Sénégal: Village symbole du refus colonial - Sandiniéry à l'épreuve de la modernité

31 Août 2022

Située sur l'autre côté de la rive droite du fleuve Casamance, à hauteur du département de Sédhiou, Sandiniéry a la réputation d'être une terre de refus ou un village " rebelle ". Elle fait partie des rares localités qui n'ont pas été vaincues par les colons français. Cette prouesse, Sandiniéry la doit à son marabout résistant, Almamy Fodé Fossar Souané. Grâce à ses " soldats ", des abeilles, il a dérouté l'armée coloniale en février 1861. Celle-ci a essuyé une cuisante défaite au débarcadère de Sandiniéry.

Sandiniéry. À Dakar, ce nom renvoie à la fameuse rue située au marché Sandaga, là où les ressortissants guinéens vendent des fruits. D'où vient cette appellation ? Pour en savoir plus, il faut remonter le temps, l'histoire. Sandiniéry est une localité située dans la commune de Karantaba, département de Sédhiou. Pour rallier cette bourgade, il faut traverser le fleuve Casamance, soit par pirogue soit par bac à partir de Sédhiou, donc une distance de trois kilomètres.

En ce dimanche 22 août 2022, le débarcadère de Sédhiou grouille de monde. Le bac étant en panne depuis des lustres, les pirogues ont pris le relais. Le rythme des navettes est incessant. Il faut un quart d'heure pour atteindre l'autre bout. Chauffeurs de taxis-brousse et conducteurs de motos " Jakarta " guettent la moindre arrivée des passagers et autres visiteurs pour leur proposer leurs services. Au cœur de ce village de Sédhiou, les activités vont bon train. À côté des maisons en dur ou en paille, les femmes, assises devant leurs étals garnis de quelques légumes et de tas de poissons, attendent la clientèle. Sandiniéry baigne dans un grand calme qui contraste d'avec son histoire agitée, son passé guerrier. Différentes péripéties conflictuelles avec le colon lui ont valu la réputation de " village rebelle ".

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Le Fort Pinet Laprade et Sandiniéry sont deux grandes pages du passé colonial de Sédhiou. Le premier site abritait l'arsenal militaire du colon, avec trois pièces de canons orientés vers le village pour bombarder et surveiller les différents mouvements de l'ennemi.

Selon Amor Souané dit Dioutou, chef du village, Sandiniéry est fondé vers 1800 par des Baïnoucks, notamment par le couple Sandi. La fusion du nom de l'époux (Sandi) et celui de la femme (Niéry) a donné Sandiniéry.

Avec l'islamisation du Pakao, renseigne-t-il, Almamy Fodé Fossar Souané a quitté Diannah Ba, village situé à une cinquantaine de kilomètres de Sédhiou, pour s'installer à Sandiniéry. Sur place, le marabout a invité les premiers habitants du village, notamment les Baïnoucks qui étaient des païens, à embrasser la religion musulmane. Ces derniers lui ont opposé un niet catégorique. L'érudit a alors engagé la bataille pour la propagation de l'Islam. Les Baïnoucks ont fini par abandonner le village pour aller s'installer ailleurs, précise le chef de village.

LA RIPOSTE DE L'ARMÉE DES ABEILLES

Sandiniéry est réputé être " village de refus, une localité rebelle ". Tout serait parti de la fameuse bataille ayant opposé l'armée coloniale au marabout guerrier Almamy Fossar Souané en février 1861. Celle-ci découle, d'après Massy Dabo, notable du village, de la volonté des colons de " chasser " le marabout et Sounkar Yéri Camara, résistant qui s'était réfugié à Sandiniéry. Ce dernier s'était opposé à l'installation des colons à Sédhiou en 1854. N'y étant pas parvenu, il avait fini par traverser le fleuve Casamance pour se réfugier à Sandiniéry, auprès de son oncle, Almamy Fodé Fossar Souané, car sa maman était originaire de ce village. Après l'avoir contraint à l'exil, les colons ont voulu le poursuivre à Sandiniéry. Mais, c'était sans compter avec la détermination de l'Almamy. La confrontation était inévitable. C'est le début du déclenchement de la guerre entre colons et autochtones.

Très mystique, Almamy Fodé Fossar Souané avait déjà " sécurisé " son fief, selon le chef de village. Depuis le Fort de Pinet Laprade de Sédhiou, les colons déclenchèrent les hostilités en larguant une bombe sur Sandiniéry. Ils avaient malheureusement raté leur cible, selon Amor Souané. Leur engin explosif avait atterri à sept kilomètres derrière le village qui était mystiquement protégé par Almamy Fodé Fossar Souané. N'ayant pu localiser l'emplacement de la localité avec leurs outils de guerre, explique le chef de village, les colons décidèrent de traverser le fleuve Casamance pour en découdre avec les combattants de Sandiniéry et leur chef, Almamy Fodé Fossar Souané. À leur débarquement, ils seront attaqués par une colonie d'abeilles, considérées comme les " soldats " du marabout guerrier. Selon nos interlocuteurs, la guerre n'a pas duré plus d'une demi-heure ; les abeilles ayant réussi à dérouter les envahisseurs. Sandiniéry n'a pas capitulé.

Aujourd'hui, le baobab, lieu de refuge des " soldats " de l'Almamy Fodé Fossar Souané, attire la curiosité du fait de la présence mythique des abeilles dans cet arbre. Selon les autochtones, elles sont toujours présentes et prêtes à faire face à toute velléité d'attaque contre le village. Ces abeilles, informe le chef de village, jouent toujours leur rôle. Ce sont, d'après Amor Souané, les " protectrices " de Sandiniéry, des anges gardiens. Depuis lors, aucun incident n'a été noté entre elles et les habitants.

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L'engin explosif retrouvé en 1992 par l'Armée

Mis en difficulté par les autochtones, les militaires français se repliaient dans les souterrains du Fort, selon une autre version de la bataille de Sandiniéry. Combattant à armes inégales, les guerriers de la rive droite, venus de Karantaba et Tanaff pour épauler leurs camarades de Sandiniéry, en fins stratèges, prenaient les pirogues, traversaient le fleuve et se cachaient dans les mangroves pour essayer d'atteindre le Fort Pinet Laprade, explique une autre version. Défaite, l'armée coloniale s'est retirée. Elle sera suivie, d'après Massy Dabo, par les commerçants blancs qui détenaient des comptoirs au débarcadère de Sandiniéry. Par ailleurs, révèle le notable du village, l'engin explosif, que les colons avaient largué et qui pèse 15 tonnes, a finalement été retrouvé. Il a été déterré en 1992 par l'Armée sénégalaise dans la forêt, à sept kilomètres du village.

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" Kélé Saaré " ou le Traité de la paix

Défaits par les " soldats " de l'Almamy Fodé Fossar Souané, les colons étaient obligés de replier et de signer le cessez-le-feu avec Sandiniéry. Cela s'est passé, indique Mamadou Souané, arrière-petit-fils de Fodé Fossar Souané, par ailleurs conseiller municipal à " Kélé Saaré ", l'endroit où le Traité de paix fut signé. Ce lieu se trouve à une vingtaine de mètres à droite du quai d'embarquement de Sandiniéry en venant de Sédhiou. En saison des pluies, l'accès est quasi impossible puisque le lieu est rempli d'eau. De loin, on aperçoit des mangroves qui entourent la partie située aux bordures du fleuve Casamance. D'après les témoignages des notables du village, le Traité de paix a été paraphé par le Commandant de cercle de Sédhiou et le marabout chef de guerre, Almamy Fodé Fossar Souané. Depuis lors, les colons ont laissé Sandiniéry en paix et n'y ont jamais remis les pieds. Sandiniéry continue ainsi de vivre en paix avec ses abeilles, " les soldats " de l'Almamy Fodé Fossar Souané.

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Sandiniéry victime de son enclavement

Sandiniéry est-elle victime de sa réputation guerrière ? On ne saurait le dire. En tout cas, le constat est que cette localité au passé glorieux court derrière son désenclavement depuis longtemps. Celui-ci passe nécessairement par l'érection d'un pont sur le fleuve Casamance et le bitumage des routes latéritiques Sandiniéry-Dioutoubou-Banghère et Sandiniéry-Karantaba-Barrage Aliou Souané.

Porte d'entrée des provinces du Souna et du Balmadou, Sandiniéry est victime de son enclavement. Depuis fort longtemps, les populations réclament l'érection d'un pont sur le fleuve Casamance entre Sédhiou et Sandiniéry pour désenclaver cette partie de la région, en vain. Ibrahima Cissé dit Solo, ancien adjoint au maire de Karantaba, estime que le désenclavement de toute la zone passe par la réalisation de cet ouvrage. L'autre priorité reste, selon lui, le bitumage des routes Sandiniéry-Karantaba-Barrage Alioune Souané et Sandiniéry-Dioutoubou-Baghère.

Pendant l'hivernage, la circulation sur ces axes est limitée, les pistes latéritiques devenant quasiment impraticables. " Si Sandiniéry, porte d'entrée de la zone, manque de tout, les autres villages étouffent ", regrette-t-il. S'agissant de la réalisation de la route Sandiniéry-Karantaba-Barrage Alioune Souané, Mamadou Souané, conseiller municipal, précise que l'entreprise contractante a déjà installé sa base et compte démarrer les travaux après l'hivernage. Bonne nouvelle, s'exclame M. Cissé. Pourvu que le projet ne soit pas " détourné ", fulmine-t-il, sceptique.

En tout cas, cet enclavement fait que l'écoulement de beaucoup de produits sur les marchés intérieurs du pays demeure une équation à plusieurs inconnus pour les paysans. Un écueil. La croix et la bannière pour les producteurs. " Des commerçants véreux n'hésitent pas à venir dans la zone et proposer de vils prix pour l'achat des produits ", se désole Ibrahima Cissé. D'après lui, certains proposent même 3000 FCfa pour un pied de manguier.

Par ailleurs, Solo déplore l'arrivée tardive des semences et la rareté du matériel agricole. " Une dizaine de villages se relaient un seul tracteur dans la zone ; c'est inacceptable ", fustige l'ancien adjoint au maire de Karantaba, convaincu que la pauvreté qui sévit dans la zone est liée à l'enclavement. " Nous avons des terres, mais nous n'avons pas les moyens pour les cultiver ", insiste-t-il. " C'est pourquoi, aujourd'hui, c'est la débrouillardise au jour le jour ", regrette-t-il.

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Le poste de santé perd sa sage-femme

C'est l'année dernière que la case de santé de Sandiniéry a été transformée en poste de santé. Cela a été possible grâce à la mobilisation des fils du village établis à l'étranger avec leurs partenaires espagnols. La construction du poste de santé a coûté 80 millions de FCfa grâce à la Coopération Barcelona. Après trois mois de service, la sage-femme de Sandiniéry a été réaffectée à Thiès. Les populations attendent vainement l'arrivée d'une autre.

Selon Mamadou Souané, conseiller municipal de Karantaba, les patientes sont obligées de se rabattre sur l'infirmier-chef de poste de Sandiniéry, à défaut de se rendre au centre de santé de Sédhiou. " Depuis lors, il parvient à assister les femmes sans difficulté ", se félicite-t-il. Les cas d'urgence sont évacués à Sédhiou, précise-t-il.

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La communalisation, une vieille doléance des populations

Sandiniéry, repère historique dans la contrée du Pakao, souhaite être érigé en commune. Cette vieille doléance n'est pas encore satisfaite. Pourtant, en 2008, les autorités d'alors, selon Oumar Souané, fils du chef de village, leur avaient tenu une promesse ferme dans ce sens. Malheureusement, Sandiniéry fait encore partie de la commune de Karantaba avec sa population estimée à 5600 habitants. Un vrai paradoxe, selon les habitants de cette localité qui ont toujours fait part de leur leadership administratif dans le passé et demandé que leur vœu soit entériné.

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