Burkina Faso: Coups et blessures mortels sur une élève - 6 ans ferme contre l'enseignante

En son for intérieur, c'est sûr que l'enseignante de la classe de CM1 de l'école primaire de Kougsin dans la circonscription de Sourgou province du Boulkiemdé regrette ses faits et gestes de la journée du 29 octobre 2008.

En effet, ce jour-là, elle a donné des coups et blessures volontaires à son élève Ramata Ouili parce qu'elle n'a pas su donner de bonnes réponses à un exercice de grammaire. Le chemin qui mène à l'affaire étant pavé de bonnes intentions, malheureusement, les coups ont entraîné la mort de la petite de 12 ans. Poursuivie pour ses actes, l'institutrice a été condamnée à 11 ans de prison dont 6 ans ferme et 5 ans avec sursis. C'est le verdict rendu le 23 septembre 2022 par la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Ouagadougou à l'issue de 12h de débats.

Kougsin, village situé à une vingtaine de kilomètres de Koudougou, capitale de la région du Centre-Ouest est une bourgade où les habitants à l'image d'autres populations du pays ont décidé d'inscrire leurs enfants à l'école. C'est dans ladite localité que Perpétue Kyelem a été affectée par l'Etat pour inculquer le savoir à la relève de demain. Après plus de quatre ans de bons et loyaux services dans cette partie du pays, les choses ont viré au drame à la rentrée scolaire 2008-2009. En effet, le 29 octobre 2008 dame Kyelem était loin d'imaginer que sa journée de classe allait la poursuivre des années et des années.

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Après un exercice de grammaire qu'elle a soumis à l'ensemble de ses apprenants, elle a décidé d'infliger un châtiment corporel aux élèves qui sont passés à côté de la bonne réponse. La petite de 12 ans, Ramata Ouili faisait partie de ceux qui n'ont pas pu tirer leur épingle du jeu. Elle n'a donc pas échappé aux coups de fouet de la maîtresse. Selon l'arrêt de renvoi lu par le greffier, Ramata fut bastonnée et enfermée dans la classe.

A midi, ses frères seront contraints de rentrer à la maison sans elle, chose inhabituelle. Ayant constaté l'absence de Ramata, ses parents dont le souci premier est de voir leur fille réussir à l'école, après explication de ses frangins n'ont pas trouvé à redire. Sa maman a commencé à s'inquiéter quand le lendemain 30 octobre qui n'était pas jour de classe, elle a demandé à son rejeton de l'accompagner au champ pour récolter des arachides.

Ramata malgré sa bonne volonté a dû opposer un non à sa génitrice, car souffrante. Plus proche de sa fille, dame Ouili a effectivement constaté que sa protégée avait des œdèmes aux flancs droit et gauche et sur son dos. La maman se dit alors que c'est ce qui explique le fait que sa fille se tordait de douleurs la nuit. Elle commence à prendre au sérieux les plaintes de sa fille. Toute affaire cessante, Mme Ouili se rend à l'école dans le but de prendre le cahier médical pour amener Ramata au dispensaire.

Arrivées à l'école, fille et mère tombent sur le directeur accompagné de ses collègues. Comme c'était un jour sans classe, ces derniers occupaient leur temps avec un breuvage et des jeux de cartes. La maman prit le cahier et se rendit à l'hosto. De retour, elle remit ce qui peut être considéré comme un carnet au directeur. Le lendemain 31 octobre, les douleurs de Ramata revenaient de plus belle. Elle fut, cette fois-ci, transférée à Koudougou pour des soins plus appropriés. Malheureusement, elle ne tiendra pas plus de deux jours. Ramata Ouili perdra la vie, le 3 novembre 2008. Selon les conclusions de son médecin traitant trois hypothèses sont à l'origine des douleurs que ressentait Ramata.

- Première hypothèse, une chute d'un arbre ;

- Deuxième hypothèse, une percussion par une voiture ;

- Troisième et dernière hypothèse, des coups reçus.

L'accusée nie les faits

Le médecin ainsi que les parents de Ramata affirment que la victime ne souffrait d'aucun mal auparavant. Appelée à la barre 14 ans après les faits, l'institutrice Perpétue Kyelem a nié les faits de coups de blessures volontaires, mauvais traitements de mineur ayant entraîné sa mort que lui reproche la partie poursuivante. " Je n'ai jamais levé la main sur mon élève Ramata Ouili. D'ailleurs, je n'avais pas de cravache dans la classe ", a-t-elle soutenu. Ce sont les mêmes propos qu'elle a tenus au cours de l'enquête préliminaire.

Qu'est-ce que l'enseignante sait de cette affaire qui fait bouger tout Kougsin ? Selon Mme Kyelem, le 31 octobre et le 1er novembre 2008 elle jouissait d'une autorisation d'absence. Temps d'absence qu'elle a mis à profit pour se rendre à Ouagadougou dans le but d'assister à la messe de Toussaint dédiée à tous les fidèles défunts. A la fin de son bref séjour à Ouaga, elle a rejoint son poste le 3 novembre 2008. Avant le coup de cloche, un élève approche Perpétue Kyelem, la salue avant de se retirer.

Juste quelque cinq minutes, le même apprenant revient pour lui donner l'information selon laquelle un de ses élèves du nom de Ramata Ouili est décédée. Son information sera confirmée plus tard par le directeur de l'école. Ensuite, l'inspecteur viendra à l'école pour passer le savon au corps enseignant parce qu'il est inadmissible de son point de vue qu'une élève soit souffrante au point d'être transférée à Koudougou et qu'aucun enseignant n'ait daigné faire le déplacement pour s'encquérir de son état de santé.

Dans ce dossier, cinq témoins ont défilé à la barre. Deux ont été cités par le parquet et les trois autres par la partie défenderesse. Dès les débuts de l'affaire, le président de l'Association des parents d'élèves (APE) a été aussi entendu. Absent à la barre, sa déposition du 3 février 2009 a été lue par le président de la Cour. Une déposition qui décharge l'institutrice. " Pour ma part, je ne n'ai jamais été approché par un parent qui se plaint parce que son enfant a reçu des coups de la part de son éducateur.

Jamais ", a-t-il déclaré. Sauf qu'aux premières heures de cette affaire, les élèves de Mme Kyelem ont été entendus par le juge d'instruction. Et ce n'est pas ce que Ousséni Yaméogo a dit au juge. Au substitut du procureur, Yaméogo a déclaré que la maîtresse infligeait des châtiments corporels aux élèves qui par malchance n'avaient pas donné la bonne réponse à un exercice. A la barre le 23 septembre 2022, les propos du témoin contrassent avec ceux tenus devant le juge d'instruction quand il avait encore 10 ans. Mineur au moment des faits, le chef de classe qui a aujourd'hui 24 ans a été dispensé du serment. Ce qui ne l'autorise pas pour autant à dire des contrevérités.

Le témoin Yaméogo ayant passé tout son temps à réfuter ses déclarations contenues dans son procès-verbal d'audition de l'année 2009, l'avocat général lui a donné de sages conseils. " Ce n'est pas parce que vous déposez sans prêter serment que vous pouvez vous permettre de mentir. Peut-être que vous avez été approché, je n'en sais rien. Mais à l'avenir ne faites plus ça parce que votre statut peut changer immédiatement. Vous pouvez passer de témoin à accusé ", lui a sagement dit l'avocat général. Les autres témoins avec qui la Cour pensait avoir des aveux ne diront pas grand-chose pour éclairer la lanterne des hommes en robe de couleur rouge.

La seule pièce à conviction de ce dossier est formelle. Il est clairement mentionné dans le certificat médical de la disparue qu'elle souffrait d'une complication cardiaque sévère suite à un choc au point même où elle ne pouvait plus se soulager parce qu'elle ne secrétait plus d'urines. L'éducatrice, quant à elle persiste et signe qu'elle n'a jamais porté la main sur un de ses élèves. Qu'est-ce qui a donc provoqué le décès de Ouili Ramata ?

Pour l'une des rares fois, la partie poursuivante n'a pas requis de peine. L'avocat général a juste demandé à la Cour de prendre des peines en tenant compte de la carrière de Perpétue Kyelem qui a 40 ans cette année. Et si elle doit être condamnée, le ministère public demande que la peine soit assortie de sursis.

Il revient maintenant au conseil de l'accusée de plaider pour la tirer d'affaire. Pour Me Batibié Benao il ne faudra pas que les juges prennent pour parole d'évangile les propos tenus par les enfants devant le juge d'instruction, car tout comme les grandes personnes ils peuvent trahir la vérité. Si par moments la Cour a eu le sentiment que les réponses de sa cliente étaient tirées par les cheveux, il lui a demandé de retenir ceci : " Les innocents se défendent mal parce qu'ils trouvent des pièges partout. " Par conséquent, Me Benao demande à la juridiction d'acquitter l'éducatrice parce qu'elle n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés. Et si un seul instant le doute effleure l'esprit des cinq conseillers qu'ils acquittent Perpétue au bénéfice du doute.

Place au délibéré maintenant. La Cour se retire. Le suspens aura duré près de deux heures. L'accusée est reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés. Elle écope de 11 ans de prison dont 6 ferme. Le coup est dur, dans l'assistance une dame fond en larmes avant de se retirer de la salle d'audience numéro 3 du tribunal de grande instance Ouaga II. Hors de la salle, elle pose cette question : " Donc comme ça, on ne peut plus la voir ? "

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