Guinée: À Conakry, l'Axe renoue avec la violence

Les quartiers qui longent cette voie rapide de Conakry ont connu une brève accalmie après le coup d'État du 5 septembre. Mais depuis trois mois, manifestations et opérations des forces de sécurité rythment de nouveau la vie de leurs habitants.

Les pickups des forces de sécurité sont de retour sur l'Axe. Il y a un an, à la prise de pouvoir du CNRD, l'étau s'était pourtant desserré. Du jour au lendemain, la junte avait démantelé les PA, les " points d'appui ", qui concentraient, dans les quartiers contestataires, des effectifs toujours prêts à être mobilisés.

Depuis juin, les 30 km de la route Le Prince, de Hamdallaye à Kagbelen, ont été placés sous étroite surveillance. " Nous avons besoin de sécuriser Conakry ", justifie le colonel Mory Kaba. Ce n'est pas l'Axe en particulier qui est concerné, selon le porte-parole de la police. En banlieue sud de Conakry, " de Coléah jusqu'au Kilomètre 36, vous trouvez des positions où stationnent des véhicules de l'armée. Cela fait partie d'un plan de sécurisation de la ville de Conakry que nous avons mis en place.Mais certaines personnes aiment se victimiser ", tacle le responsable.

Prenant la parole juste après son coup d'État, le 5 septembre 2021, Mamadi Doumbouya avait déploré : " Il y a eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés, beaucoup de larmes. " Référence à la répression sanglante des manifestations sous son prédécesseur Alpha Condé. Ces trois derniers mois, au moins neuf personnes ont été tuées par balle lors d'opérations des forces de sécurité liées à des mouvements de protestation, d'après le décompte du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). De plus en plus de témoignages affluent, faisant état de l'utilisation d'armes létales sur l'Axe.

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Le chargé de communication du ministère de la Sécurité assure : " Le maintien de l'ordre en République de Guinée ne se fait pas avec des armes à feu. Que ce soit les policiers ou les gendarmes, personne ne vient sur le terrain avec de telles armes. " Il tente une explication. Lors des manifestations, " il y a des bandits qui peuvent en profiter pour bloquer et déposséder les habitants de leurs biens. S'ils tombent sur un élément d'un corps habilléqui veut rentrer chez lui, il peut arriver que ce dernier fasse usage de son arme, mais ça ne fait pas partie du maintien de l'ordre. "

" Une attaque de rebelles "

Une famille de l'Axe a bien failli basculer dans l'horreur le 5 septembre. Sur la façade de sa maison, un trou de quatre centimètres de diamètre. Une jeune mère et sa belle-fille sont assises de chaque côté, sur des chaises en plastique. Sur la terrasse, elles regardent la pluie qui tombe sans interruption depuis le début de l'après-midi, couvrant le paysage d'un voile glacé. Après la maison, c'est le bas-fond qui commence, sa végétation luxuriante et ses ruisseaux remplis d'ordures. Pas de bitume ici, la route la plus proche se trouve à une centaine de mètres, en haut de la colline.

C'est par là que les manifestants sont arrivés à 14h20, relate Amadou*, 20 ans, avec une précision d'horloge suisse. Le lycéen s'en souvient très bien parce qu'il venait de rentrer chez lui pour prendre son déjeuner. " C'était la panique totale. Ici, on n'a pas l'habitude d'entendre ça, ces coups de feu. C'était comme une attaque de rebelles. Ça tirait en continu. " Alors que " des enfants " se regroupent autour de sa maison, il leur demande de " quitter ", car les " militaires " arrivent. " J'ai vu un homme habillé en vert, arrêté là-bas, de l'autre côté ", dit-il en désignant un point à 50 m de distance. " Il a caché son visage avant de tirer. Quand il a soulevé l'arme, je me suis accroupi. " La balle perce le parpaing derrière lui. Il est surpris par l'onde de choc. C'est comme une flamme qui vient lui lécher la main. Encore des rafales.

À quelques mètres, sa petite sœur s'effondre. Awa*, 16 ans, montre le pansement qui lui mange une partie de l'omoplate. Le projectile est ressorti sous l'aisselle. Enceinte de huit mois, Maryam* a été touchée à la cuisse. Malgré la blessure et le choc, l'échographie qu'elle vient de passer montre que son bébé va bien." Je suis très en colère contre l'État. Il nous fatigue, nous sa population. Surtout sur l'Axe, on souffre beaucoup. Je ne suis pas en sécurité. Les forces de l'ordre sont venues jusqu'à chez moi, m'ont tiré dessus. J'ai très peur. Je crains qu'elles ne reviennent et fassent davantage de dégâts. "

Mais pas question pour la famille de porter plainte contre l'État. " Tu ne peux rien contre lui ", peste Amadou qui dénonce l'impunité, l'absence de justice. " Ça ne va rien nous apporter sinon des représailles... " Au fil de l'entretien, le jeune homme a fini par se détendre. Arrive un moment même où il ne peut plus s'empêcher de sourire. Il est soulagé, conscient d'avoir frôlé la catastrophe. Il se pensait pourtant à l'abri dans son quartier. " Personne ne manifeste jamais ici. Pour manifester, il faudrait déjà avoir des routes à bloquer... "

" Comme au temps d'Alpha "

En mai, le CNRD annonçait l'interdiction de " toutes manifestationssur la voie publique ". Une mesure qui doit rester en vigueur " jusqu'aux périodes de campagne électorale ". Accusé de commettre " des actions violentes ", de s'attaquer à ceux qui ne partagent pas son idéologie, de mener " des actions ciblées contre les forces de l'ordre ", le FNDC a été dissous le 6 août par le gouvernement. Cela n'a pas empêché le mouvement de la société civile, qui avait pris la tête de l'opposition au troisième mandat d'Alpha Condé, d'appeler plusieurs fois à sortir dans la rue pour réclamer le retour à l'ordre constitutionnel. Le 17 août et plus récemment le 5 septembre.

Ces manifestations, que l'organisation voulait " pacifiques et citoyennes ", se sont à chaque fois soldées par des violences, ont donné lieu à des affrontements entre groupes de jeunes et forces de l'ordre, principalement sur l'Axe. Plus d'une vingtaine d'agents ont été blessés, dont certains grièvement depuis le mois de juin, précise le porte-parole de la police.

Un jeune homme croisé près de Bambeto rond-point tire de sa poche une carte grise et un reçu d'assurance. C'est tout ce qu'il lui reste de sa moto. Il a des égratignures au bras, aux jambes et sur le ventre. " Un gendarme m'a frappé. "

Le 5 septembre, aux alentours de 17h30, alors qu'il transporte sa grande sœur, il est poursuivi par un pick-up et fini par chuter. Hassan* est relâché un peu plus loin, à moitié conscient, sans sa moto, délesté de son argent et de son portable. Lui qui exerce la profession de taxi a bien tenté de se rendre à la gendarmerie pour récupérer son outil de travail, mais sans succès, il reste introuvable. " Je ne pensais pas que cela recommencerait comme au temps d'Alpha ", se lamente Hassan.

Mohammed* est, lui aussi, taxi moto. Il fait le récit d'une descente de soldats de l'armée de l'air à Bambeto le 8 septembre. Les gendarmes qui les accompagnent saisissent trois deux-roues et exigent le paiement de 400 000 francs guinéens, environ 50 euros, pour les rendre à leurs propriétaires. " C'est de l'arnaque, du vol, du chantage.On donne les pleins pouvoirs aux forces de sécurité et elles en abusent. "

Des cas pareils existent, reconnaît le colonel Mory Kaba. Pour y mettre un terme, il invite les victimes à signaler ces comportements, grâce aux deux numéros verts, le 117 pour la police et le 122 pour la gendarmerie. " Si on est informés, on prend des dispositions tout de suite. " À Bambeto, Mohammed a le moral à zéro : " On espérait que ça allait changer, il y avait de l'espoir [après le coup d'État, ndlr], mais ça a basculé, les mauvais esprits sont revenus. "

*Les prénoms ont été modifiés

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