Madagascar: Christophe Bouchard - " On ne peut pas être neutre entre celui qui bombarde et celui qui est bombardé "

interview

Sans équivoque. Le diplomate français, Christophe Bouchard, a échangé avec notre rédaction sur les trois années qu'il a passées à la tête de l'ambassade de France. Durant un long entretien, le diplomate qui devrait quitter le pays aujourd'hui, a abordé les sujets qui ont animé les relations entre Madagascar et la France durant ces dernières années. Entretien.

Midi Madagasikara : Comment appréciez-vous les relations entre Madagascar et la France durant ces trois dernières années que vous avez assuré les fonctions d'ambassadeurs ?

Christophe Bouchard : J'ai été très heureux et cela a été un honneur d'être un ambassadeur de France ici Madagascar pendant plus de trois ans, compte tenu de l'importance de la relation entre nos deux pays et l'importance de Madagascar. Trois années un peu spéciales au milieu desquelles il y a eu la pandémie de Covid-19 qui a marqué mon séjour. Cette pandémie est arrivée quelques mois seulement aprés mon arrivée en poste. Et pendant deux ans, elle a perturbé notre façon de travailler, nos vies à nous tous, la marche de tous nos pays.

Et cela a rendu les contacts, les visites, les missions, plus difficiles. Quand je regarde de façon rétrospective ces trois ans, c'est évidemment cet événement que personne ne pouvait imaginer qui domine. Mais en même temps, il y a une satisfaction parce qu'on a pu avancer. Et je pense que nous avons pu faire en sorte que les relations entre nos deux pays qui sont si importantes continuent de progresser.

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La lutte commune contre la pandémie a été, en elle-même, un exemple de ce qu'on peut faire ensemble, non seulement entre la France et Madagascar mais pour l'ensemble des pays de la communauté internationale. Parce que typiquement, c'était une crise internationale qui dépassait les frontières et qui a nécessité une réaction de l'ensemble des pays. Et c'est ce qui s'est passé entre la France et Madagascar.

On avait déjà une coopération en matière de santé. Et on a coopéré pour aider Madagascar à faire face à cette pandémie, notamment. Avec le vaccin. Et ça ne concerne pas seulement la France mais ça a aussi concerné la communauté internationale. La relation entre nos deux pays, elle est importante, elle est forte, elle est indispensable pour nous comme pour Madagascar. On a tout mis en œuvre, du côté de la France comme du côté de Madagascar, pour la renforcer en dépit de cette crise.

Et je pense que les relations aujourd'hui sont fortes comme toujours entre les deux pays qui ont une histoire commune. Il peut y avoir des désaccords, il peut y avoir des sujets sur lesquels on a besoin de discuter. Mais ce que nous avons montré, durant ces trois dernières années, c'est la capacité à discuter, à dépasser les désaccords à l'instar de ce dialogue entre les deux présidents qui se sont vus à cinq reprises pendant cette période, la dernière fois, il y a quelques semaines à Paris. C'est le meilleur signe de ce dialogue au plus haut niveau entre les deux pays pour faire avancer ensemble les dossiers de coopération.

MM. : Est-ce vous avez ce sentiment d'avoir accompli vos missions durant votre mandat ?

C-B : Par principe, on ne peut jamais estimer qu'on a fait tout ce qu'on voulait faire. Il serait très présomptueux de penser qu'on a tout réussi. Comme je disais, cette période spéciale nous a empêché de faire des choses et des projets qu'on avait pour 2020 et 2021, d'en repousser ou à transformer. Je ne dirais pas, en ce qui me concerne, que j'ai fait tout ce que j'avais en tête il y a trois ans. On a fait deux choses qu'on ne pensait pas faire il y a trois ans. L'actualité internationale a été différente de ce qu'on pouvait imaginer et nous avons montré qu'on pouvait réagir. Je parle du Covid-19 mais aussi des cyclones et des tempêtes tropicales du début de l'année, qui ont amené la France à montrer sa solidarité, sa disponibilité à répondre Madagascar. En résumé, nous n'avons pas peut être fait tout ce qu'on avait imaginé au début. Mais, en même temps, on a réagi à des choses imprévues et imprévisibles.

MM. : Quel est le secteur qui, d'après vous, a particulièrement bougé après le déploiement et l'intervention de vos aides ?

C-B : Je pourrai citer plusieurs secteurs. Pas forcément un seul. Parce que le partenariat d'égal à égal entre nos deux pays concerne de multiples domaines. Je citerai le domaine des infrastructures. Puisqu'on a pu, pendant cette période, terminer et inaugurer des projets importants, comme la rocade, qui est sans doute un des projets les plus importants et le plus emblématique entre l'Union européenne et Madagascar. D'autres projets dans le domaine des infrastructures énergétiques ont aussi été lancés, comme les projets de barrage qui ont avancé ou l'aéroport.

On peut parler aussi de la santé, domaine important de coopération au-delà de la lutte contre la pandémie. Je citerai le domaine de l'éducation, la formation professionnelle. Et puis aussi le secteur de la sécurité et de la défense où notre coopération est très confiante et très efficace avec le ministère de la défense et l'armée malgache, avec la police et la gendarmerie. Je pourrais en citer bien d'autres comme ce qui concerne l'aménagement urbain, comme le projet " lalankely " mené par l'AFD et qui est un projet d'amélioration de l'environnement urbain à Antananarivo.

Il y a aussi le projet PADEVE qui concerne plusieurs villes de province. Notre coopération est tellement multiforme que l'on ne peut pas la résumer en un seul domaine. Mais dans chacun de ces domaines, je trouve qu'on a bien avancé en trois ans.

MM. : Vous avez parlé de l'éducation. Récemment la secrétaire générale de l'OIF a déclaré que la langue française a reculé au niveau mondial. Est-ce valable pour le cas de Madagascar ?

C-B : C'est toujours un défi de préserver la langue française dans le monde. Il y a des pays où c'est surtout un problème de recul de la langue française par rapport à d'autres langues. Même si notre conception de la francophonie, ce n'est pas du tout une conception uniforme. Il ne s'agit pas de dire évidemment que les gens ne doivent pas parler que le français dans le monde.

La francophonie va de pair avec le multilinguisme. Il faut parler français en plus d'autres langues. Et il y aussi la nécessité de maîtriser d'autres langues. Ici, j'ai pas le sentiment d'un recul de la pratique de la langue française. Mais ce qui est clair, c'est l'enjeu directement lié à l'enjeu de l'éducation ici à Madagascar. Et là, il y a un travail qui est fait avec les autorités malgaches pour renforcer le secteur éducatif.

Il est clair que plus les gens pourront avoir accès à une éducation de qualité, qui est ici une éducation plurielle avec une partie en langue malgache et une partie en langue française. Mais il faut aussi la nécessité de faire apprendre d'autres langues. Tout ça devra marcher ensemble. Et plus l'enseignement primaire, secondaire, supérieur, sera fort, plus la pratique de la langue française sera large. A Madagascar, je crois que la pratique de la langue française ne doit pas être seulement la pratique des élites qui parlent le français parfaitement, comme on le sait.

Mais il faut qu'on parle français dans tous les quartiers d'Antananarivo, dans les campagnes et les provinces. En plus, évidemment, de la langue malgache qui est la langue maternelle de la population. Parce que le français est un outil de culture, et d'ouverture sur le monde. Il ne faut pas voir ça comme une concurrence mais comme une richesse de maîtriser plusieurs langues, avec évidemment le français parce qu'on y est tous attaché.

MM. : Mais l'anglais ici à Madagascar commence beaucoup à progresser avec les écoles qui font apprendre cette langue presque dans toute l'île ?

C-B : Honnêtement ce n'est pas le sentiment que j'ai eu. Il ne s'agit pas de dire que les gens doivent choisir entre le français, l'anglais et d'autres langues. Plus les gens parlent de langues, mieux c'est. Ici je ne suis pas très inquiet pour des raisons historiques et culturelles. La langue française reste prédominante. C'est tout à fait normal pour les jeunes générations, les jeunes malgaches de vouloir parler en plus l'anglais. Il n'y a aucun problème là-dessus. Et quand on voit le paysage global, on parlait des écoles, et quand on compare les effectifs des écoles qui sont centrées sur la langue anglaise avec celle des écoles privées qui sont centrées sur la langue française, je n'ai pas l'impression d'être menacée. Pour moi, c'est tout à fait légitime de vouloir maîtriser la langue anglaise et je ne vois pas ça comme une concurrence.L'idée principale c'est vraiment en lien avec notre politique de coopération sur l'éducation pour que le niveau d'éducation se renforce ici dans tout le pays, et on travaille là-dessus avec le ministère de l'éducation nationale.

MM. : Sur l'aspect économique de la coopération, qu'en est-il actuellement de l'avancement du projet Sahofika ? Vous avez émis une lettre au premier ministre l'année dernière pour faire part de votre préoccupation sur ce projet.

C-B : Ce projet avance. L'étape très importante a été à la fin de l'année dernière, notamment en novembre 2021, quand a été signé au Palais présidentiel l'avenant au contrat de Sahofika qui fixait les quantités et les prix d'achat de l'électricité par la Jirama la compagnie qui va investir et gérer le barrage de Sahofika. C'est déjà une étape importante. Et c'est vrai que tout le monde, les participants à ce projet, les actionnaires, mais aussi les bailleurs, et je pense l'Etat, ont souhaité que ce projet avance car on sait que l'énergie est une priorité ici. Il faut que le pays arrive à produire plus d'énergie, plus d'électricité. Une électricité propre, abondante et moins chère. On était impatient que ce projet puisse avancer. Maintenant, les partenaires du projet sont dans les discussions financières.

Et le projet prend du temps et c'est pour ça qu'on souhaite que les choses puissent aller le plus vite possible. Après l'actuelle étape des discussions financières, il y aura le chantier lui-même qui va commencer. Mais je suis confiant sur ce projet. Le président de la République m'en a reparlé récemment. Pour lui c'est une priorité.

Et dans quelques années, quand ce projet verra le jour, avec d'autres projets comme le projet de Volobe, d'Antetezambato, qui vont permettre au pays d'augmenter considérablement sa production d'électricité, et d'avoir une électricité abondante dont le prix de revient sera beaucoup moins élevé qu'aujourd'hui. Ce qui veut dire que la situation de la Jirama peut s'améliorer. C'est pour ça qu'il y a un souhait que le projet aille le plus vite possible, aussi bien pour les partenaires de Madagascar que pour les habitants. Et maintenant ça avance. Pour le projet de Volobe, on espère que les négociations vont aboutir dans quelques semaines.

MM. : Qu'en est-il de ce projet téléphérique que vous avez défendu et qui a créé beaucoup de polémique dans le pays ?

C-B : C'est un projet que les autorités malgaches ont souhaité mettre en œuvre. Elles se sont adressées aux sociétés qui sont les plus réputées en matière de construction de transport par cable qui sont des sociétés françaises, en particulier la société Poma. Et les autorités ont souhaité une coopération de la France sur ce projet. Et la France a accepté avec un prêt du trésor français qui finance une partie du projet. Sachant que la majorité du financement vient d'une banque. Le téléphérique est un mode de transport qui se développe actuellement.

Plein de villes en Europe, en Amérique, même dans la région de l'océan indien puisqu'il y en a un qui a été inauguré à la Réunion. C'est un mode de transport qui a plusieurs avantages : c'est un mode de transport propre, et qui ne nécessite pas trop d'emprises au sol donc moins compliqué à mettre en oeuvre que d'autres modes de transport urbain.

On a soutenu ce projet qui, pour nous, prend place dans un schéma plus global de modernisation des modes de transport à Antananarivo. Tout le monde est conscient que la circulation à Antananarivo est difficile parce que la ville a beaucoup grandi. Et le transport urbain n'a pas évolué au même rythme que la population.

Le téléphérique est un élément, mais il y a également le train urbain qui est très important aussi. C'est tout ça combiné qui permettra d'avoir des conditions de circulation meilleures à Antananarivo et moins de pollution. En revanche, tout ce qui concerne la gestion du dossier, le tracé, les discussions avec les partenaires ici, ce n'est pas à nous de s'en occuper. Ce sont les autorités malgaches, la commune urbaine qui s'en occupent. Et je pense que ce projet va pouvoir avancer très rapidement. Puisque les autorités souhaitent qu'il puisse aboutir l'année prochaine.

MM. : Mais en février 2022, le ministre français de l'économie a soutenu que le projet a beaucoup plus d'intérêt pour l'emploi et pour l'entreprise française.

C-B : C'est la première fois que la France accorde un prêt du trésor pour de tels projets. Les conditions de ce prêt c'est qu'une partie du projet soit réalisée par des entreprises françaises. C'est clair que notre mission c'est aussi d'aider, comme tous les pays le font, les entreprises françaises à se développer. Et la société Poma est une première mondiale dans le secteur. C'est une garantie de qualité, de sécurité. Il est clair que c'est un mode de transport qui aura des avantages et c'est pour ça qu'il se développe dans d'autres pays.

MM. : Dans l'affaire " Apollo 21 ", les soutiens de Philippe François accuse la diplomatie française de ne pas jouer pleinement son rôle en faveur de sa libération. Qu'en pensez-vous ?

C-B : Dans ce genre d'affaire quand il y a des ressortissants français qui sont détenus à l'étranger, le rôle des autorités françaises c'est la protection consulaire. Et on l'a expliqué aux familles des détenus. Il s'agit d'assurer la protection des personnes qui sont détenues, leur rendre visite, s'assurer de leurs conditions de détention, de leur état de santé, et aussi pour qu'ils ont accès à un avocat et que la procédure se déroule normalement. C'est que nous avons fait de façon très sérieuse comme on le fait pour tous nos compatriotes qui se retrouvent en prison ici, pour une raison ou une autre.

Comme tous les pays le font pour leurs compatriotes qui sont en prison à l'étranger. Nous continuons à le faire et nous l'avons expliqué dans un dialogue à Paris très régulier avec les familles, et nous leur expliquons ce que nous faisons. Après le reste, je ne ferai pas d'autres commentaires sur le fond de l'affaire parce que c'est pas à nous d'en faire. Il y a des textes, il y a des procédures. Nous, on continue de nous assurer de leurs conditions de vie en prison. En particulier, leur condition de santé puisque, d'une façon légitime, c'est la préoccupation première des familles qui sont en France et qui sont éloignées.

MM. : Comment avez-vous géré, vous en tant qu'ambassadeur, le fait d'avoir eu des anciens officiers français qui sont condamnés par la justice d'avoir fomenté un coup pour destituer le président de la République ?

C-B : Je ne ferai pas plus de commentaires. On a géré cette situation comme on le fait comme toutes les affaires judiciaires comparables quel que soit le motif. Il y a d'autres ressortissants français qui sont aussi détenus ici. Et notre rôle qui est fixé par la Convention de Vienne de 1963 à laquelle tous les pays du monde ont adhéré, c'est la protection consulaire. Et on s'en tient là.

MM. : Concernant la question sur les iles Eparses qui a également animé les relations franco-malgaches ces dernières années. Ni Madagascar ni la France ne cède sur leur position respective dans le dossier. Quelle sera alors l'issue des négociations qui vont reprendre d'ici peu ?

C-B : C'est vrai que sur ce sujet nous avons un désaccord entre la France et Madagascar sur la question de la souveraineté sur les iles. Et la position des uns et des autres est bien connue depuis plusieurs décennies. C'est ce dont les deux présidents ont parlé dès leur première rencontre à Paris au printemps 2019. La question, c'est que, compte tenu de ce désaccord et compte de l'importance de la relation entre nos deux pays et de la priorité que chacun des deux pays, que des deux présidents veut donner à la relation entre nos deux pays, comment on gère ce différend et comment on arrive à le régler et le dépasser pour avancer ensemble dans la coopération sur tous les sujets.

C'est pourquoi les deux présidents avaient décidé de mettre en place une commission mixte pour tout simplement avoir un endroit, un lieu, pour qu'on puisse se mettre autour table pour discuter entre partenaires, entre amis, de ce sujet sur lequel on n'est pas d'accord. Et avec comme but, pour nous, que ce sujet des îles éparses ne soit plus un sujet de conflit, de différends, mais un sujet de coopération. Et c'est pourquoi que le président Macron avait indiqué au président Rajoelina que nous avons des propositions à faire.

Avec le covid, il n'y a pas eu de réunion depuis 2010. Et on aura eu une réunion prochainement cet automne. Il s'agit de faire des propositions pour déterminer comment travailler ensemble, coopérer ensemble sur ces iles pour avancer et pour que ce soit plus un motif de coopération qu'un motif de dispute.

Et pour que cela ne gêne pas les autres aspects de la relation, parce que je pense que, de notre côté, on estime que les enjeux d'une bonne relation entre les deux pays sont tellement forts et importants qu'il ne faut pas que ce sujet perturbe l'ensemble des relations. C'est ce que les deux présidents ont décidé en mai 2019 et ils l'ont répété quand ils se sont vus il y a quelques semaines à Paris. Ils ont redit cette volonté de discuter, de dialoguer. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui quelle sera l'issue des discussions parce qu'il faut les laisser se tenir. Nous, notre souhait, c'est vraiment de mettre en place ce que le président Macron avait appelé le " développement commun " sur ces îles.

MM. : Concrètement, qu'est-ce que la France propose à Madagascar sur ce dossier ?

C-B : Les choses seront précisées lors de la deuxième réunion. Mais on en avait déjà discuté lors de la première réunion. Il y a plein de choses à faire ensemble sur ces îles. Il y a des aspects plus scientifiques parce que ces îles sont des zones très fragiles d'un point de vue environnemental et qui doivent être protégées et préservées. Il y a donc un travail à mener ensemble entre scientifiques français et scientifiques malgaches, protecteurs de l'environnement français et malgaches. Il peut y avoir aussi des aspects plus économiques. Car il y a les îles mais il y a aussi les zones maritimes autour : il peut y avoir une coopération en matière de pêche et de ressources halieutiques. Il peut y avoir aussi une coopération en matière de sécurité maritime. De toute façon, nous sommes voisins, il y a Madagascar, La Réunion, Mayotte. Ces domaines, notamment l'environnement, la coopération scientifique, l'économie, la sécurité maritime, sont parmi les sujets dont on parlera pendant cette commission mixte.

MM. : Est-ce que vous entendez par là une cogestion ?

C-B : Ce n'est pas forcément le terme que j'emploierai. Le président de la République a parlé de " développement en commun ". C'est une coopération, peu importe le terme. L'idée centrale c'est de faire en sorte que ce sujet devienne un sujet de coopération au lieu d'être un sujet de différend et de confrontation.

MM. : Et récemment, on a vu dans la presse la déclaration de l'ambassadeur russe qui réaffirme le soutien de son pays sur la revendication de ces îles.

C-B : Il y a une chose claire que les deux présidents français et malgaches ont décidé il y a trois ans maintenant, c'est de discuter de cela entre eux, entre la France et Madagascar, par le dialogue. Et aucune ingérence étrangère n'est souhaitable dans ce dossier. Et je crois que les deux parties souhaitent continuer à traiter ce sujet en bilatéral qu'il ne soit pas exploité par d'autres qui n'ont pas forcément des leçons à donner, en ce moment, en termes de respect de la souveraineté des autres. C'est une manœuvre qui ne doit pas nous détourner de ce dialogue entre nous, qui doit se dérouler sans interférence, sans ingérence étrangère.

MM. : Justement à propos de la crise russo-ukrainienne. Comment appréciez-vous la position de neutralité prise par le gouvernement dans cette guerre ?

C-B : C'est une crise extrêmement grave. Sans doute la crise la plus grave en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et c'est un sujet grave non seulement pour l'Europe mais pour le monde entier. La communauté internationale s'est bâtie autour d'un certain nombre de principe, de respect des principes, qui sont les principes des Nations Unies auxquels tous les pays membres adhèrent : Respect de la souveraineté, le règlement des différends par la négociation et non pas par la violence. Et ce sont ces principes que les Nations Unies ont mis en place et qui fondent la sécurité du monde, qui étaient tout à fait indispensables après les deux catastrophes des guerres mondiales. Et c'est cela qui est en jeu aujourd'hui et qui a été remis en cause par l'agression russe contre l'Ukraine.

Un pays qui décide d'envahir un autre pays pour des raisons politiques. Comme ça concerne la communauté internationale dans son ensemble, et pas seulement l'Europe, nous avons dialogué avec l'ensemble des pays du monde. Il y a eu des votes aux Nations Unies et nous avons essayé de convaincre tous les pays de notre position et de les convaincre qu'il fallait que la communauté internationale montre clairement que cette agression n'était pas acceptable et qu'il fallait que tout le monde se dresse, le plus possible de pays, contre cette agression. Et pour éviter que ce soit une attitude qui se développe dans d'autres pays.

Et on a dialogué avec Madagascar comme on a dialogué avec les autres pays. Il est vrai qu'on aurait préféré que Madagascar suive la position qui a été celle de la très grande majorité des pays dans le monde au moment du vote des résolutions. Madagascar a choisi d'avoir plutôt une position d'abstention sur les différentes résolutions. Le dialogue continue parce que cette guerre continue depuis plusieurs mois provoquant des destructions, des milliers de morts, et le dérèglement de toute l'économie internationale.

Donc il est nécessaire et normal de continuer à parler. Mais nous nous parlons en tant que partenaire. Par rapport aux commentaires qui ont pu être faits ici ou là, il ne s'agit pas de faire pression sur un pays, ou de le forcer à prendre une telle position ou de l'empêcher de prendre une telle position.

On dialogue. On est partenaire. Nous avons une conception de notre partenariat avec Madagascar, qui n'est pas seulement un partenariat d'aide au développement ou coopération mais aussi un partenariat politique. Et dans un partenariat politique, entre partenaires égaux, il est normal de discuter de tous les sujets.

Encore une fois, quand on est d'accord c'est facile, mais qu'on est pas d'accord il faut que la discussion puisse avoir lieu. Nous continuerons, dans un respect complet de la liberté de choix et de la souveraineté de Madagascar, de dialoguer sur ce sujet. Et Madagascar, comme les autres pays, prendra sa position. C'est vraiment une guerre qui n'a pas de sens et qui détruit non seulement les régions, mais qui tue des habitants et des civils, contrairement à ce qui a été dit au début que seuls les militaires seraient concernés.

MM. : Pourtant il y a toujours ce désaccord.

C-B : Nous n'avons pas la même position. Pour nous, on ne peut pas être neutre entre celui qui bombarde et celui est bombardé, entre celui qui envahit et celui qui se fait envahir. Mais ce n'est pas la position aujourd'hui pour Madagascar. Entre partenaires proches et confiants, on doit pouvoir discuter même si on n'a pas exactement la même position sans que personne ne se sente sous pression. C'est normal de discuter entre pays membres des Nations Unies sur un sujet majeur, vraiment majeur, de sécurité internationale.

MM. : Qu'est-ce que ça a impacté sur le partenariat entre les deux pays ?

C-B : Cela n'a pas impacté le partenariat parce qu'on est persuadé que notre partenariat est dans notre intérêt et aussi dans l'intérêt de Madagascar. On ne mélange pas les sujets. On est suffisamment proche et on se parle suffisamment pour pouvoir dire là-dessus on a exactement la même vision et puis sur ce sujet-là on n'a pas exactement la même vision. Mais la coopération se poursuit normalement.

MM. : La présence des investissements russes dans le pays n'est-elle pas synonyme d'une avancée russe dans le pays ?

C-B : Je ne vois pas beaucoup d'investissement russe dans le pays, et je ne vois pas beaucoup de coopération, d'aide au développement de la Russie ici. Les vrais partenaires de Madagascar en matière de développement, c'est l'Union Européenne et ses pays membres notamment la France, l'Allemagne et d'autres, d'autres pays européens, le Japon, les Etats-Unis... Ce sont eux qui sont présents dans l'éducation, la santé, les investissements. Ce sont les pays qui ont vraiment un investissement au sens général du terme dans ce pays. Et pas seulement de la propagande.

MM. : On chuchote beaucoup que la France a " son " candidat à l'élection présidentielle. Est-ce vraiment le cas ?

C-B : C'est vrai qu'on chuchote beaucoup là-dessus. Mais je peux vous dire que la France n'a pas de candidat à l'élection présidentielle. L'élection présidentielle c'est l'affaire de Madagascar et seulement l'affaire de Madagascar. Ce sont les malgaches qui choisiront leur candidat et qui voteront pour leur candidat. Tout le reste ce sont des illusions ou des fantasmes. Notre souhait, en tant que partenaire, c'est de travailler avec les autorités de Madagascar, avec l'Union Européenne, avec les Nations Unies, avec la Francophonie, pour que ce scrutin se passe dans les meilleures conditions.

Sur certains scrutins, il y a eu un appui technique durant le déroulement des élections. On souhaite que le peuple malgache puisse se prononcer en toute transparence comme dans toutes les démocraties. Ce que l'on peut apporter, si les autorités le souhaitent, c'est un appui pour que le processus se déroule bien.

Dans le passé, il y a eu des élections qui ont été contestées et qui ont débouché sur des crises politiques. Le souhait de la communauté internationale c'est que les prochaines élections se passent bien, que tout le monde reconnaisse les résultats, qu'ils soient le reflet de la volonté des électeurs de Madagascar. Pour que le pays puisse continuer à avancer. Encore une fois, l'élection c'est l'affaire de Madagascar et seulement de Madagascar.

MM. : Et comment vous appréciez les préparatifs actuellement, étant donné également que récemment la mission de suivi des observations des élections de l'Union Européenne a rappelé les recommandations qui doivent être mises en œuvre en ce sujet ?

C-B : Les conclusions de cette mission, c'est justement le travail dont je parlais : être aux côtés de Madagascar, pour que les élections soient reconnues, acceptées, par tout le monde. Et il est vrai que ce dialogue est nécessaire, et qu'il faudra sans doute le poursuivre dans les mois qui viennent pour que tous les éléments d'un scrutin transparent et accepté par tous, soient mis en œuvre. Il y a un travail qui commence actuellement, avec la liste électorale. On va continuer avec, l'Union Européenne, le Pnud, et les différents partenaires, à regarder çà de près avec les autorités pour qu'on mette toutes les chances du côté de Madagascar pour que le scrutin se passe bien. C'est un défi important. Et il y a beaucoup de choses à faire. Il faut que le dialogue soit précis et continu pendant toute la préparation du scrutin.

Il faut vraiment que ce scrutin se passe comme en 2018, c'est-à-dire, qu'il soit reconnu par tout le monde et que les institutions, ensuite, se mettent en place normalement. Pour qu'on ne retombe pas sur des situations où les scrutins ont été contestés et ont débouché sur des crises. Tout le monde a intérêt à ce que ce scrutin se passe de la façon la plus régulière et fluide possible.

MM. : Actuellement l'idée de " concertation " ou du " dialogue " entre les entités politiques circule beaucoup dans le microcosme. Qu'en pensez-vous ?

C-B : En tant que partenaire, nous donnons des conseils, des recommandations sur la meilleure façon que les choses se passent bien, pour que le scrutin se passe conformément à la Constitution et qu'il soit accepté. Les détails, ce n'est pas à nous les fixer, et ce n'est pas à nous de dire qu'untel rencontre untel. Ça c'est vraiment l'affaire des malgaches, des autorités, des partis politiques, de la majorité et de l'opposition.

MM. : Le projet de loi américain sur les activités malveillantes de la Russie en Afrique a été contesté par les pays membres de la SADC dont Madagascar. Est-ce que la France s'aligne-t-elle à cette position de certains pays africains.

C-B : Je ne connais pas les détails de ce projet de loi. Chaque pays a ses façons d'agir. On voit dans certains pays en Afrique les résultats des manœuvres, de la Russie et d'autres pays. Nous voyons par exemple l'utilisation de groupes de mercenaires privés et tous les dégâts que ça cause à la population. Dans certains pays d'Afrique. on est très soucieux de cela parce qu'on pense que nous, la France et l'Union Européenne, on est dans la démarche de la coopération, du partenariat, d'aide au développement.

Et aujourd'hui, on sait que la Russie a une démarche beaucoup plus agressive. Il faut que les gouvernements comme la population en Afrique, voient qui sont aujourd'hui en 2022, les vrais amis de l'Afrique, et qui sont les pays engagés dans une vraie démarche de partenariat transparent, de coopération. Et qui sont les pays qui sont dans une démarche beaucoup plus brutale. On sait que, évidemment, dans certains pays, auprès de certains secteurs de l'opinion publique, ces pays-là jouent sur l'histoire, sur le colonialisme. Mais le colonialisme c'était il y a plus de soixante ans.

Et le message que nous délivrons aux gouvernements et à l'opinion publique en Afrique, c'est : "ne vous trompez pas d'époque, et ne vous trompez pas ni d'amis". Il ne faut pas regarder par rapport à ce qui pouvait être la situation d'il y a un siècle, mais plutôt la situation d'aujourd'hui. Et regardez aujourd'hui, qui sont les pays qui sont les plus engagés dans une démarche de dialogue, et qui sont les pays qui sont dans la brutalité et, comme on voit en Ukraine, qui ne respectent pas la souveraineté des autres.

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