Sénégal: "Dimba Diassa" - Une aubaine pour les femmes en quête de fécondité

10 Septembre 2022

Superstitions, mythes et rituels ont toujours accompagné les femmes dans leur quête de maternité. A Médina Souané, dans le département de Sédhiou, des croyances et coutumes autour de la fécondité subsistent encore à travers le " Dimba diassa ". Cette pratique, à travers prières et bénédictions, permet aux femmes en mal de fécondité ou en butte à la mortalité infantile de goûter au bonheur d'être mère.

Le désir d'enfants guide depuis toujours l'action humaine. Se marier, ne pas avoir des bouts de bois de Dieu ou voir chaque grossesse avorter, est la pire souffrance que peut endurer une femme. Dans les traditions, des rites ont permis de venir à bout de ce phénomène et de s'assurer fécondité et prospérité. A Sédhiou, particulièrement dans la communauté mandingue, le " Dimba diassa " est une pratique ancestrale qui y a de beaux jours. La raison est simple, de plus en plus de femmes continuent d'avoir des problèmes de fécondité et de perdre successivement leurs enfants. Elles se tournent alors vers cette pratique qui continue de faire ses résultats.

A Médina Souané, dans la commune de Djirédji (département de Sédhiou), le " Dimba diassa " est une réalité. Elle est toujours pratiquée, selon Gnima Koma Souané, première adjointe au maire de cette collectivité. " Si on entend " dimba ", c'est des génitrices, quelqu'un qui a procréé. Cependant, l'homme ne fait que proposer ; c'est le Bon Dieu qui dispose. Certaines femmes arrivent à un stade où leur unique rêve, c'est d'avoir un enfant, mais tout dépend de la volonté divine ", souligne-t-elle. Ces femmes sont donc " confiées " à des familles. Celles-ci implorent Dieu, demandent des bénédictions. Une fois les prières acceptées et les vœux exaucés, ils donnent un nom à l'enfant et le protègent jusqu'à ce qu'il devienne grand. " Quand on confie une femme à une famille et que celle-ci accepte, elle fait tout pour qu'elle puisse procréer. En cas de grossesse, elle fait des rites et sacrifices jusqu'à la délivrance ; ensuite, elle donne un nom à l'enfant, il n'empêche que sa propre famille lui donnera aussi un nom ", fait savoir l'adjointe au maire.

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Les exemples de réussite ne manquent pas. Ngoundo Cissé porte le nom de Fatoumata Diallo ; elle a été confiée à un couple de boutiquier, et a eu cinq enfants depuis. " Dans le passé, une femme mariée avait un problème pour enfanter. Mohamed Salim l'a vue en rêve et lui a demandé de balayer chaque matin la cour de sa maison, qu'il vente ou pleuve. Elle a prié pour elle ; la dame a eu au moins dix enfants, grâce aux bénédictions ", renseigne madame Gnima Koma Souané. Goumba Souané, petite-fille de feu Mohamed Salim Souané, fondateur de Médina Souané, avait connu ce problème. Son grand-père avait des disciples diolas. Elle a été confiée à l'une de ces familles. Elle a alors pris le nom de Aïssatou Diédhiou. " Aujourd'hui, quelqu'un qui vient ici et demande Goumba Souané ne la verra point, à moins de tomber sur quelqu'un qui la connaît très bien ", assure Gnima Koma Souané. Goumba Souané, elle-même, dit, sur un ton taquin, avoir eu 717 enfants.

Mot à mot, " ding " qui signifie enfant et " baa " renvoyant maman, mère. Le " dimba " est " mère des enfants ", explique le professeur et écrivain Ibrahima Diakhaté Makama. " On les appelle également " toolé " du fait qu'elles se comportent tel un fou. " Toolé " renvoie à fou, cancre, crétin. Cela témoigne de leur degré de manque : manque de quelque chose, mais pas au niveau mental, plutôt, au plan maternel ", fait-il savoir.

Ainsi, ces femmes qui n'ont jamais enfanté pour des raisons diverses cherchent, selon le professeur Diakhaté, à exorciser le démon en s'employant à tromper la vigilance des esprits malfaisants. " C'est cette raison qui les pousse à jouer à la folle et se font appeler " toolé ". Cette folie simulée est donc une ingénieuse ruse ourdie contre le diable en vue de détourner son attention maléfique. Si la femme " dimba " réussit sa fourberie, le démon qui avait décidé de la démantibuler en l'empêchant d'enfanter, cesse de la tourmenter ", indique-t-il.

Ouverture aux autres ethnies

Avoir des enfants est l'un des buts du mariage, croit savoir Cheikh Mouhamadou Kanamori Souané dit N'Mama, actuel chef de village de Médina Souané. Malheureusement, déplore-t-il, beaucoup de femmes ne connaissent pas le bonheur d'être mère. Désespérées, elles trouvent alors une solution avec le " Dimba diassa " et les résultats, dit-il, sont très probants. " Ma première femme, a eu successivement quatre filles. Quand elle a voulu avoir un garçon, elle a donné à la quatrième le nom de Soli (Ibrahima). Par la suite, elle n'a enfanté que des garçons ", assure-t-il.

Selon lui, cette pratique a de beaux jours à Médina Souané. Malgré la modernité ! C'est dire donc que le " Dimba diassa " reste des moments particuliers et uniques qui permettent de renforcer les liens de la communauté. Il est ouvert à toutes les ethnies qui ont chacune sa tradition, sa propre façon de prier, d'implorer le Seigneur. Cependant, précise Mme Gnima Koma Souané, être confiée à une famille diola, balante ou peule ne fait pas de l'enfant un Diola, un Balante ou un Peul, tout comme aller dans une famille chrétienne ne fait pas de l'enfant un chrétien. " A l'état-civil, l'enfant conserve le nom que lui ont attribué ses parents. Il n'y a donc aucune chance qu'il perde son nom de famille ou abandonne sa religion ", précise-t-elle. Aujourd'hui, fait-elle remarquer, le " Dimba diassa " n'est plus une spécificité mandingue. " Toutes les ethnies, selon leur culture, ont adopté cette pratique pour favoriser l'entente entre les familles, les villages, pour que la communauté puisse vivre dans une certaine harmonie, mais aussi encourager la solidarité, la fraternité ", indique-t-elle. A Médina Souané, note-t-elle, il n'y a plus de distinguo entre le Mandingue, le Diola, le Mandjack, le Baïnouk ou le Peul ; tout le monde est sur le même pied d'égalité. La porte n'est donc pas fermée, indique l'adjointe au maire. Sur le plan culturel, informe-t-elle, ces femmes portent les emblèmes de l'ethnie à laquelle elles ont été " confiées " lors des cérémonies auxquelles elles sont conviées pour assurer l'ambiance.

Les signes distinctifs du " Dimba diassa "

Même si certaines " dimbas " ont un niveau de vie appréciable et peuvent leur offrir bien plus que du luxe, voire du superflu, en ce qui concerne la nourriture, elles préfèrent se conformer à la tradition de " Dimba diassa ", estime professeur Ibrahima Diakhaté. " C'est, comme qui dirait, à l'image des talibés qui mendient alors que leurs parents ont les moyens pour subvenir à leurs besoins. Si chez ces talibés, leur mendicité a juste une valeur pédagogique, il en est de même pour ces " dimbas " ", estime-t-il. Selon la première adjointe au maire, Gnima Koma Souané, il arrive de voir une personne très sérieuse, respectée, devenir " diassa " (farceur). " Quand les gens mangent, elle ne mange pas avec eux ; elle se contente des restes. Quand les gens discutent, elle joue au bouffon, met de l'ambiance pour détendre l'atmosphère ; on l'appelle " dimba diassa " (génitrice farceuse) ", indique-t-elle.

A la différence, " ce sont les femmes qui font cette forme de mendicité à la place des orphelins ou enfants de la rue, en vue de permettre à toutes les femmes du village ou du quartier de participer à ce jeu de relation sociale ", ajoute le professeur Ibrahima Diakhaté. Ce qui fait, poursuit-il, qu'elles se déplacent avec leurs calebasses de maison en maison pour que les autres femmes les remplissent de mets divers. " Ces balades aux allures taquines dans le quartier et aux encablures se font également en dehors des " jambadong " (danse des feuilles) et autres festivités de prescriptions sociétales ", souligne-t-il. En vertu de ce célèbre postulat social en règle, relève-t-il, la prise en charge de l'orphelin incombe à toute la société.

En d'autres termes, fait-il savoir, le " Dimbayaa diassa " est " une sorte d'orphelinat à ciel ouvert ". Le contenu de sa calebasse est un cocktail de mets de tous genres (riz blanc, riz rouge, viande, poisson, divers légumes, sauces aux couleurs et saveurs différentes), précise-t-il. " Elle se rend, s'il y a festivité, de temps à autre, dans la procession et offre des poignées de riz ou de morceaux de viande à des danseurs. Elle se permet même de transgresser des règles - du moment qu'elle est considérée comme une folle - en frayant un passage entre les colonnes de circoncis en leur offrant, au hasard, des boulettes de riz ", laisse-t-il entendre.

Un véritable mercure émotionnel

Mot à mot, explique le professeur Ibrahima Diakhaté Makama, " toolé kouro " ou " dimbaayaa groupo " se rendent par " groupe de folles ". Si " toolé " se traduit par " fou ", indique M. Diakhaté, " dimba ", pris mot à mot, signifie enfant et " baa " renvoyant maman, mère. Le " dimba " est donc " mère des enfants ", dit-il. La nuance se situe, à son avis, au niveau de la maternité. " Un " toolé " est un " dimba " mais un " dimba " n'est pas un " toolé ". Un " toolé " joue à la folle pour tromper les mauvais esprits. Mais elles ont le même mode opératoire pour nourrir les enfants devenus leurs fils ", explique-t-il.

Du moment qu'il y'a toujours des femmes stériles et des enfants orphelins, informe le professeur Diakhaté, le " dimba " existe jusqu'à présent. " En plus, du moment qu'il y a toujours des festivités à caractère sociétal où il faut danser avec la procession, elle continuera à inspirer le bal aux sonorités locales qu'elle assure avec un récital de très haute facture. Le régal qu'elle apporte reste inégalé. Ce qui fait que le " dimba diassa " est un véritable mercure émotionnel ", dit-il.

" Dimba diassa " et " kagnaleng " deux pratiques qui se recoupent

Dans toutes les sociétés, les femmes tentent tout pour réaliser leur rêve de concevoir un enfant. " Kagnaleng " chez les Diolas, " gamond " chez les Bedik et " Dimba diassa " chez les Mandignues... , des vertus associées à la fécondité sont prêtées à ces pratiques. Dès l'abord, même si le " dimba diassa " est un mot mandingue alors que " kagnaleng " est une terminologie diola, fait savoir Diakhaté, " ils ont tout de même des zones d'interférence ". Car, fait-il remarquer, les " dimbas " sont de deux ordres : soit elles n'ont pas d'enfants pour raison d'infécondité soit elles ont fini la maternité depuis une ou deux décennies, et ont accepté ou décidé de recevoir des enfants orphelins chez elles pour devenir désormais leur mère par l'artifice de la naturalisation socialisée.

Ce qui, note-t-il, implique qu'elles les prennent en charge et les éduquent comme leurs propres enfants. Le " kagnaleng ", d'inspiration diola, procède, selon lui, de la même manière avec, cependant quelques variances dans cet invariant commun entre peuples du sud. " Mais, en dehors de la supercherie tramée contre les esprits malfaisants, il y a, en lame de fond, une facétie qui joue un rôle sociétal d'une grande importance. Le comique permet de mieux faciliter le contact avec les populations en contribuant, pour une large part, à briser le mur de sérieux qui sépare les habitants. On verra qu'en milieu diola comme celui mandingue, son accoutrement est énigmatique ", précise le professeur Ibrahima Diakhaté.

A son avis, " si, chez les mandingues, le " dimba " a une marge de manœuvre dans son accoutrement, en pays diola, elle a une sorte d'identité remarquable ". Ce qui fait que partout où elle passe, on lui dit " menter ", " menter mor ", terminologies qui renvoient à des souhaits de fécondité. " Les noms de la femme et surtout de l'enfant sont mis en veilleuse et d'autres noms lui sont donnés ", souligne-t-il. En milieu mandingue, précise-t-il, les noms donnés aux enfants seront par exemple Samoo (l'éléphant), Karfa (le confié), Tombon (le ramassé), Yafaye (le jeté), entre autres.

Une pratique qui résiste à la modernité

Dans le sud du pays, le " Dimba diassa " est un héritage culturel laissé par les ancêtres et dont la communauté mandingue a la charge de transmettre de génération en génération. Cette pratique, selon Gnima Koma Souané, fonctionne à merveille, avec des taux de réussite extraordinaire. A en croire la première adjointe au maire de Djiredji, tous les 34 villages de la commune de Djirédji le pratiquent. Cependant, à l'instar de tous les phénomènes d'ordre traditionnel et sociétal, le " dimba diassa " soutient, le professeur Ibrahima Diakhaté Makama, suit les assauts de la modernité. Selon lui, la force de résistance de cette pratique réside dans ses attributs. Le " dimbaya diassa ", précise-t-il, est plus qu'un orphelinat ; c'est une sorte de placement d'enfants chez des " mères d'accueil ". Ce qui est remarquable, assure-t-il, c'est que le terme s'oppose au concept de " centre d'accueil " ou d'orphelinat d'inspiration occidentale. " Autrement dit, il y a plus d'humanité en la mère qu'au centre, avec encore plus de chaleur et d'amour. Mais, l'individualisme qui gagne, de plus en plus, du terrain avec son corollaire, le manque de solidarité, freine petit à petit les ardeurs des " dimba " ", fait-il savoir.

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