Madagascar: Tourisme sexuel - Nosy Be, une destination toujours prisée

La reprise du tourisme étranger à Nosy Be signe le grand retour de la prostitution banalisée. Sexualité transactionnelle, pédocriminalité et tourisme sexuel, répandus et tolérés, se sont eux aussi adaptés en temps d'épidémie. Et reprennent aujourd'hui, comme avant. Reportage.

" Moi, je fais des massages et ensuite je fais l'amour ", assume Josie* du haut de ses 23 ans. Sur la plage d'Ambatoloaka, le haut lieu touristique de l'île, ses copines lui tressent les cheveux. Ses faux cils encadrent son regard. Autour du cou, un pendentif représentant la Grande Terre. Son rêve est d'enregistrer des chansons sur sa vie qu'elle a composées.

Elle a commencé à se prostituer à 19 ans, lorsqu'elle était serveuse, un emploi cumulé avec des soirées en discothèque. Puis, elle est devenue masseuse. Comme elle, des dizaines d'autres jeunes femmes possèdent des chaises longues en bois installées sur le bord de mer. Les massages se poursuivent souvent dans les chambres d'hôtel ou dans des petites maisons misérables. Ils servent d'alibi pour une prostitution déguisée, que pourtant, nul ne peut ignorer à Nosy Be.

Sur la plage, dans les bars et attablés au restaurant, de nombreux couples mixtes avec une grande différence d'âge. Les hommes sont toujours des vazahas aux cheveux grisonnants, accompagnés de jeunes -voire très jeunes- femmes malgaches apprêtées. Des couples qui n'ont apparemment rien à se dire une fois l'acte consommé.

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La "sexualité transactionnelle" (pour reprendre l'expression de l'ECPAT, ONG de lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants), sous couvert d'une relation plus ou moins durable, n'est parfois pas dénuée d'affection. Néanmoins, elle reste de la prostitution dissimulée. Selon ECPAT, on estime qu'à Nosy Be, 50% des jeunes ont eu leur premier rapport lors d'une relation prostitutionnelle.

Nirina*, âgée de 34 ans, la pratique depuis plus de sept ans. Officiellement, elle est aussi masseuse. Depuis trois ans, elle entretient une relation à distance avec un dentiste français marié. Il lui envoie 100 euros tous les trois mois. " En octobre, il va revenir ", assure-t-elle, en essayant de comprendre les SMS qu'ils s'échangent dans un français maîtrisé avec difficulté. A ses yeux, aucun doute : " "

Les derniers clients de Josie* étaient, eux aussi, deux touristes français : un Réunionnais de 43 ans et un Mahorais de 73 ans. Elle préfère les vazahas, plus respectueux selon elle, que les Malgaches. Car, elle l'affirme sans détour : " Sur 100 personnes, seules 20 me traitent bien. " Elle fait la différence également entre " les jeunes et les vieux ", ces derniers ayant tendance à vouloir rechigner sur les montants.

La jeune femme tient à son indépendance, qu'elle revendique haut et fort. L'argent lui permet notamment d'élever sa nièce dont elle a la charge. Durant le Covid, Nosy Be a été coupé des ressortissants étrangers. Sans client, Josie* a dû se résigner à partir en forêt sur la Grand Terre pour couper du bois à la machette au milieu " des makis et des serpents ".

Des clients malgaches à la place des vazahas

" Avec le Covid, plus de vazahas. Les filles se sont donc tournées vers les clients malgaches, qui paient beaucoup moins cher : de 10 000 AR à 5 000 AR contre en moyenne 60 000 AR pour les étrangers ", décrit Gildas, bénévole dans différentes associations qui sensibilisent les prostituées aux infections sexuellement transmissibles.

Elle explique ainsi que de plus en plus de filles de la Grande Terre viendraient sur l'île pour profiter de la situation, présupposée, plus simple à Nosy Be. Un nombre important de filles alimenterait donc une concurrence plus rude, alors même que la venue des touristes reste pour le moment timide... L'offre et la demande font donc baisser les prix. " C'est difficile, mais elles doivent manger. D'un côté c'est dur et d'un côté c'est la vie ", résume Gildas, sur un ton fataliste. Elle estime que les filles peuvent se faire jusqu'à 10 000 AR par jour.

"De la prostitution bon enfant"

Bon nombre de ces filles rêvent de se marier avec un vazaha pouvant les chérir, subvenir à leurs besoins, voire, leur offrir une vie de luxe. Philippe* est l'un d'entre eux. Ancien fonctionnaire territorial à Mayotte, le septuagénaire a pris sa retraite à Nosy Be il y a huit mois et vit désormais avec une jeune Malgache : " Elle fait partie de ces filles-là. J'ai créé un salon d'esthétique qu'elle gère. Maintenant, elle a son scooter, elle est contente. Un ascenseur social quoi ", décritil, sans complexe. Philippe connaît bien la vie nocturne de la côte Ouest de l'île : " Quand on sort faire la fête ici, les filles en font partie. C'est tout un système... et tout le monde en profite. Ça génère des revenus, c'est sûr. Si on enlève les filles d'Ambatoloaka, il n'y a plus rien ! ", juge-t-il, en parlant de " prostitution bon enfant ".

Du côté des hôteliers, ils reconnaissent le phénomène mais arguent que cela se passe " ailleurs ". Pour Antonio Pittalis, directeur du Beach Palace, complexe hôtelier de luxe : " C'est partout pareil, à Phuket, aux Caraïbes ou à Bangkok où c'est juste fondu dans la masse. " Le restaurant Beach Klub 22 propose des repas les pieds dans le sable. Chiara Rousso, la patronne, se sent impuissante : " Ces vazahas ont été les premiers à revenir sur Nosy Be à la reprise des vols. Je ne peux empêcher personne de venir manger chez moi... Mais, je ne veux pas que le Beach Klub 22 soit associé comme endroit de rendez-vous de tourisme sexuel. Alors j'augmente les prix ou j'interdis les maillots de bain. " Une interdiction pas toujours respectée...

Des plages aux quartiers défavorisés

Mais la culture de la prostitution ne se limite pas à la plage d'Ambatoloaka, connue et reconnue pour cette pratique. Dans les rues d'Andoany, anciennement Hell-Ville, la prostitution de survie est amplement pratiquée. Les clients sont majoritairement des Malgaches qui paient très peu.

Faustine Razanajafy, assistante sociale au centre Vonjy, structure rattachée à l'hôpital qui accueille les victimes mineurs de violences sexuelles, se souvient de l'arrivée de Aina*il y a trois ans : " Elle était enceinte de son deuxième enfant et contaminée par le VIH. Elle avait 16 ans et se prostituait déjà. " Aina*habite et "travaille" à Andavakoto, un quartier populaire. C'est sa grand-mère qui s'occupe aujourd'hui de son fils, Andry*, dans sa petite maison en dur où cohabitent six générations. " Des filles comme Aina*, il y en a beaucoup ici. Il n'y a pas de travail, déplore Malala*, la grand-mère. J'aimerais qu'elle fasse autre chose. Mais elle boit beaucoup d'alcool... Elle me donne quand même de l'argent pour acheter du savon et des vêtements pour son fils. "

Ce qui pousse les jeunes Malgaches comme Aina* à se prostituer ? " La paresse ", lâche spontanément Christine Razafindravony, la députée (IRD) de Nosy Be, plus connue sous le nom de "Tatie Chris". " Et puis de toutes façons, on ne peut pas interdire à une jeune femme de sortir avec un homme blanc du moment qu'elle est majeure. "

2 000 AR la soirée avec une fillette de 12 ans

L'élue se dit en revanche plus impliquée en ce qui concerne les mineurs : " C'est la faute des parents qui laissent sortir leurs filles tard. Parfois, c'est même eux qui vendent leurs enfants. " Caroline*, 19 ans, et sa mère Carolina*, 34 ans, proposent ainsi toutes les deux des massages sur la plage. À tour de rôle, elles poursuivent leur activité dans une chambre d'hôtel...

Pour Elisabetta Gravellino, présidente de l'office régional du tourisme de Nosy Be, aucun doute : " Il faut mener la guerre contre le tourisme sexuel. " La représentante du ministère du Tourisme évoque à ce sujet des descentes des forces de l'ordre pour s'assurer qu'il n'y a pas de mineures dans les bars : " Certains établissements nous appellent quand ils ont un doute. " En revanche, si la fille est majeure, poursuit Elisabetta Gravellino, " elle est responsable de ses actes, personne ne l'oblige. Elle est autonome, elle gère son entreprise personnelle. Ce n'est pas mon problème. "

* Les prénoms ont été modifiés

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