Guinée Equatoriale: Filiberto Obama Esono - Opposant équato-guinéen cherche asile

Au pouvoir depuis 1979, ce qui en fait le plus ancien chef d'Etat en exercice dans le monde, le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, pourrait se représenter pour un 6e mandat à la prochaine présidentielle prévue en novembre prochain, à moins qu'il ne transmette la couronne de Malabo à son fils, dans la pure tradition dynastique qui a cours en Afrique centrale. Face au quasi-parti unique que constitue le Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE), une seule vraie formation d'opposition autorisée est la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS). Pas facile donc d'être opposant dans ce riche Etat pétrolier d'Afrique centrale de quelque 1,5 million d'habitants. C'est pourtant la voie qu'a choisie Filiberto Obama Esono, un étudiant en journalisme dont le désir fou est de voir un changement s'opérer à la tête de son pays.

Arrêté à plusieurs reprises, torturé, balloté de pays en pays, il a réussi à s'évader d'un camp militaire et, après un long périple, a passé la frontière burkinabè en août dernier. Mais contrairement à Ulysse, heureux d'avoir fait un long voyage, le fugitif fait grise mine : on lui dénierait le droit d'obtenir le statut de réfugié. En attendant que cet oiseau migrateur par contrainte sache s'il va se fixer au Burkina ou s'il va s'envoler vers un autre nid, il a bien voulu nous conter son histoire le 13 septembre 2022.

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C'est un "petit bout de bois de Dieu", haut comme trois pommes mais au caractère bien trempé.

Filiberto Obama Esono a vu le jour le 16 août 1989 à Akonibé, au sud-est de la région continentale de la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole.

En 2009, à 20 ans, il se découvre une âme militante au sein de la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS) dont le secrétaire général, Placido Mico Abogo, affronte le chef de l'Etat, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, à la présidentielle. Après un meeting au cours duquel le cortège de l'opposition a eu le culot de passer devant le palais présidentiel, Filiberto Obama Esono fera une première expérience des prisons équato-guinéennes. Ses camarades et lui seront libérés après l'intervention de leur champion, mais la défaite électorale est cinglante : Obiang Nguema est réélu avec un score équato-guinéen de 95,37% des voix. Observateur dans un bureau de vote, le jeune militant reste persuadé qu'ils n'ont pas perdu à la régulière.

Après cette première désillusion, Filiberto confie s'être éloigné de la chose politique pour se consacrer à ses études qui l'amèneront en 2015 au Maroc.

Mais chassez le naturel et il revient au galop. Le bonhomme n'a pas sa langue dans sa poche. Dans une lettre adressée à l'ambassadeur de Guinée équatoriale auprès du royaume chérifien, il apporte son soutien à la justice française, qui avait commencé à s'intéresser aux biens mal acquis du fils Nguema, par ailleurs vice-président de Guinée équatoriale et successeur putatif. Il y dénonce la manipulation des chaînes publiques acquises à la cause du régime. Et comme si cela ne suffisait, il fait part de son désir de devenir un jour président de Guinée équatoriale. Pour couronner le tout, cet esprit rebelle organise également une manifestation devant l'ambassade de son pays. Commencèrent alors pour lui des menaces, des agressions physiques et un changement de statut. D'étudiant, il passe à exilé politique au Maroc. Mais la carte du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n'est pas une couverture tous risques. Les menaces se poursuivent et l'apprenant en journalisme dit avoir été obligé de quitter le Maroc pour gagner la Mauritanie voisine en 2018.

Après avoir tenté brièvement une aventure d'un mois au Ghana, il revient en Mauritanie où il obtient également le statut de réfugié. Mais nouvelle désillusion : "J'ai compris que la Mauritanie n'était pas un pays engagé pour le respect des droits de l'homme. Ce n'est même pas un pays qui respecte les droits de ses propres citoyens ; les journalistes et des hommes politiques qui sont contre le régime sont brutalisés. Je me suis dit que j'allais subir le même sort parce que je suis tout le temps en train d'attaquer mon gouvernement sur les réseaux sociaux et sur mon blog", se souvient-il.

Il décide alors d'aller tenter sa chance à l'autre bout du continent, en Ethiopie. Mais à en croire son récit, l'avion qui devait l'amener à Addis-Abeba, pour son malheur, fait escale à Bangui, en Centrafrique. Il est tout de suite arrêté par la police centrafricaine. "Ils m'ont dit que mon pays et la Centrafrique ont de très bonnes relations diplomatiques et que la Guinée équatoriale les paie pour attraper les opposants comme moi qui fuient le régime", raconte-t-il.

Après trois semaines de cellule à Bangui, le " précieux colis " sera remis à l'ambassade de Guinée en Centrafrique et mis dans un avion spécial, affrété, croit-il savoir, par la présidence.

Ce "kidnapping" comme il le qualifie, l'opposant l'a toujours en mémoire tout comme il garde une dent contre le HCR pour n'avoir rien fait, à l'entendre, pour le protéger alors que les conventions internationales empêchent en principe son extradition au regard de son statut de réfugié enregistré au Maroc et en Mauritanie.

La confession publique et l'évasion rocambolesque

De retour au pays, menottes aux poignets et aux chevilles, il est traîné de prison en prison, au gré, dit-il, des interrogatoires et des tortures dont il garde aujourd'hui des séquelles et des photographies comme preuves.

Il affirme avoir finalement sous la contrainte, rédigé une lettre de confession et effectué un faux témoignage devant les caméras.

Dans une vidéo qu'on peut encore retrouver aujourd'hui sur Internet, on l'entend déclarer être manipulé par des gens à l'extérieur qui veulent faire tomber le régime, traduire sa gratitude à son libérateur, le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, faire amende honorable et même promettre de militer désormais au sein du parti au pouvoir.

Après une courte liberté, il sera de nouveau embastillé puis amené dans un camp militaire à Bata. C'est là qu'il rencontre parmi ses geôliers un policier qui, en réalité, soutient l'opposition. C'est ce dernier qui, selon ses dires, lui a permis de s'échapper en pleine nuit en passant par une fenêtre ,puis le mur d'enceinte du camp et enfin en sautant dans un taxi garé dans la broussaille. Direction le Cameroun. Puis débute un long périple qui le verra passer par le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Burkina et enfin le Mali. Au Maroc, il avait rencontré des Maliens qu'ils trouvaient fort sympathiques et généreux, d'où son choix de se rendre à Bamako.

Il y a quelque temps, il dit avoir quitté le Mali du fait de l'insécurité pour rentrer au Burkina. Et quand on lui rappelle que le Burkina non plus n'est guère épargné par la menace terroriste, c'est presque avec un brin de tristesse dans la voix qu'il répond : "Je sais ! C'est pour ça que je suis en train de réfléchir maintenant."

Le 22 août dernier il a écrit une lettre à la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF) dans l'espoir d'obtenir le statut de réfugié au Burkina, chose qu'on lui refuserait parce qu'il bénéficie déjà de ce statut en Mauritanie et au Maroc. Même si la loi est dure, il espère bénéficier d'une faveur au regard du fait qu'il est aujourd'hui recherché par son pays.

En attendant la réponse des autorités burkinabè, c'est grâce à l'aide d'un bon Samaritain croisé par hasard devant les locaux du HCR à Gounghin, qu'il a déniché un abri dans l'arrière-cour d'un salon de couture à Ouaga.

Pour subvenir à ses autres besoins, il dit recevoir des soutiens d'ONG ou d'opposants guinéens. "Quand tu es une bonne personne et que tu luttes pour une bonne cause, il y a toujours des gens pour t'aider", avance-t-il.

Le rêve de Filiberto aujourd'hui, c'est de pouvoir retourner en Guinée équatoriale quand ses tortionnaires ne seront plus là. "Un jour, le régime va tomber, j'en suis sûr", nous confie-t-il. Il espère que ce sera de manière démocratique, d'où le soutien qu'il apporte au candidat du CPDS à la présidentielle de fin d'année, Andrés Esono Ondo. "Depuis que je suis né, je ne connais qu'un président en Guinée équatoriale. J'ai envie de voir un changement à la tête de mon pays", formule-t-il.

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