Burkina Faso: Damiba à la Défense - Les Burkinabè entre scepticisme et surprise

Par décret pris le 12 septembre 2022, le chef de l'Etat, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a récupéré le portefeuille de la Défense, en remplacement du général Barthélémy Simporé qui quitte le gouvernement. Par ailleurs, le général Silas Kéita a été fait ministre délégué en charge de ce strapontin. Dans ce micro-trottoir, des leaders politiques et membres d'OSC donnent leurs avis sur ce changement intervenu dans l'Exécutif.

Issiaka Ouédraogo, président du CISAG

"Je m'attendais à un vrai remaniement"

"Le constat que je fais est qu'il était le seul dans le dispositif de l'ancien président Roch Marc Christian Kaboré qui a été nommé ministre de la Défense gardant ainsi son portefeuille ministériel sous cette Transition issue d'un coup d'État. Cette éjection n'est pas anodine et nous en saurons davantage dans les jours à venir. Seulement je m'attendais à un vrai remaniement au lieu d'un remue-ménage, dans la mesure où beaucoup de ministres, à mon avis, ne méritent pas leur place, en commençant par le Premier ministre lui-même qui laisse nommer des morts et des usurpateurs de titres. Les tares de ce gouvernement sont nombreuses et il devait avoir un bon toilettage pour améliorer la gouvernance de la Transition qui est déjà à la traîne. Ne déplaçons pas les problèmes car ils finiront par nous rattraper."

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Samdpawendé Ouédraogo, secrétaire national chargé des mouvements et associations de l'UNIR/MPS

"Si c'était une équipe qui gagne..."

"Ce sont des putschistes qui se règlent les comptes. C'est un non-événement.

Du reste, l'éviction du ministre de la Défense vient apporter la preuve que le discours du 4 septembre est un tissu de mensonge sur le plan sécuritaire présenté au peuple. Un adage nous enseigne qu'on ne change pas une équipe qui gagne.

Tout ce qui préoccupe le peuple, ce sont les résultats qui ne sont rien d'autres que la fin du terrorisme et le retour des déplacés internes.

À ce stade, on n'est plus optimiste à trouver un quelconque messie en leur sein. Après l'échec sur le terrain qui s'est soldé par l'occupation de près de la moitié du territoire, c'est maintenant la mauvaise gouvernance, le copinage et la promotion du clientélisme. Nous les invitons, en lieu et place des saupoudrages, à aller à une réforme profonde par une Transition civile, inclusive et souveraine."

Ousmane So, président de la Convergence citoyenne et panafricaine (CCP/BF)

"C'est une grande surprise"

"C'est une grande surprise, d'autant plus que la veille de cette décision, le président Paul-Henri Sandaogo Damiba était accompagné du ministre de le Défense, le général Simporé, lors de sa visite au Niger.

Quoi qu'il en soit, un remaniement ministériel est un acte normal dans le processus d'évolution d'un pays. L'on pourrait polémiquer à souhaits sur les causes de ce départ, mais n'oubliez pas que le diable se trouve dans les détails.

Le fait que le poste de ministre de la Défense échoit désormais au président Damiba n'est pas une nouvelle donne au Burkina Faso. Le président Blaise Compaoré avait tenté cette expérience en 2011. Et le président Roch Marc Christian Kaboré s'était attribué la charge du ministre de la Défense pendant quelques mois. Pour les cas des présidents Compaoré et Kaboré, ces dynamiques répondaient à trouver de façon efficiente des solutions à des grandes crises qui avaient secoué l'armée.

Aucun texte de la Constitution n'empêche le chef de l'Etat de cumuler ces deux fonctions.

Personnellement, nous pouvons spéculer en affirmant que le président Damiba souhaite directement prendre toute la mesure des enjeux et difficultés au sein de l'armée afin d'apporter les réponses idoines qui siéent pour une lutte plus efficace contre le terrorisme.

Nous voyons que le président s'est fait assisté par un ministre délégué à la Défense, Sylas Keita. Ce dernier devrait sûrement s'occuper de la mise en œuvre sur le terrain des nouvelles décisions prises par le ministre de la Défense.

Ceci étant, nous souhaitons que ce changement puisse contribuer ardemment à une montée en puissance de notre armée."

Ibrahim Dianda, secrétaire national chargé du Web et des réseaux sociaux du Parti panafricain pour le salut (PPS)

"Notre seul vœu est que ce changement puisse apporte quelque chose de positif"

"Notre avis concernant ce changement à la tête du ministère de la Défense est un avis de profane. S'il s'agissait d'un politique, nous pourrions avoir une appréciation vis-à-vis de ce choix mais étant donné que c'est une question militaire et stratégique, nous ne pouvons que constater et prendre acte. Comme vous le savez, les politiques que nous sommes n'ont pas été associés aux choix de ceux qui composent l'exécutif donc nous sommes également des observateurs comme tous les citoyens.

Notre seul vœu est que ce changement apporte quelque chose de positif dans la guerre que nos vaillants FDS et VDP mènent contre les Forces du mal."

Souleymane Ouédraogo dit Basic Soul, artiste musicien, producteur audiovisuel, membre de la coordination nationale du Balai citoyen

"Il y a un manque de confiance et de sérénité dans la conduite de l'armée"

Je considère d'abord que c'est un désaveu sérieux pour le général Simporé qui est mis de côté aux moments où d'une part, le gouvernement appelle à tout bout de champs la " montée en puissance de l'armée " et d'autre part, dans un contexte où des informations font état de l'acquisition d'importants moyens aériens dans la lutte contre les groupes armés. Il semble que le général n'a été gardé à son poste que juste pour conclure la réception de cet armement. Le fait également que le président détient désormais entre ses mains le fauteuil de ministre de la Défense peut vouloir dire deux choses : il y a un manque de confiance donc de sérénité et de cohérence dans la conduite de l'armée, (ce qu'on a déjà perçu avec la création du COTN qui chapeaute le CEMGA) et également on pourrait percevoir une tendance lourde à la concentration du pouvoir au sein d'un cercle restreint. Ce qui n'est pas une bonne nouvelle parce que si le pouvoir se personnalise, nous ne sommes pas loin de l'impasse qui d'ailleurs est déjà perceptible dans la conduite des affaires de l'Etat."

Me Ollo Larousse Hien, président du mouvement HAMASCHIACH IN YOU

"Cela ne peut pas suffire à donner espoir au peuple burkinabè"

"Je pense que le président Damiba est déjà le chef suprême des armées en tant que chef de l'Etat. De ce point de vue, il n'avait pas besoin de s'octroyer le poste de la défense en tant que militaire de surcroît. Mais en le faisant, il laisse voir un problème de commandement ou une insuffisance dans l'acheminement des rapports qui n'atteignent certainement pas le chef de l'Etat en se limitant juste au ministère de la Défense. En tout état de cause, ça prouve un dysfonctionnement et s'il l'a fait pour apporter une solution, tant mieux, car ce poste ne peut pas suffire à donner espoir au peuple. La cause, l'ex-président Kaboré s'était octroyé ce poste sans grand résultat et je pense que le président Damiba le sait bien et sera face aux critiques acerbes du peuple s'il ne donne pas de résultats satisfaisants."

Larba Israël Lompo, porte-parole du Collectif des organisations de la société civile pour le Sahel (COSC/SAHEL)

"Est-ce un problème de ministre?"

"Il faut dire que l'élévation du colonel Silas Kéita au rang de général, présageait le limogeage du général Barthélémy Simporé du ministère de la Défense. Le président attendait un bon timing pour ne pas laisser paraître une collaboration de "je t'aime moi non plus". Ce limogeage met fin à une longue collaboration sous méfiance qui traînerait depuis le 5 avril 2022. Il y a eu même des sorties du président dans des détachements où le ministre qui devrait présenter ses troupes au président était absent. Tout ceci témoignait du climat de discorde qui existait au sommet de la hiérarchie militaire.

Je pense que le président à ce poste, c'est juste une formalité en attendant de convaincre le reste de l'armée d'accepter son nouveau dauphin précédemment élevé au rang de général, notamment général Silas Keita. Ce qui lui permettrait d'avoir à la tête de l'armée ses hommes à lui, pour homogénéiser la nouvelle génération aux commandes.

Ce changement va-t-il apporter une solution véritable à la lutte contre le terrorisme dans notre pays ? Rien n'est assez sûr. Le président Roch l'avait fait aussi.

Nous sommes à même de nous demander si la détérioration progressive de la sécurité dans notre pays depuis leur prise de pouvoir est liée au simple poste d'un ministre ? Ou un véritable problème de stratégie ? Ou encore une mauvaise analyse géopolitique de la crise ?

Va-t-il continuer à barguigner entre pro-Français et pro-Russes ? Entre justice et réconciliation ?

Visiblement, notre pays connaît le pire accident politique et sécuritaire de son histoire. Malheureusement, il se retrouve entre les mains de chirurgiens qui semblent avoir perdu leurs verres correcteurs. Le temps nous le dira. Que Dieu sauve le Burkina Faso."

Ludovic Tapsoba, expert en hydromodélisation, membre de l'association des anciens élèves de l'ex-URSS

"Qui a trahi trahira"

"Visiblement, depuis son arrivée à ce poste, il n'y a pas eu d'accalmie dans les opérations contre les terroristes. Pire, force est de reconnaître que la situation allait de mal en pis. Nous constatons également que ce ministre n'était plus écouté depuis son apparition au début de ladite mutinerie. Il a menti au peuple. Il y a un dicton qui dit que qui a trahi trahira... Ce ministre, s'il n'avait pas ses paupières politiques en somnolence, devait savoir qu'il ne pouvait pas durer dans ce gouvernement. Il y a aussi eu sûrement un problème générationnel dans la vision de lutte contre l'hydre terroriste. Bon vent à lui dans ses nouvelles fonctions..."

Aïssata Ilboudo, secrétaire chargée de l'action humanitaire du mouvement Sauvons le Burkina

"Je suis déçue que le remaniement ne soit pas total"

" L'éviction du général Barthélemy Simporé du gouvernement a été une surprise pour moi.

Mais le président Damiba a ses raisons que j'ignore, comme bon nombre de Burkinabè d'ailleurs. Donc s'il a jugé bon de le faire, c'est que c'était nécessaire.

Quoi qu'il en soit, je salue le fait que le président ait ajouté ce portefeuille à ses attributs d'autant plus qu'il est un vaillant officier qui a fait ses preuves sur le terrain. Par conséquent, rien ne m'étonne ni ne me surprend. Au demeurant, il saura relever cet énorme défi pourvu qu'il ouvre l'œil, surtout le bon, pour satisfaire la masse populaire.

Ma déception tient au fait que le remaniement n'a pas été total, car il y a des ministres dormeurs qui, bien que nous soyons dans un Etat d'exception, n'ont pas encore compris que le peuple les jugera sévèrement. "

Marc Bonogo, président de l'alliance des nouvelles consciences

"Ce n'est pas un problème d'homme mais de politique nationale de défense"

" Nous avons tous appris dans la soirée du lundi 12 septembre 2022 le limogeage du désormais ancien ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants le général

Aimé Barthélemy Simporé, seul "rescapé" du dernier gouvernement du régime du président Roch Marc Christian Kaboré.

Jusque-là, l'opinion publique le voyait comme la taupe dans ce gouvernement qu'il aurait contribué à déstabiliser en vue de favoriser la prise du pouvoir par d'autres voies que celles des urnes. Cela dit, il aurait été retenu dans le gouvernement de la Transition en guise de récompense.

Mais pour moi là n'est pas la question, car les Burkinabè l'attendaient plus sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, puisque c'est l'une des raisons invoquées par l'armée pour prendre le pouvoir. Peu importent donc les manœuvres catholiques ou machiavéliques de prise du pouvoir par les militaires, les Burkinabè aspiraient à une seule chose : la libération du territoire national des mains des bandes armées et par voie de conséquence le retour des déplacés internes dans leurs zones respectives. T

outefois, force est de reconnaître que jusque-là la situation sécuritaire n'a cessé d'empirer en dépit de victoires enregistrées çà et là. La preuve : la multiplication des attaques, le sabotage des infrastructures, la fermeture de l'administration dans plusieurs localités, etc. Le président de la Transition himself a reconnu la situation désastreuse du pays depuis sa visite au Niger. En substance, il affirme que la Transition connaît des difficultés et qu'il demande le soutien de la diaspora et de l'ensemble du peuple pour venir à bout de l'hydre terroriste. Il y a lieu de relever que l'insécurité enjambe des escaliers d'une courbe très ascendante depuis décembre 2021 à nos jours.

D'où peut-être cette volonté du président Damiba d'essayer lui-même de prendre le taureau par les cornes en assumant les responsabilités au ministère de la Défense. Mais enfin! Le pays a connu la succession d'une kyrielle de ministres de la Défense sans aucun résultat probant pour assouvir la soif de paix des Burkinabè. D'où la question suivante : Le problème réside-t-il au niveau des hommes occupant ce ministère ou de la politique nationale de défense ? J'ai envie de dire au niveau du second volet.

Aussi n'est-ce pas cette politique de défense que doit revoir le gouvernement en envisageant des démarches auprès d'autres partenaires dans la lutte contre le terrorisme? Lorsque vous changez quasiment toutes les pièces de votre véhicule et qu'il continue de tomber en panne, sachez qu'il est amorti ; d'où la nécessité de changer de véhicule, voire de marque. J'estime enfin que le général Barthélemy Simporé a été remercié en vue de donner l'image d'un gouvernement qui aspire à mieux faire mais comme je l'ai dit, si toutes les pièces ont été essayées, il y a lieu de changer de véhicule car celui-ci est entièrement amorti ".

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