Afrique: Khaled Amri, expert international en PPP, à La Presse - "Le pays a tous les atouts pour devenir le Japon du continent !"

1 Septembre 2022
interview

Rencontré en marge de la Ticad-8, Khaled Amri, expert international en PPP, a indiqué à La Presse que le PPP est l'une des meilleures formes contractuelles qui permet au secteur public d'investir alors que de très nombreux projets publics et privés connaissent toujours des retards parfois significatifs dans la réalisation malgré un cadre réglementaire propice et à l'heure où leur déblocage pourrait avoir un impact immédiat sur l'activité économique, l'emploi et l'attractivité de la Tunisie pour les grands investisseurs. Entretien.

Malgré leur importance, force est de constater que peu de PPP ont été signés. D'où vient ce blocage ?

Le gouvernement et le secteur privé ont besoin, aujourd'hui, de structurer les projets d'infrastructure (phases, jalons, lots de travaux, harmoniser les calendriers, les catégories de coûts... ), pour qu'ils soient fiables, robustes et soutenables d'un point de vue social, environnemental... et surtout financier qui reste le principal atout pour promouvoir l'approche PPP en Tunisie et même en Afrique.

En effet, l'approche PPP est une manière de trouver de nouvelles sources de financements durables à l'heure où les autorités publiques ont toujours joué le premier rôle dans la conception et le financement. Mais ceci ne date pas d'aujourd'hui. Faut-il rappeler que le premier PPP africain et arabe dans le domaine d'infrastructure de transport a été créé en Tunisie. C'est Kheireddine Bacha qui a lancé, sous forme d'un partenariat public-privé, le TGM, la fameuse ligne ferroviaire qui relie Tunis à La Marsa en passant par La Goulette.

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Mais avec la série de crises qu'a connues le pays depuis 2011, le marasme du marché qui s'ensuivit, la réponse prudente des investisseurs privés et des bailleurs de fonds, des appels d'offres ont été retardés voire annulés. Il est plus que jamais temps aujourd'hui de refaire ce qu'on sait déjà faire en motivant le secteur privé pour créer et se lancer dans des infrastructures de qualité et bien maintenues, tout en épousant les spécificités de la Tunisie. Car, qu'on le veuille ou non, les marges de l'Etat pour financer les projets d'infrastructures sont réduites, d'où la nécessité et l'obligation de s'orienter vers les PPP.

Et à ce niveau-là, il n'est pas inutile de rappeler que les pouvoirs publics ont, bel et bien, mis en place des dispositifs législatifs et institutionnels adéquats pour accélérer la réalisation des grands projets publics, notamment les projets d'infrastructure. Aujourd'hui, c'est à nous de passer à l'action.

Vous dites, donc, que tous les ingrédients sont réunis pour réussir l'approche PPP en Tunisie ?

Absolument ! D'abord, le cadre réglementaire est bien conçu. Et après sa révision en 2019, il est attractif et efficace. On a aussi l'Instance générale de partenariat public-privé qui joue parfaitement son rôle... Maintenant, il faut actionner la machine. Certainement, il n'y a pas une baguette magique et il ne s'agit pas non plus d'une boîte à solutions toutes prêtes. Mais on peut le faire si on réussit à structurer et préparer les projets avec un minimum d'études, raccourcir les délais des appels d'offres...

Dans ce contexte particulier, le secteur privé est-il prêt à investir ou il y a encore de la réticence ?

Le contexte tunisien n'est pas plus délicat que dans beaucoup d'autres pays frères africains à l'instar du Cameroun, Nigeria... Il ne faut pas non plus exagérer la situation. Notre rôle c'est d'améliorer l'existant pour que les prochaines générations trouvent des infrastructures meilleures que celles qu'on a trouvées aujourd'hui. Certes, c'est une bataille de longue haleine, mais ça sera plus facile et plus sûr si c'est fait avec le secteur privé qui a prouvé, pendant des décennies, son efficacité et joué pleinement son rôle de moteur de croissance et de création d'emplois.

Si les investisseurs privés tunisiens et étrangers sont réticents, c'est parce qu'ils craignent que les PPP soient lancés mais traînent sur des années, car la situation foncière du PPP n'a pas été réglée en amont ou car la solvabilité de l'entreprise publique porteuse du PPP ne soit pas rassurante pour les bailleurs ... Aujourd'hui, il est plus que jamais temps d'arrêter de regarder derrière, il faut aller de l'avant en accélérant la cadence et en assainissant la situation des entreprises publiques.

Il existe toujours ce complexe de comparer la Tunisie au Maroc. Qu'en pensez-vous ?

Il faut dire que pour le Maroc, c'est un autre paysage politique, mais il n'est pas beaucoup plus développé que la Tunisie. Malheureusement, on est trop critique envers soi, et ce, malgré qu'on a tout ce qu'il faut pour réussir. Le succès est en nous, nous Tunisiens, et à mon avis il faut arrêter de comparer ce qui se fait dans deux cultures différentes, car chacun des deux pays a ses propres problèmes, cultures, défis... On ne peut pas donc comparer ce qui n'est pas comparable, ni tomber dans ce piège. Mais il ne faut pas nier que le Maroc nous offre, aujourd'hui, un benchmark facile à exploiter de ce qui peut marcher et ce qui ne peut pas marcher. Et si on veut vraiment comparer notre pays, il faut le faire avec le Japon, la Corée du Sud, la Singapour ou la Malaisie... La Tunisie doit relever le défi, car elle a tous les ingrédients pour devenir le Japon de l'Afrique !

La bureaucratie existe depuis toujours et présente un handicap majeur. A quoi la priorité devrait-elle être accordée pour renverser la donne ?

Il est vrai que la bureaucratie existe, mais elle nous a permis, quels que soient le gouvernement et les aléas politiques, de faire tourner la roue dans toutes les conditions. Il n'y a pas eu de discontinuité des services publics malgré toutes les difficultés rencontrées. Et là, il faut regarder la moitié pleine du verre car il faut aussi donner les garanties aux hauts fonctionnaires, les protéger, les motiver... pour assurer aussi la compétitivité de l'Etat et la capacité de ses institutions économiques à mettre en place des conditions favorables à l'attraction, la pérennisation des compétences et la création de la richesse nationale.

Pour renverser la donne, on a besoin de projets relativement simples à l'instar des projets immobiliers, les nouvelles cités urbaines à l'instar de Sebkhat Sijoumi, Ben Ghayadha à Mahdia, Taparura... Ce sont des projets accessibles mais aussi créateurs d'emplois et de richesse.

Si on réussit à réaliser un ou deux projets seulement, on créera immédiatement pas moins de 25.000 emplois qui auront un impact important et qui donneront un signal interne et externe positif et fort sur l'image du pays. Ceci sans évoquer les projets d'infrastructure lourds à l'instar de la création d'un nouvel aéroport ou port... Ce sont des projets accessibles pour les décideurs politiques. On peut aussi avoir des usines, des zones franches à l'instar de Zarzis et autres, même au niveau frontalier, des zones économiques spéciales...

La volonté existe et on ne doit plus retarder ces projets structurants... La Tunisie est un pays relativement facile à gérer avec une petite population relativement éduquée. On est aussi un pays qui n'a pas de problèmes avec ses voisins. Aujourd'hui, la réussite de la Ticad 8 prouve, encore une fois, que la Tunisie peut organiser des conférences similaires et que les investisseurs étrangers croient toujours en ce pays.

Donc, chacun fait son travail et il est plus que jamais temps d'accélérer la cadence de la machine de l'administration publique tout en identifiant ce qui manque en termes de capacité, de motivation, de salaires... afin d'éviter les erreurs du passé et réussir à retenir les meilleurs et aussi attirer de nouvelles ressources pour assurer la relève...

Et quelles sont les leçons à tirer des PPP en Tunisie ?

Le PPP existe partout dans le monde. On ne va pas réinventer la roue. Mais on doit suivre les modèles économiques ayant réussi dans les secteurs stratégiques, grâce à des contrats transparents et qui garantissent l'intérêt général et surtout celui du citoyen, toujours à la recherche d'une qualité de vie meilleure.

Donc, la leçon à tirer est simple : il faut conclure les PPP déjà lancés et qui sont en retard (assainissement, dessalement... ) et cibler ceux relativement simples à conclure (Ports, ponts à Djerba, Métro de Sfax, zone franche de Ben Guerdane, énergie solaire... ) tout en mettant toutes les ressources humaines et les mécanismes financiers nécessaires pour les achever en moins d'une année.

Beaucoup de problèmes peuvent être résolus dans le cadre d'un Partenariat public-privé, si les conditions nécessaires sont remplies. Mais à mon avis, dans ce contexte macroéconomique fragile, la réussite des PPP nécessite de mener en parallèle la réforme des entreprises publiques qui souffrent de déséquilibres financiers (perte de productivité, sureffectif... ).

Pour mettre en place un environnement propice, il faut faire le ménage mais selon une vision claire et une implémentation accélérée. Malgré tout, le secteur privé nous a permis au fil des années de générer des recettes en devises, d'exporter, de recruter... Et on peut faire plus avec le secteur public et les entreprises publiques, mais chacun doit accomplir son travail et jouer son rôle pour conquérir de nouveaux marchés, générer de la valeur ajoutée, améliorer les conditions de vie des Tunisiens... Il faut qu'on retrouve cette logique du rendement, de profitabilité, de valeur de travail... , il suffit d'avoir des projets réussis pour attirer des investissements privés.

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