Afrique de l'Ouest: Reportage-Doropo - Des populations préfèrent le Burkina à la Côte d'Ivoire pour se soigner

11 Septembre 2022

Kakota est un village situé dans le périmètre communal de Doropo, région du Bounkani. Il se trouve à moins de 10 km de la commune. Cependant, que de difficultés rencontrées par la population pour se soigner.

Samedi 26 février 2022. Très tôt au petit matin, nous quittons Bouna pour Doropo. Les deux villes sont distantes de 74 km. Après 45 mn de trajet sur une route qui dégage encore l'odeur du bitume frais, nous voilà à Doropo, ville frontalière au Burkina Faso. Juste avant de franchir le pont à l'entrée de la ville, notre véhicule emprunte une route poussiéreuse sur la droite.

Nous sommes contraints de prendre cette route cahoteuse parce que le chemin habituel qui y mène est malheureusement coupé par les eaux, nous a-t-on dit. Impossible donc de l'emprunter en cette période de l'année où tombent les dernières pluies. C'est sur cette route impraticable que nous roulons en nous frayant un passage entre des champs d'anacarde et la broussaille qui envahit le chemin. En certains endroits, le chauffeur descend du véhicule pour chercher son chemin. Grâce à sa dextérité et surtout sa témérité, nous parvenons à Kakota, après une demi-heure de route pour un trajet qui fait à peine 7 km.

"Vous avez vu par vous-même. C'est comme si on n'est pas en Côte d'Ivoire", déplore Ouattara Daouda, président du comité villageois de gestion qui nous accueille en ces termes, à notre arrivée. Cette phrase de Ouattara Daouda exprime le ressenti de toute la population du village qui se considère comme abandonnée à son sort.

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En effet, Kakota, à l'instar de plusieurs villages de Doropo, n'a ni route, ni courant, ni réseau de téléphonie mobile, ni hôpital pour un village pourtant situé dans le périmètre communal de Doropo. L'absence de centre de santé constitue un casse-tête pour ses habitants qui éprouvent de ce fait d'énormes difficultés pour se soigner.

" Je me souviens, une fois, que j'avais des douleurs de ventre atroces. Comme il n'y avait personne, tout le monde était parti au champ, j'ai pris des médicaments pour calmer un peu la douleur. On était aux environs de 9h. Jusqu'à midi, ça n'allait toujours pas ! Ce n'est qu'aux environs de 13h que j'ai pu avoir quelqu'un pour m'accompagner à moto à Doropo malgré la douleur que je ressentais" , témoigne Koné Mariam, institutrice dans le village.

La moto reste, en effet, le seul moyen de transport même pour les malades et femmes enceintes qui souhaitent se rendent à Doropo pour des soins hospitaliers. Il est arrivé que des femmes enceintes, selon des témoignages, accouchent avant même d'arriver à destination. À cause de l'état désastreux de la route, apprend-on.

"L'année dernière (2020), j'accompagnais, à moto, une dame, Nathalie Kambou, à l'hôpital. En chemin, elle a failli accoucher à cause des secousses. Comme nous étions trois sur la moto, c'est-à-dire avec une deuxième femme, je les ai descendues pour aller chercher une matrone. Après l'accouchement, nous avons continué à l'hôpital pour que la mère et l'enfant reçoivent les premiers soins", confie Palé David, un villageois.

Pour éviter donc de prendre des risques pour le bébé et pour elles-mêmes, certaines femmes préfèrent rester au village pour accoucher. Kambou Justine fait partie de celles-là. Elle a fait deux accouchements au village avec l'aide des matrones.

"J'ai deux enfants dont un de 4 ans et un autre de 2 ans. Chacun de mes accouchements s'est fait ici au village grâce aux mamans du village (matrones) qui m'ont aidée", relate-t-elle. Et pour chacune de ses grossesses, elle n'a suivi aucune consultation prénatale. "En cas de maladie, je prenais des comprimés que mon mari ramenait. Ou je me soignais à l'indigénat (médicaments traditionnels)", informe-t-elle.

Si l'accès aux soins de santé est rendu difficile en grande partie à cause du manque d'établissement sanitaire, il est aussi conjoncturel. La route qui mène au village est très souvent coupée par l'eau en cas de pluie. Notamment pendant la saison pluvieuse au cours de laquelle la petite rivière qui sépare le village de la commune entre en crue, rendant ainsi difficile voire impossible le déplacement des populations vers la ville. Le pont de fortune construit par les populations, sous l'impulsion du programme A4D, au niveau du village de Diamarakolo, pour faciliter les déplacements en toute saison, est souvent envahi par les eaux en cas de fortes précipitations.

"On peut faire des mois sans aller à Doropo en période de pluies", rapporte Attebe Dago, directeur de l'école primaire.

Les difficultés des populations, que ce soit en matière de soins ou de routes, sont bien connues des autorités. Face aux maigres moyens, elles restent impuissantes devant le calvaire des populations.

52% DE LA POPULATION DOIT SE RENDRE À UNE DISTANCE DE 15 KM POUR SE SOIGNER

Nonobstant les écueils qui se dressent sur le chemin, les populations qui malgré tout tentent de se rendre à l'hôpital à Doropo pour des soins hospitaliers, sont souvent confrontées à un autre phénomène qui est le racket policier.

" Pour aller au centre de santé, vous devez obligatoirement passer par le barrage policier où on vous prend au moins 1000 francs pour des problèmes de papiers de nos motos ", rapporte Palé David. Souvent, c'est le double de ce montant qui est payé.

Ce phénomène qui gangrène le milieu des forces de l'ordre, dans le département, selon les populations rencontrées, est fustigé par Sansan Nouffé, député de Doropo."Aucune loi n'autorise les forces (de l'ordre) à prendre de l'argent avec les populations pour défaut de papiers", déplore-t-il.

Les patients ne sont pas au bout de leurs peines une fois sur place. Ils doivent faire face à nouveau au racket des agents et infirmiers de l'hôpital. Y compris les coûts élevés des médicaments et des prestations. Pour toutes ces raisons, nombreux sont parmi eux qui disent préférer se tourner vers le pays voisin, le Burkina Faso, pour recevoir des soins de santé.

"Franchement, quand nous nous y rendons, on est mieux accueilli par les agents de santé. En plus, là-bas (au Burkina), le coût des soins est moins cher et gratuit pour les enfants de 0 à 5 ans et les femmes enceintes. Que vous soyez burkinabè ou non", ajoute le président du comité de gestion villageoise, Ouattara Daouda.

Selon le directeur départemental de la santé de Doropo, Dr N'guessan Kouamé Jean-Yves, la " fuite des malades " n'est pas propre qu'au village de Kakota. C'est tout le département qui, selon lui, est concerné par le phénomène. "C'est avec un pincement au cœur que nous délivrons des documents pourque les malades puissent aller se faire soigner de l'autre côté. Malheureusement notre plateau technique est limité", rapporte-t-il.

A l'entendre l'hôpital de référence le plus proche est situé à plus de 240 km : celui de Bondoukou. "Quand nous évaluons la distance entre Bondoukou et Gaoua (au Burkina), la ville la plus proche, pour certaines pathologies, que ce soit moi ou le préfet qui est sollicité, nous sommes obligés de laisser les malades partir pour une question d'éthique et de santé", confie le premier responsable de la santé à Doropo.

Globalement il se pose, selon lui, un réel déficit de structures sanitaires dans le département. "52 % de la population doit se rendre à une distance de 15 km pour avoir accès à un centre de santé", ajoute-t-il.

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