Cote d'Ivoire: Jacques Roger Claude Ekra (Coordonnateur de la Cellule de prévention et d'investigation du Comité national de lutte contre la contrefaçon) - " A Adjamé Roxy, nous menons nos actions dans la plus grande discrétion possible "

21 Septembre 2022
interview

" Nous avons saisi plus de 13 milliards de produits de contrefaçon depuis 2016 "

" De 2016 à 2022 l'économie entière a perdu 60 milliards de fcfa "

A la tête de la Cellule de prévention et d'investigation du Comité national de lutte contre la contrefaçon depuis le 16 août 2022, Jacques Roger Claude Ekra évoque, dans cet entretien, le combat que mène sa structure contre le fléau qui fait perdre des milliards à l'économie ivoirienne.

Monsieur le coordonnateur, qu'est-ce que la contrefaçon ?

La contrefaçon est le fait d'utiliser un acte de propriété intellectuelle d'autrui sans son consentement. Pour faire simple, vous utilisez par exemple la marque de quelqu'un : un dessin, un modèle... c'est faire de la contrefaçon. Par ailleurs lorsque vous utilisez la chanson de quelqu'un sans son consentement, c'est aussi de la contrefaçon. La contrefaçon est donc l'atteinte à un droit de propriété intellectuelle au sens large du terme, propriété littéraire ou artistique, propriété industrielle, propriété commerciale. Au niveau de la propriété industrielle, c'est l'utilisation du brevet d'autrui sans son accord.

Quels sont les produits les plus contrefaits en Côte d'Ivoire ?

En Côte d'Ivoire, la contrefaçon touche le plus le secteur médical, notamment les médicaments. Il y a beaucoup de médicaments de contrefaçon qui circulent en Côte d'Ivoire. Ensuite, on pourrait parler du secteur alimentaire de manière générale. Il y a de nombreux produits contrefaits qui touchent l'alimentation, le lait, l'huile et même l'eau. Il y a des produits de contrefaçon en matière de boisson. En cette période de rentrée scolaire, il y a des livres scolaires qu'on vend qui sont des contrefaçons. Ça touche vraiment tous les domaines.

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De quels moyens disposez-vous pour faire face à cette situation ? Et comment agissez-vous sur le terrain ?

On a les moyens que l'Etat met à notre disposition. C'est une question d'organisation. J'ai autour de moi, pour agir, tous les bras armés, la justice, la gendarmerie, la douane, la lutte contre la fraude... tout le monde s'y met.

Sur le terrain, il faut agir avec toute la discrétion possible sans que les auteurs des délits ne soient informés. A Adjamé Roxy,par exemple, on a déjà fait des descentes. Mais une ou deux descentes ne suffiront pas à mettre fin à la vente des médicaments contrefaits à Roxy.

Alors nous sommes organisés pour mener la lutte. Nous sommes en train de mettre en place une plateforme qui va mobiliser toutes les personnes concernées par la lutte pour entamer de nouvelles actions sur Adjamé Roxy. C'est une plaie.Pour guérir une plaie, il faut utiliser une solution à dose homéopathique sans tuer le malade.

Dans la lutte contre la contrefaçon, si vous révélez qu'il y a tel ou tel produit qui sont des contrefaçons, vous risquezd'aboutir à l'effet inverse. Il y a le bon produit qui là et si on ne fait pas attention, on risque d'aboutir à une contre publicité du produit. Donc toutes nos actions à Adjamé Roxy sont menées dans la plus grande discrétion possible.

C'est lorsqu'on a des résultats tangibles qu'on en parle. Car quel est l'intérêt de réunir toute la presse parce qu'on a attrapé un petit revendeur de 3 ou 4 produits ? L'objectif, c'est de démanteler un réseau. Et pour démanteler un réseau, il faut aller à la source de ce réseau. Il y a bien quelqu'un qui fabrique ce produit. C'est vers lui qu'il faut aller.

Le véritable enjeu, c'est de faire cesser le trouble. Donc remonter jusqu'à l'origine de la contrefaçon. Et là on entre dans le cadre de la police internationale. La plupart des produits de contrefaçonviennent de l'étranger surtout dans le domaine médical et alimentaire. Donc on doit remonter jusqu'à la source de la contrefaçon. Cela demande des moyens qu'on n'a toujours pas mais on travaille avec la douane.Ça demande une veille permanente et la participation du titulaire de droit de propriété intellectuelle.

Quelle peine encourent les contrefacteurs ?

Il y a les peines de saisie et sanctions qui vont de la simple amende à la peine de prison de 10 ans. Nous avons une mission d'information et de formation de manière générale. On organise des caravanes de sensibilisation qui touchent surtout le réseau de distribution. Parce que c'est le distributeur qu'il faut toucher pour lui dire :"Attention, tel ou tel produit est contrefait".

Comment reconnaître un produit contrefait ?

Pour la population, c'est un peu difficile parce qu'elle a une préoccupation. Celle de disposer du produit le moins cher possible sans savoir qu'en cherchant le moins cher, elle risque d'en payer les conséquences sur sa santé.On dit souvent moins cher est cher et cette cherté, on la paye au prix le plus fort, c'est-à-dire avec sa vie.

On essaye de sensibiliser la population, on lui donne des indices. Ces indices, on ne peut les avoir qu'avec les titulaires de droit. En général, un produit de contrefaçon est un produit frauduleux. Soit il est de mauvaise qualité, soit il est entré en contrebande... parce que je ne vois pas quelqu'un utiliser la marque d'une autre personne pour faire un produit meilleur.

Quel est le manque à gagner causé par la contrefaçon sur l'économie nationale ?

Le manque à gagner en tant que tel je ne saurai le chiffrer de manière exacte. Ce que nous avons, ce sont des chiffres des produits contrefaits saisis. Alors, depuis 2016, on évalue à plus de 13 milliards les produits de contrefaçon que nous avons saisis et écarté du marché. Si on veut savoir le manque à gagner dans l'économie, je pense que ce chiffre doit être multiplié au moins par dix parce que c'est la partie visible de l'iceberg qu'on vous montre. C'est une estimation que nous faisons de façon générale.

Ainsi de 2016 à 2022,l'économie entière a perdu 60milliards FCFA.

Vos difficultés sur le terrain ?

Le problème qu'on rencontre actuellement, c'est la constitution d'une véritable brigade mais elle est en cours. C'est un processus qui doit obéir à certaines règles car nous sommes en matière de défense. Les ministères de la Défense, de la Sécurité et de la Santé sont impliqués. Il y a aussi le Bureau ivoirien des droits d'auteur (Burida). Donc la constitution de cette brigade va être entourée de toutes les garanties légales possibles. Et lorsque cette brigade sera mise en place, on aura une arme plus efficace.

Pour l'instant, on travaille en harmonie avec toutes les institutions de la police et de la gendarmerie. Nous n'effectuons aucune mission sans être accompagnés par une unité de police, une unité de la gendarmerie, une unité de la douane et d'autres unités si c'est nécessaire dans nos actions. Le gouvernement a mis à notre disposition des moyens,on peut se plaindre car ils ne seront jamais suffisants mais on estime que les choses avancent dans le bon sens.

Déjà, on a mis en place l'institution. Nous sommes l'un des premiers pays africains à avoir mis en place ce mécanisme. Les autres pays membres de l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) qui doivent mettre en place ce système viennent nous voir pour savoir comment on a fait, comment on travaille, quels sont nos résultats... Nous sommes déjà un modèle.

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