Tunisie: Envoi de jeunes dans les zones de conflit - Ennahdha rattrapé par son passé politique

21 Septembre 2022

Le dossier traîne depuis plusieurs années. Les plus grands flux de jeunes tunisiens embrigadés et envoyés notamment en Syrie, en Irak et en Libye dans les rangs des terroristes remontent à 2012, lorsque l'Etat était sous une influence des courants islamistes et salafistes.

Près d'une décennie après, le dossier a été rouvert et la justice commence à élucider les mystères de cet épisode douloureux dans l'histoire du pays, des milliers de Tunisiens ont été embrigadés et envoyés au cœur de l'enfer de Daech, le sort de la majorité de ces Tunisiens est toujours inconnu.

Le parquet a décidé, récemment, de lancer une enquête judiciaire contre 126 personnes dans le cadre des réseaux d'envoi de jeunes tunisiens dans les foyers de tension. Parmi elles, figurent des politiciens, des sécuritaires et des imams qui seraient impliqués dans l'embrigadement de jeunes tunisiens.

Notons que, jusqu'à présent, dix personnes ont été arrêtées dans le cadre de cette affaire. Il s'agit notamment de l'ancien député d'Ennahdha et homme d'affaires Mohamed Frikha qui a été placé en garde à vue, lundi 12 septembre sur décision du Parquet auprès du Pôle judiciaire antiterroriste. Le nom de Mohamed Frikha, ancien patron de la compagnie Syphax Airlines, a souvent été évoqué dans l'affaire de l'envoi des jeunes vers les zones de conflit.

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De même, l'imam et ancien député d'Al-Karama Ridha Jaouadi ainsi que l'ancien député d'Ennahdha Habib Ellouz ont été également arrêtés dans le cadre de la même affaire.

Lundi dernier, les deux haut placés d'Ennahdha, Rached Ghannouchi et Ali Laârayedh, ont comparu devant l'unité nationale d'investigation dans les crimes terroristes et les crimes attentatoires au territoire national à Bouchoucha. Accompagné d'un nombre d'avocats, de politiciens mais aussi de leurs sympathisants, ils ont comparu séparément devant le juge d'instruction au sujet de ces éventuels crimes.

Après un long interrogatoire de plusieurs heures, Rached Ghannouchi a été remis en liberté, son audition reportée, alors que Ali Laârayedh a fini par être placé en garde à vue. Mokhtar Jamaai, membre du collectif d'Avocats, a estimé dans ce sens que l'interrogatoire de ces deux personnalités devrait se poursuivre aujourd'hu, mercredi. En effet, d'après lui, Rached Ghannouchi et Ali Laârayedh seraient transférés, aujourd'hui, ainsi que tous les suspects dans l'affaire de l'envoi des jeunes dans les zones de conflit au pôle judiciaire de lutte antiterroriste. Le dossier de plainte avait été déposé, en décembre 2021, par l'ancienne députée Fatma Mseddi auprès de la justice militaire.

Ennahdha réagit

Le mouvement Ennahdha a réagi à cet interrogatoire affirmant que son président, Rached Ghannouchi, a été victime de "conditions d'interrogatoire qui s'apparentent à une torture". Ennahdha dénonce "des pratiques honteuses" qui reflètent l'esprit de vengeance du "pouvoir en place". Le mouvement a fait observer, dans ce sens, que Rached Ghannouchi a passé jusqu'à douze heures d'attente sans être entendu.

Dans un communiqué paru dans la nuit de lundi à mardi, le mouvement ajoute que "le parquet a rejeté la demande de la défense de permettre à Ghannouchi de regagner son domicile, jusqu'au démarrage de son interrogatoire, compte tenu de son âge et son état de santé".

Revenant sur cette affaire, Samir Dilou, membre du comité de défense de ces deux personnalités, a précisé qu'elles n'ont pas été auditionnées au sujet des réseaux d'envoi de jeunes dans les zones de conflit, mais plutôt concernant les nominations et promotions professionnelles.

Dilou a prédit de nouvelles convocations de personnalité dans cette affaire, affirmant que le dossier est vide et que les accusations contre Ghannouchi sont jusque-là inconnues.

Un terrain politique propice

Si les dirigeants du parti islamiste réfutent toute implication dans ces réseaux d'embrigadement des Tunisiens, les observateurs de la scène nationale estiment que le parti porte certainement une responsabilité politique dans ce drame passé sous silence. On rappelle que ces flux d'embrigadement et d'envoi de jeunes dans les zones de guerre ont eu lieu alors que les dirigeants islamistes occupaient les plus hauts postes de l'Etat, à l'époque.

On estime également que les dirigeants nahdhaouis les plus radicaux ont également créé un terrain politique et un climat social propice à ces opérations en faisant usage d'arguments religieux et en exploitant les mosquées, notamment dans les quartiers populaires.

Dans un communiqué rendu public, le parti Ennahdha a affirmé que les investigations ciblant ses dirigeants sont de nature politique, rappelant qu'il n'a aucun lien avec ces affaires.

De plus, il a promis de faire des révélations sur l'affaire de l'expédition de jihadistes en Syrie dans le cadre de laquelle Rached Ghannouchi et Ali Laârayedh ont été convoqués devant la justice.

Dans son communiqué, Ennahdha met en garde contre "les dérives dangereuses du pouvoir putschiste qui vise les opposants en exerçant des pressions sur eux et en fabriquant des affaires dans lesquelles il tente d'exploiter l'appareil judiciaire".

Des milliers de Tunisiens embrigadés

D'après les autorités, un peu moins de 3.000 Tunisiens sont partis à l'étranger pour rejoindre Daech. Cependant, des diplomates occidentaux ont confié à l'ONG Human Rights Watch qu'ils pensaient que leur nombre était bien plus élevé : jusqu'à 6 500 Tunisiens seraient partis en Syrie et entre 1.000 à 1.500 autres en Libye. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un des taux par habitant les plus élevés du monde. Dans le total, il n'y aurait pas moins de 1.000 femmes, même si ce chiffre ne fait pas la distinction entre celles qui ont elles-mêmes rejoint les rangs de l'EI et celles qui ont accompagné leur époux. On estime également que la Tunisie présente un des nombres les plus élevés de membres de cette organisation terroriste qui se sont rendus ou qui sont rentrés au pays par leurs propres moyens -- environ 900, selon les responsables du gouvernement. Mais deux diplomates occidentaux interrogés par Human Rights Watch pensent que ce nombre se rapproche plutôt de 1.500.

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