Cote d'Ivoire: Alphonse Soro - " Pourquoi je suis revenu au RHDP "

21 Septembre 2022
interview

" En politique, il y a des gens qui se trompent et ils ont honte de dire qu'ils se sont trompés "

" Nous avons dévié de ce chemin en étant dans un groupe où des gens passent leur temps à insulter nos papas, nos aînés, le président de la République "

" Je n'épouse pas non plus leur panafricanisme frelaté "

Ancien député de Komboro-Karakoro (Département de Korhogo) à l'Assemblée nationale, membre la Commission science et recherche scientifique, Alphonse Soro, jusqu'une date récente était très proche de Guillaume Soro, ancien président de l'Assemblée nationale. Depuis quelques mois, il est en rupture de ban avec Guillaume Soro.

Dimanche dernier, devant ses parents de Karakoro et Korombougou il a annoncé officiellement son retour au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Dans cette interview exclusive, l'ex-élu de la nation donne les motivations de son retour auprès du président de la République et de sa formation politique.

Dimanche dernier, vous avez officiellement annoncé, au cours d'une grande cérémonie, votre retour au RHDP devant vos parents de Karakoro et Korombougou. Qu'est-ce qui a motivé cette action ?

Je voudrais d'abord dire que je suis revenu au RHDP il y a quand même longtemps. Cela date de près de deux ans. La manifestation du dimanche était une cérémonie de réjouissances des populations qui ont décidé de fêter parce qu'elles considèrent mon retour au RHDP comme un événement majeur pour cette localité. Il s'agit de mes parents. Ils m'ont vu partir à un moment donné de la famille.

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Ils en ont été meurtris et inquiets. Ils étaient en colère contre moi. Quand je suis revenu, j'ai fait le tour de tous les hameaux pour leur parler et leur demander pardon. Et nous avons eu le temps de nous parler et ils ont décidé d'organiser une fête pour chanter et danser afin de dire merci au président de la République et montrer au monde entier que la population est heureuse du retour du fils à la maison. C'est cette fête que nous faisions.

Devant vos parents, vous avez dit et je cite : " Je me suis trompé et quand on se trompe, il n'y a de honte à le reconnaître ". C'est un mea culpa très fort ?

Effectivement. J'ai bien pesé mes mots et j'ai même peut-être dit plus fort que ça. J'ai demandé pardon. Vous savez, en politique, il y a des gens qui se trompent et ils ont honte de dire qu'ils se sont trompés. Ils rasent les murs et cherchent les mots. Moi, ce qui me caractérise, c'est la sincérité. Je veux être vrai. Quand je ne suis pas dans quelque chose, je le fais savoir.

Et si ce n'est pas bon, je le dis. Je me suis trompé effectivement, car le chemin que nous avions emprunté dès l'adolescence, nous l'avons quitté à un moment donné. Nous avons dévié de ce chemin en étant dans un groupe où des gens passent leur temps à insulter nos papas, nos aînés, le président de la République. Je considère que je me suis retrouvé dans un monde qui m'était étrange. Je vous le dis très sincèrement. J'ai essayé, dès le début de l'escalade, autant que faire se peut, de dire non à ça. Je ne veux pas entrer dans les détails. Mais, je vais vous donner un seul exemple et personne ne peut me contredire.

Quand Konaté Zié a parlé de " père injuste ", j'ai pris mon téléphone et j'ai appelé Guillaume (Soro) pour lui dire d'aller demander pardon au président de la République. Je l'ai fait, personne ne peut le contester. Et puis, il y a eu une avalanche d'injures qui continue aujourd'hui. Pour obtenir quoi ? Être président de la République de Côte d'Ivoire ? Soyons sérieux. Diriger un Etat, un pays comme la Côte d'Ivoire, locomotive de la sous-région avec 40% du PIB de l'UEMOA.

Ç'a été pour moi une grosse déception. En fait, beaucoup de gens se sont trompés comme moi au début. Il y a eu beaucoup de nuages sur la marchandise qui se sont éclaircies au fil du temps. La deuxième raison qui m'a poussé à utiliser le mot "trompé", c'est le constat de la divergence au niveau de l'idéologie politique. Vous savez, la politique est basée sur des convictions idéologiques. Le combat du Président Alassane Ouattara s'est fait au-delà des considérations idéologiques.

Il y a eu donc un rassemblement de beaucoup d'opinions autour de ce combat identitaire. Donc, quand le combat finit, on arrive à un carrefour où chacun prend sa route. Je ne suis ni marxiste encore moins un communiste. Je n'épouse pas non plus leur panafricanisme frelaté. En fait, ce sont les fondements réels de la rupture entre Guillaume et moi.

C'est donc une rupture idéologique...

Tout à fait. Les gens ne savent pas que nos chemins se sont croisés parce que j'étais un militant engagé pour Alassane Ouattara. Avant cela, on ne se connaissait pas. Et si au bout du combat, on se rend compte qu'il n'est en réalité pas de la maison politique et idéologique du Président Alassane Ouattara, c'est donc logique qu'à ce carrefour de la clarification, je sache où se trouve ma place. Et j'ajoute que je ne suis pas le seul qui a été ainsi emballé. Le fondement premier de ma lutte politique, c'est Alassane Ouattara d'abord.

Ensuite, vient le reste. Je me suis trompé en pensant que nous étions de la même idéologie, que nous partagions les mêmes valeurs à savoir que chez nous au nord, on n'attaque pas les aînés, on n'insulte pas les papas. Je me suis trompé en pensant qu'on pouvait tout revendiquer sauf vouloir tuer le père. Je me suis trompé en pensant que jamais on nous aurait accusés d'être des gens qui veulent attenter à l'autorité de l'Etat. Je ne veux pas entrer dans les confidences. Mais, il y avait des engagements et une ligne rouge à ne pas franchir. Quand je réalise tout cela, le mal était déjà fait.

Pourquoi n'avez-vous pas pris plus tôt vos distances avec Guillaume Soro ?

Quand j'ai réalisé que je me suis trompé, le mal était déjà fait. Vous savez, en interne, j'ai dit non à beaucoup de choses. J'ai conseillé d'appeler les chefs traditionnels pour une médiation et demander pardon au président de la République. Mais, je n'ai pas été écouté. Quand j'ai commencé à voir un peu plus clair, j'avais déjà démissionné de la Primature.

Même quand je suis parti de la Primature, dans tous les meetings GPS, j'ai dit qu'on ne pouvait pas s'attaquer à Alassane Ouattara. C'est notre papa. Bref, je ne souhaite pas réveiller des choses. Ce que je peux dire, c'est que j'ai essayé de contribuer à rattraper la situation comme je le pouvais, mais c'était trop tard. Malheureusement, on n'y pouvait rien. Et, à un moment donné, il fallait prendre ses responsabilités. Ce que j'ai fait.

Mais vos anciens camarades vous accusent de les avoir trahis...

Ce sont plutôt eux qui sont les traîtres. Je veux qu'ils me disent là où nous sommes mis d'accord sur tout ce qu'ils sont en train de faire, ou ceux dont ils sont accusés et quelle a été ma partition dans ça ? Qu'ils le disent. S'ils estiment qu'ils ne se reprochent rien, pourquoi n'ont-ils pas fait ce que je leur recommandais. Je ne veux même pas répondre à ces gens-là. Pour moi, c'est une page qui est tournée. Je n'ai plus affaire à eux. J'ai décidé d'oublier cet épisode. Je considère que leur comportement est incompatible avec mon personnage.

Vous reprenez votre place au RHDP qui est en pleine restructuration. Quel regard portez-vous sur ce processus ?

C'est une autre leçon du Ouattaraisme. Le Président Ouattara nous montre avec ce processus qu'on peut travailler avec acharnement pour développer le pays, et en même temps construire un appareil politique. Ce n'est pas donné à tout le monde. En construisant un appareil politique avec le RHDP, le Président Ouattara donne une leçon à toute l'opposition. Prenons par exemple l'élection des secrétaires départementaux. Personne n'imaginait que cela serait possible en Côte d'Ivoire. Mais, le Président Ouattara l'a réussi avec le RHDP.

La démocratie est placée au cœur de ce parti. La parole est donnée à la base pour qu'elle puisse désigner ses responsables. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai dit que je préfère revenir auprès de mon papa pour continuer d'apprendre. Nous devons continuer d'apprendre à ses côtés. Je ne suis donc pas surpris de cette restructuration qui se déroule très bien. C'est une fierté pour les militants du RHDP que nous sommes. Je suis fier d'être au RHDP pour apprendre la discipline, la patience, contribuer au rayonnement du parti.

Justement quelle place comptez-vous prendre dans ce nouveau RHDP ?

Ce n'est pas à moi de choisir une place. Je n'ai pas non plus de contrat de places avec les responsables du RHDP. Je suis un militant engagé, déterminé. J'ai été militant de base jusqu'à devenir un élu du parti et secrétaire national à la jeunesse du parti. Partout où l'on pense que je serai utile, je suis prêt. Je suis un militant à la disposition des responsables du parti. Ce sont eux qui décident. Ce qui me pesait, c'était de me débarrasser de manière définitive des oripeaux de la petite parenthèse en dehors de ma maison politique. C'est fait. J'ai aujourd'hui les pieds, la tête, l'âme et le cœur à fond dans le RHDP.

La vision du président du RHDP, c'est de bâtir le parti le plus puissant de Côte d'Ivoire depuis la fin du parti unique. Quelle doit être la contribution des cadres et militants que vous êtes dans l'atteinte de cet objectif ?

Je pense qu'il faut aller au-delà. Pour moi, l'objectif c'est la construction du plus grand parti politique de la sous-région voire de l'Afrique subsaharienne. Pour revenir à la contribution des cadres, il faut déjà savoir que la vision et l'orientation sont connues. Les directives ont été données. Le rôle des militants que nous sommes est de les appliquer simplement. Le président a insisté sur l'élargissement des bases du parti, sur l'union, la solidarité. La Côte d'Ivoire solidaire commence au sein du RHDP et la disponibilité des cadres vis-à-vis des militants doit être le premier signal que nous devons renvoyer aux autres.

Ensuite, il faudra être présent sur le terrain. Il faut être à la disposition des populations, à leur écoute. Il faut que les populations sentent qu'elles participent pleinement à la vie, au fonctionnement et au rayonnement du parti. Dans la région du Poro d'où je viens, le parti est solidaire avec l'ensemble des militants dans toutes les circonstances. Un travail énorme est abattu dans ce sens. Je voudrais vraiment féliciter les responsables locaux du parti. Je suis à leur disposition.

Mais, comment expliquez-vous que les cadres ne soient pas généreux avec les militants au point d'être interpellés par le président du RHDP ?

Le Président nous demande d'être généreux. Il faut savoir que c'est progressivement que les cadres s'imprègnent de la vision et de l'école du Président. Tout le monde se forme et apprend à appliquer les consignes fermes du président du parti.

Pendant ce temps, on assiste aussi au retour de certains cadres partis sous d'autres cieux. C'est le cas du ministre Mabri Toikeusse qui est beaucoup raillé par une certaine opinion. Quelle analyse faites-vous de cela ?

Je suis passé par là. Quand, je suis revenu à la maison, j'ai tout entendu, tout lu. Mais, en politique, il faut avoir la carapace dure et rester calme. Ces jugements ne sont pas importants. Quand vous savez que vous êtes en cohérence avec vous-même, et avec votre perception philosophique de la vie, ne vous laissez-vous pas influencer, qui plus est, par des gens sur des réseaux sociaux. Je ne dis pas qu'il ne faut pas les écouter, mais ce ne sont pas eux qui doivent influencer la prise de décision d'un homme politique.

Pour moi, la place de Mabri est nulle part ailleurs qu'au RHDP. Je pense qu'il ne sera pas le dernier homme politique à rejoindre le RHDP. D'autres vont suivre car, au fur et à mesure qu'on avance, ils vont voir que la meilleure offre politique du pays, c'est le RHDP. Je suis donc content du retour de Mabri, je le félicite pour cette décision courageuse.

Le prochain défi qui attend le RHDP, c'est de remporter les futures élections locales. Comment appréhendez-vous cette échéance ?

Si vous m'aviez posé cette question en 2013 ou 2016, je vous aurais répondu autrement. Mais, en 2022, il n'existe pas une personne au RHDP qui n'a pas conscience des enjeux de ces élections qui arrivent, qu'il s'agisse des premiers responsables, des cadres ou des militants. On a compris que tout se joue sur le terrain, que ce n'est plus le parrainage qu'il faut. Si vous n'êtes pas en harmonie avec les militants, ça ne passera pas. Je ne crois donc pas que l'adversaire sera vraiment l'opposition. Je n'ai aucun doute que nous allons les écraser.

N'est-ce pas de l'optimisme béat ?

Non, pas du tout. Le problème que nous avons peut-être à régler, c'est la question des candidatures indépendantes, la cohésion entre les cadres et la discipline que nous devons adresser et solutionner de manière définitive.

Avec la recomposition du paysage politique notamment une réorganisation de l'opposition, l'adversité ne sera-t-elle pas rude ?

Elle sera peut-être rude, même si je n'y crois pas trop, mais ce sera une adversité localisée, par endroits. Toutefois, elle ne peut pas être au-dessus de la détermination et de l'entregent des premiers responsables du parti. Il s'agit de travailler sérieusement sur chaque localité maintenant. Dans tous les cas de figure, à la veille des batailles de 2025, nous savons que ces élections ont un enjeu énorme.

Envisagez-vous de briguer un poste électif dans les années à venir ?

En ce qui me concerne, ce sont les premiers responsables du parti qui vont décider. Je serai utile au parti avec ou sans poste électif.

Pour finir, avez-vous un message particulier à lancer ?

J'ai eu l'occasion de demander pardon à mon père Alassane Ouattara et à mes parents. J'ai également demandé pardon à mes camarades du parti que j'avais abandonnés sur la ligne de front politique. A tous ceux-là, je voudrais humblement dire que je suis de retour. Je suis désormais là. Et j'ai repris le chemin là où je l'avais laissé. Nous sommes déjà en train de marcher ensemble. Ils peuvent compter sur mon engagement total, sur ma détermination à remplir avec responsabilité toutes les missions et toutes les tâches. Je le ferai avec engagement et responsabilité. Ensemble, nous nous battrons pour conquérir tous les km2 restants dans le pays au profit du RHDP.

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