retraités pour militer aux côtés de ses collègues qui se trouvent toujours au fond du gouffre et faire entendre leur voix. Sa thérapie à lui pour ne pas sombrer.

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