Ile Maurice: Accusations de pédopornographie - Une évaluation psychologique des aspirants enseignants s'impose

5 Septembre 2022

Le 25 août, un enseignant du primaire a été arrêté après que deux élèves l'ont accusé de les avoir forcées à visionner des images indécentes. En juin, Ibrahim Sorefan, orthophoniste, faisait l'objet d'allégations d'abus sexuels. Cette année, d'autres allégations d'abus d'enfants en milieu scolaire sont survenues, suscitant un débat sur un "screening" avant tout recrutement d'enseignant. Selon les spécialistes, une évaluation psychologique s'impose. Depuis ces derniers mois, plusieurs enfants ont dénoncé des abus en milieu scolaire. Au banc des accusés : leurs éducateurs. Ainsi, le tout dernier en date concerne un instituteur de 53 ans qui aurait contraint deux élèves à visionner des images obscènes. L'éducateur a été arrêté le 25 août.

Fin juin, Ibrahim Sorefan, un orthophoniste, a été accusé par des élèves de visionnages semblables, mais aussi d'abus sexuels sur des enfants de sept à 14 ans. Toujours en juin, une fillette de dix ans avait dénoncé son enseignant et son oncle pour agression sexuelle, alors qu'en mai, un petit de trois ans alléguait avoir été blessé au postérieur par le jeu d'une éducatrice de maternelle.

Des situations qui choquent, indignent et ébranlent les professionnels de la pédagogie. D'autant plus que dans la majorité des cas, ce sont des victimes qui ont pu venir de l'avant et briser le silence.

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Loin du pourquoi et du comment, bon nombre de pédagogues s'interrogent surtout sur ce qui permettrait de pallier de tels comportements d'enseignants avant leur prise de fonction. "On pourrait avoir un spécialiste, comme un psychologue, plus apte à anticiper si le futur enseignant pourrait avoir des comportements inadéquats, mais il faut prendre des précautions pour ne pas blesser cette personne. Cela aurait pu se faire en confidentialité", souligne Vishal Baujeet, président de la Government Teachers' Union.

Il explique que le recrutement passe par la Public Service Commission et qu'un examen médical est requis. Selon lui, un segment psychologique pourrait être inclus dans le volet médical avec un panel qui pourrait détecter de possibles anomalies. "Mais ce n'est pas sûr que la personne affiche un comportement inapproprié. De plus, il se peut qu'on ne puisse prédire que celle-ci agira de telle ou telle façon dans un contexte précis. On doit réfléchir, faire un constat avec des professionnels plus aptes et travailler à des solutions."

Pour sa part, Annand Seewoosungkur, président de l'Association des maîtres d'école, appelle à comprendre le contexte dans lequel peuvent survenir les incidents. Ainsi, dit-il, pendant leur formation, les enseignants sont initiés aux bases pédagogiques et psychologiques. Mais dans la réalité du métier, ils doivent gérer des enfants agressifs et indisciplinés. Leurs émotions peuvent échapper à leur contrôle dans ces contextes.

Néanmoins, il faut faire très attention car les enfants sont tout aussi vulnérables. "La meilleure solution serait d'effectuer un test de personnalité et de caractère avant d'employer l'enseignant. Beaucoup d'éducateurs exercent ce métier par défaut, vu la précarité des emplois à Maurice. L'évaluation avant le recrutement contribuerait à attester si l'enseignant a une vocation pour exercer cette profession", déclare-t-il. Sous ces conditions, Maurice pourrait se pourvoir de meilleurs éducateurs, indique-t-il.

Le psychologue Vijay Ramanjooloo évoque plusieurs tests possibles, par exemple dans l'entretien d'embauche. Le panel ferait une évaluation de la capacité d'analyse, entre autres. Mais l'interprétation serait subjective, prévient-il. "On peut se tromper complètement sur la personne.

" Deuxièmement, ce sont principalement les connaissances et la capacité à gérer une classe qui sont évaluées. Le quotient intellectuel et l'intelligence émotionnelle comptent. "L'humain peut être comparé à un iceberg. On ne voit que le bout de cet amas de glace à 10 %. Et 90 % de ce qui réside à l'intérieur n'est pas visible tels que son histoire, son vécu, etc. La plupart des tests n'accèdent qu'à ces 10 %", déclare-t-il.

D'ailleurs, poursuit-il, l'étymologie du mot personne est dérivé du latin persona qui veut dire "masque". Donc, l'humain en porte un lorsqu'il est en entretien d'embauch. Quand il commence à travailler, d'autres émergent et cela ne reflète pas forcément celui affiché à son entrevue.

Pour contrer les risques d'abus sexuels sur des élèves, il faut une supervision des enseignants. "Avec une cellule d'accompagnement, soit en individuel, soit en groupe, par un expert en psychologie, ils pourront partager ce qu'ils vivent. De telles structures existent pour les enfants, mais qu'en est-il des enseignants ? Quand un adulte a un comportement sexualisé, pornographique, etc. envers les enfants, c'est grave et condamnable mais c'est un signal de souffrance nécessitant de l'aide et de l'encadrement", affirme-t-il.

Pour le pédagogue Jacques Malié, il demeure très difficile de connaître une personne à travers une entrevue qui est limitée dans le temps. "Ce processus a peutêtre été un peu négligé comme on a tendance à se concentrer sur le management, l'aspect financier, l'administration, la paperasserie, etc. Pourtant, le plus important demeure les ressources humaines. C'est une lacune car on emploie beaucoup de gens sans connaître leurs antécédents."

Comment pallier cela ? La présence de psychologues scolaires peut contribuer à déceler certains risques que l'aspirant éducateur laisse entrevoir. Sur le panel, des experts psychologiques pourraient poser des questions aux futures recrues. Il avoue la complexité de cerner ces dernières dans leur intégralité mais l'instauration de garde-fous s'impose. "C'est vital de détecter certains penchants inadéquats dans un groupe. La tendance est qu'on se protège davantage qu'on ne dénonce", affirme-t-il.

Qu'en est-il d'une évaluation après la prise de fonction de l'éducateur ? Annand Seewoosungkur évoque une performance appraisal en novembre, puis en juin dans la fonction publique. Dans le milieu éducatif, la direction de l'école convoque les enseignants individuellement pour leur donner des notes. "Mais il n'y a pas de notes sur le fait que l'enfant a été violent ou si l'enseignant a taquiné ou menacé des enfants. Les agressions physiques sont plus rares mais elles peuvent survenir", précise-t-il.

Pour Jacques Malié, il faut un suivi post-emploi, voire un accompagnement dès que quelqu'un intègre une école. L'approche préconise l'accompagnement des nouveaux par les anciens. Un tel système a fonctionné dans le temps. "On arrivera à diminuer mais je ne crois pas qu'on parviendra à éliminer totalement certaines choses. Indépendamment de la complexité, il faut prendre des précautions et ne pas rester les bras croisés", conclut-il.

"Child Safeguarding Policy"

"Dans notre recrutement du personnel, nous ne pouvons pas nous fier seulement au certificat de casier judiciaire délivré par le bureau du Directeur des poursuites publiques. À ce jour, les règlements ne font pas provision pour des tests psychologiques avant l'emploi ou autres", indique le Service diocésain de l'Éducation catholique (SeDEC). L'instance mentionne que dans le secteur éducatif, il existe la "Child Safeguarding Policy", qui est appliquée dans les établissements catholiques du monde. Cette réglementation prend en considération les lois locales, notamment la "Children's Act" qui protège les enfants de tout abus. "Notre document donne des guidelines pour protéger et prévenir les cas d'abus, précise les structures à mettre en place dans chaque établissement et décrit les procédures pour les enfants victimes d'abus", déclare le SeDEC.

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