Madagascar: Quatre espèces de lémuriens dans la liste des primates les plus menacés

interview

À Madagascar, quatre espèces de lémuriens ont été inscrites dans la liste des 25 espèces de primates les plus menacées au monde, selon le rapport " Primates in peril 2022-2023 ". Déforestation, charbonnage ou encore culture sur brûlis conduisent ces espèces de lémuriens, deux diurnes et deux nocturnes, dont le microcèbe de Mme Berthe, plus petit primate connu au monde, à survivre dans des lambeaux de forêts. Un isolement qui suscite une vive inquiétude, explique le Professeur Jonah Ratsimbazafy, président du Groupe d'étude et de recherche sur les primates de Madagascar et président de la Société internationale de primatologie.

RFI: Sur quels critères ces quatre espèces de lémuriens ont-elles été inscrites dans cette liste?

Jonah Ratsimbazafy: Il y a une grande menace, que ces espèces disparaissent, si nous n'agissons pas tout de suite. Parmi ces quatre espèces, trois se trouvaient déjà dans les précédents rapports : microcebus berthae, eulemur flavifrons et lepilemur septentrionalis. Si on les retrouve encore dans cette liste cette année, c'est qu'il n'y a pas eu beaucoup d'avancement et qu'elles sont toujours en danger d'extinction. Pour le lepilemur septentrionalis, dans l'extrême nord, il ne reste que quelques dizaines d'individus. Le propithecus coquereli vient d'être inscrit. Si on regarde sa distribution à l'ouest de Madagascar, on peut penser qu'elle est encore grande, mais en réalité, on ne le trouve que dans de petits lambeaux de forêts. Si cela continue, ces populations disparaitront, même si on ne les chasse pas.

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À quelles menaces sont-elles confrontées ?

La principale menace de ces espèces, c'est d'abord la disparition de leur habitat. Par exemple, l'aire protégée de Menabe Antimena, dans l'ouest de Madagascar, disparaîtra d'ici à quatre ans si la vitesse actuelle de la destruction de cette forêt continue. C'est là uniquement que l'on peut trouver le microcebus berthae, le plus petit primate connu au monde. À part la déforestation et les feux, il y a aussi la chasse pour les espèces de lémuriens diurnes de grande taille. Les gens chassent les grands propithèques et les eulémurs pour les manger ou les garder en captivité. Il y a aussi la destruction de leur habitat par les gens qui exploitent des mines artisanales, qui cherchent de l'or et des pierres précieuses. Ils détruisent la forêt et en même temps chassent les animaux.

Quelles sont les conséquences de la fragmentation des forêts malgaches sur la reproduction de ces espèces ?

Non seulement ces quatre espèces, mais aussi beaucoup d'espèces de lémuriens, se trouvent dans de petits fragments de forêts et quand la population est isolée pendant plusieurs années, il y a un problème de consanguinité. Il n'y a plus d'échange. Il n'y a plus de corridor. Une fois qu'ils atteignent l'âge de puberté, ces lémuriens devraient aller chercher d'autres groupes. Mais il n'y a plus d'espace pour se disperser. Donc, on assiste à des pertes de diversité génétique. Quand il y a des naissances, les bébés ne sont plus viables. Ce qui me fait vraiment peur, c'est qu'il va y avoir une extinction massive des populations trop isolées pendant plusieurs années dans plusieurs sites très fragmentés. Ces animaux sont protégés par la loi, mais il y a toujours de la déforestation, de la chasse, etc.

Nous avons recensé 28 000 lémuriens que les gens gardent sans autorisation. Mais est-ce que les gens sont vraiment punis ? Donc la loi est là, mais on ne l'applique pas. Il y a des solutions, mais on a besoin de volonté politique et de bonne gouvernance. La conservation est une tâche collective qui demande la mobilisation et une prise de conscience de nous tous, mais la volonté de l'État, c'est très important. Nous n'avons pas de tour Eiffel ou de pyramides d'Égypte à Madagascar ; nous avons les lémuriens et leurs habitats. Les lémuriens frugivores contribuent d'ailleurs à la reforestation. Nous avons besoin d'eux. Ce ne sont pas seulement des animaux pour les touristes.

Quelles mesures devraient être prises ?

L'une des solutions est de faire une réintroduction d'autres individus pour augmenter la diversité génétique. Pour cela, nous devrions avoir des bases de données sur la diversité génétique des différentes populations sur les différents sites. À part cela, il faut à tout prix lutter contre le feu et la déforestation. Mais il n'y a pas de conservation sans développement. Nous avons un proverbe malgache qui dit que " le ventre vide n'a pas d'oreilles ". Si les gens ont des difficultés par rapport à leurs moyens d'existence, la conservation sera difficile. On coupe et on vend les arbres pour vivre.

L'une des solutions est de développer l'écotourisme. C'est le cas, par exemple, à Andasibe, dans l'est de Madagascar. On peut vivre en harmonie en améliorant les conditions de vie des gens. C'est ce que nous faisons à Maromizaha (réserve proche d'Andasibe, NDLR) depuis six ans, avec notamment l'amélioration des conditions d'éducation, et il n'y a pas de pression sur la forêt : pas de charbon, pas de feu, pas de chasse. Si c'est possible sur ce site, alors c'est possible dans d'autres régions à Madagascar. Nous publions cette liste pour tirer la sonnette d'alarme. On doit chercher des financements pour sauver ces espèces et en même temps, il faut des financements pour améliorer la vie des populations riveraines.

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