Ile Maurice: Crise énergétique et financière en Europe - Bonne nouvelle pour le secteur sucre, moins bonne pour le tourisme

9 Septembre 2022

La situation se corse en Europe, l'euro ayant atteint son niveau le plus bas depuis deux décennies mardi, résultat de la crise énergétique, sans compter l'impact de l'arrêt total vendredi du gazoduc Nord Stream 1, crucial pour les livraisons en Europe. L'inflation dans la zone euro affiche 9,1 %, alors qu'au Royaume-Uni le taux devrait atteindre les 18 % l'an prochain. Quel impact pour Maurice ? Si l'augmentation du prix de l'énergie et de la production en Europe est une aubaine pour le sucre mauricien, le tourisme en revanche en souffrira...

À l'approche de l'hiver, la crise énergétique s'aggrave en Europe, accentuant la pression sur le taux d'inflation qui affiche 9,1 % pour le mois d'août. À hier, le monde financier européen était suspendu à la décision de l'European Central Bank qui devait augmenter de nouveau ses taux d'intérêt entre 50 et 75 points de base.

Hier toujours, au Royaume-Uni cette fois, Liz Truss, Premier ministre britannique, a annoncé une enveloppe estimée à 150 milliards de livres sterling pour protéger la Grande-Bretagne de la flambée des prix de l'énergie, annonce le Financial Times. Cela devrait limiter la facture annuelle moyenne des ménages à £ 2 500 au cours des deux prochaines années face aux estimations de plus de £ 3 500 à octobre prochain comme indiqué par le régulateur britannique Ofgem, et £ 6 000 pour l'année prochaine.

À mettre aussi en contexte les projections de l'US Bank Citi qui prévoit un taux d'inflation de 18,6 % en 2023 au Royaume-Uni. On se rappellera aussi des chiffres du commerce en Allemagne, le pays ayant pour la première fois en trente ans connu un déficit commercial se chiffrant à un milliard d'euros. Il n'y a pas de doute, l'Europe, partenaire important pour Maurice, est en crise.

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Quel sera l'impact sur nos échanges commerciaux ? En 2021, nos exportations vers l'Europe incluant le Royaume-Uni et excluant l'île de la Réunion se chiffraient à Rs 28,3 milliards, contre Rs 27,4 milliards pour 2020 et Rs 15,3 milliards pour le premier semestre de 2022.

Cela nous mène à des recettes d'exportations en euro à hauteur de 33,8 % et de 2,6 % en livres sterling pour 2021 sur la totalité de nos rentrées en devises en 2021 par l'exportation. Pour le premier semestre de 2022, nous en étions à 32,3 % et 3,2 % respectivement.

En face, nos exportations en dollar représentaient 60 % en 2021 contre 61,3 % au premier semestre de 2022. L'euro atteignant la pari- té avec le dollar, nous risquons donc de voir un impact sur nos recettes en roupie. En effet, l'euro s'échange à Rs 44,69 selon le taux de change de la State Bank of Mauritius (SBM) et le dollar s'échange à Rs 44,45.

L'effet de cette crise en Europe se ressent de diverses manières sur les activités commerciales mauriciennes. À titre d'exemple, la crise en Europe s'avère être une bonne nouvelle pour notre secteur sucre, comme nous l'explique Devesh Dukhira, le Chief Executive Officer (CEO) du Mauritius Sugar Syndicate. "Commençons par le contexte.

L'Europe produit son sucre blanc de la betterave. Toutefois, la production de sucre est extrêmement énergivore, d'autant plus que ces usines sucrières produisent en utilisant le gaz, et on connaît la situation avec la fourniture de gaz en provenance de la Russie.

À titre d'exemple, la France est un gros producteur sucrier et la production de sucre représente 3,5 % de la demande nationale de gaz. Après que le coût du gaz a augmenté drastiquement en Europe, le coût de l'énergie aujourd'hui pour le producteur est six ou sept fois plus élevé que sur une moyenne des cinq dernières années, soit environ 300 euros la tonne de plus. La récolte 2022 se fait actuellement en Europe et les coûts de production se répercuteront sur les prix du sucre de cette campagne."

Outre le coût de l'énergie, il faut prendre en compte le coût de production de la matière première, c'est-à-dire la betterave, en Europe face à l'augmentation des prix des cultures alternatives, comme le blé, le colza, etc. mais aussi du prix des engrais entre autres. "L'année dernière, le producteur de betterave cédait sa production à EUR 25-28 la tonne, contre EUR 40 la tonne maintenant. Résultat, le coût de production du sucre est presque deux fois plus élevé en Europe cette année. C'est là l'opportunité pour Maurice.

Avec notre accès hors taxe sur l'Europe sous les Accords de Partenariat Économique, nous pourrons bénéficier de cette situation. Ici aussi nos coûts de production ont augmenté mais la hausse est moins importante pour nous que pour les producteurs européens.

Nos commandes sont encore bien là et on vendra notre sucre à un prix plus élevé que l'année dernière. N'oublions pas que le sucre reste un produit de base et que la consommation a repris depuis la fin des confinements. Nos recettes d'exportation de sucre afficheront donc une meilleure performance cette année."

Pas que le haut de gamme

Toutefois, ce qui est dommage, la production est estimée à 250 000 tonnes cette année, nos cultures ayant un plus faible rendement pour cette récolte. Si nos exportations de sucre ont affiché des recettes de Rs 9,4 milliards en 2021, on devrait s'attendre à une hausse substantielle, donc un meilleur prix ex-syndicat pour les planteurs, cette année.

Quid du tourisme ? Au premier semestre de 2022, nous avons vu l'arrivée de 267 237 touristes en provenance d'Europe sur un total de 376 556, soit 70,9 %. "Il est clair que certains de nos marchés émetteurs sont impactés par la crise en Europe et un segment de notre industrie ressentira cet effet. Les hôtels 3 et 4 étoiles, ou encore les maisons d'hôte seront directement affectés par la poussée inflationniste en Europe et la hausse des prix des billets d'avion et du voyage dans sa globalité. Cependant, le segment luxe n'est pas vraiment concerné.

C'est sûr qu'il est difficile pour l'instant d'avoir de la visibilité sur les mois à venir. En septembre nous sommes en pleine période de relance des campagnes marketing sur ces destinations, donc nous en saurons plus à la fin du mois de septembre", explique Sydney Pierre, Chief Sales and Marketing Officer, JW Marriott Mauritius. Quelle stratégie adopter ? "Il ne faut surtout pas faire l'erreur de se concentrer sur le haut de gamme seulement, il faut voir tout l'écosystème touristique, tous les opérateurs et toute l'industrie."

De manière générale, quelle approche adopter ? L'économiste Kevin Teeroovengadum planche, lui, en faveur d'une diversification de nos marchés. "L'Euro se déprécie face au dollar, nos produits d'exportation risquent donc d'être plus chers pour l'importateur européen.

L'Europe fait face à un déclin économique, sans oublier les incertitudes du Brexit, la population vieillissante européenne et leur retard technologique face aux États-Unis ou à la Chine. Il ne faut pas penser que la crise européenne ne durera que deux ou trois mois, la tendance est négative sur le long terme pour eux.

Nous ne devons donc pas attendre une annonce officielle d'une récession en Europe pour agir et préparer une stratégie. Si nos exportations textiles et notre tourisme se portent bien pour l'instant, rien n'est garanti pour 2023. Préparons-nous."

Finalement, les signes sont-là, les avertissements des institutions clés en Europe résonnent chaque jour de plus en plus fort. Eh oui, vaut mieux se préparer dès maintenant et limiter les dégâts plus tard.

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