Ethiopie: L'ONU soupçonne des crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Tigré

Des personnes attendent une aide alimentaire dans Workamble au Tigré, en Éthiopie.
22 Septembre 2022

Des experts indépendants de l'ONU ont indiqué, jeudi, qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que des " crimes de guerre et des crimes contre l'humanité " avaient été commis par le gouvernement éthiopien dans la région du Tigré, avertissant que la reprise du conflit dans cette région augmentait le risque de " nouveaux crimes atroces ".

La Commission internationale d'enquête de l'ONU sur les violations des droits humains commises depuis le début du conflit au Tigré " a des motifs raisonnables de penser que, dans plusieurs cas, les violations " des droits fondamentaux " correspondent à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ".

Présentant leur rapport devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, les trois enquêteurs de l'ONU relèvent ces motifs raisonnables de croire que les parties au conflit ont commis de graves violations et abus du droit international des droits de l'homme et du droit humanitaire depuis novembre 2020.

" Nous avons également des motifs raisonnables de croire que le gouvernement fédéral et ses alliés ont commis des crimes contre l'humanité dans la région du Tigré. Certains de ces crimes sont en cours ", a déclaré la Présidente de la Commission d'enquête, Kaari Betty Murungi (Kenya). Les deux autres membres de la commission sont Steven Ratner (Etats-Unis) et Radhika Coomaraswamy (Sri Lanka).

Obstruction généralisée de l'aide humanitaire

Le document présenté au Conseil détaille une situation humanitaire " désastreuse " dans la région éthiopienne du Tigré, où " le gouvernement fédéral et ses alliés refusent depuis plus d'un an à quelque six millions de personnes l'accès aux services de base, notamment l'électricité, l'Internet, les télécommunications et les services bancaires ". La majeure partie de la population du Tigré doit maintenant survivre avec des régimes alimentaires limités et inadéquats sur le plan nutritionnel.

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" Nous avons des motifs raisonnables de croire que le refus et l'obstruction généralisés de l'accès aux services de base, à la nourriture, aux soins de santé et à l'aide humanitaire constituent des crimes contre l'humanité de persécution et d'actes inhumains ", a dit la Présidente de la Commission. Il y avait également des motifs raisonnables de croire que le gouvernement fédéral commet " le crime de guerre consistant à utiliser la famine comme méthode de guerre ".

De plus, le rapport a trouvé d'autres " motifs raisonnables de croire que l'armée de l'air éthiopienne a commis des crimes de guerre ". Le document fait référence à ce que les enquêteurs considèrent comme une " attaque intentionnelle contre des civils, qui a frappé un camp de personnes déplacées à Dedebit avec un drone armé en janvier 2022, tuant environ 60 civils, dont de nombreux enfants ".

Des crimes de guerres également commis par les forces tigréennes

Plus largement, le gouvernement fédéral est ensuite accusé d'avoir commis une attaque aveugle contre des civils en se livrant à des exécutions extrajudiciaires généralisées, des pillages, des viols et d'autres formes de violence sexuelle. La Commission a d'ailleurs constaté que des viols et des crimes de violence sexuelle ont été perpétrés à " une échelle stupéfiante " depuis le début du conflit.

Selon les trois experts, les forces éthiopiennes et érythréennes et les milices régionales s'en prenant aux femmes et aux filles tigréennes avec une violence et une brutalité particulières. Leurs agresseurs ont parfois utilisé un langage déshumanisant qui laissait entendre une intention de " détruire l'ethnie tigréenne ".

De leur côté, les forces tigréennes sont accusées d'avoir commis des viols et des violences sexuelles contre des femmes et des jeunes filles amhara et des réfugiés érythréens. " Nous avons trouvé des motifs raisonnables de croire que les forces tigréennes ont commis de graves violations des droits de l'homme, dont certaines s'apparentent à des crimes de guerre ", a souligné la Présidente de la Commission.

Pillages, destructions et viols massifs

Il s'agit notamment " de meurtres à grande échelle de civils amhara, des viols et des violences sexuelles, ainsi que des pillages et des destructions généralisés de biens civils à Kobo et Chenna en août et septembre 2021 ". Lors de leurs perquisitions dans les maisons à Kobo, par exemple, les forces tigréennes ont cherché des armes et ont tiré de nombreux hommes de leurs maisons, les exécutant, souvent devant leurs familles.

#HRC51 | Le Conseil des #droitsdelhomme est informé qu'il y a des motifs raisonnables de croire que les parties au conflit en Éthiopie ont commis des crimes de guerre & que le Gouvernement fédéral & ses alliés ont commis des #crimescontrelhumanité au Tigré https://t.co/b957go1dT9 pic.twitter.com/lFNouM2dHF-- UN Human Rights Council 📍 #HRC51 (@UN_HRC) September 22, 2022

Après une cessation des hostilités de cinq mois, les combats ont repris le mois dernier entre le gouvernement fédéral et ses alliés, et les forces soutenant le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Selon les enquêteurs de l'ONU, ces combats semblent s'intensifier.

" Des sources crédibles font état d'une escalade des attaques de drones utilisant des armes explosives à large portée dans les zones peuplées, de la suspension de l'accès humanitaire au Tigré depuis fin août 2022 et d'informations faisant état de l'implication des forces érythréennes le long de la frontière ", a détaillé Mme Murungi.

L'importance d'une reddition des comptes

Dans ces conditions, la population civile éthiopienne assiégée se trouve maintenant " embourbée ", une fois de plus, dans les conséquences irréductibles et mortelles d'une guerre susceptible d'affecter la stabilité de l'Éthiopie et de la Corne de l'Afrique. Pour les enquêteurs, cela rend encore plus impérieux le besoin d'un mécanisme externe, indépendant et impartial pour traiter les violations en cours et la responsabilité.

Dans toute une série de recommandations, les trois experts de l'ONU demandent au gouvernement fédéral ainsi qu'aux autorités érythréennes et tigréennes de faire en sorte que les auteurs des exactions soient jugés. La Commission d'enquête exhorte les instances internationales et régionales à " prendre les mesures qui permettront de restaurer la paix, la stabilité et la sécurité et éviter de nouvelles violations " des droits humains.

Pour la Commission, les craintes de crimes d'atrocité font qu'il est d'autant plus important que notre travail soit considéré comme un outil de prévention. " Notre travail vient ainsi compléter le processus de paix essentiel mené par l'Union africaine, qui cherche des solutions politiques et non militaires au conflit dans le nord de l'Éthiopie ", a conclu Mme Murungi, espérant que ce processus aboutira à la restauration de la paix et de la pleine jouissance des droits de l'homme en Éthiopie.

L'Ethiopie rejette le rapport

Face à ce sombre tableau décrit par les enquêteurs de l'ONU, la délégation éthiopienne évoque un " rapport sélectif et discriminatoire, avec des conclusions, qui sont politiquement motivées ". Pour Addis Abeba, les prises de position " politiques " de la Commission se référant au Conseil de sécurité de l'ONU sont " ultra-virales et trahissent des motivations politiques qui vont au-delà des droits de l'homme ".

" Nous appelons les membres du Conseil à rejeter ce rapport et à s'opposer à toute tentative d'extension du mandat de cette Commission ", a déclaré devant le Conseil, l'Ambassadeur Zenebe Kebede, Représentant permanent de l'Éthiopie auprès de l'ONU à Genève.

Plus largement, l'Éthiopie indique faire l'objet d'un " examen injuste et partial au sein de cet auguste organe depuis plus d'un an maintenant ". " Les activités autour de ce Conseil semblent être motivées par un récit politique et biaisé. Ces campagnes malavisées contre l'Éthiopie doivent cesser au moment où le gouvernement éthiopien met en œuvre les recommandations de l'équipe d'enquête conjointe du HCDH ", a ajouté M. Kebede.

En attendant, l'Éthiopie souligne prendre des " mesures concrètes " pour traduire en justice les auteurs de violations des droits de l'homme. Dans cette optique, Addis Abeba entend continuer à travailler avec le Bureau du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme (HCDH) en Éthiopie et d'autres partenaires internationaux.

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