Tunisie: Production laitière - Un ennuyeux remake

27 Septembre 2022

Faute d'action, il ne faudrait plus être surpris que l'on reparle d'importation de lait qui coûtera les yeux de la tête pour un pays déjà exsangue. La scène qui s'est passée, dans une grande surface située à la sortie de l'Ariana, m'a rappelé ce que j'avais vécu à Moscou au temps de... l'Union Soviétique. En mission, en plein Ramadan, il fallait trouver de quoi assurer le "shour". Une grande surface en vendait. Il fallait faire la queue et passer près de trois quart d'heure pour voir arriver son tour. En prenant possession de la précieuse boîte de lait concentré, il fallait encore faire la queue pour... payer. Cela se passait (c'est encore le cas) pour acheter un à deux kilos de sucre.

Pendant ce temps, la Garde nationale et les équipes de contrôle débusquent des dépôts clandestins pour mettre la main sur des dizaines de tonnes de sucre stockées par les spéculateurs et les magnats du secteur alimentaire qui voient leurs comptes en banque prospérer.

C'est le cas aussi du lait où on ne peut avoir que deux litres à la fois. Malheureusement, il n'y a rien à dire à ce propos car, en libérant les achats, il y aura ceux qui seront tentés d'acheter le plein de deux caddies pour les stocker chez eux et vider, sans scrupules, le marché en un clin d'œil.

Après les volailles à propos desquels nous reviendrons certainement, c'est au tour du lait de prendre le beau rôle. Nous parions qu'il y aura un prochain petit passage sur l'écran des spéculateurs des dattes dont c'est la saison. Puis ce sera au tour des agrumes. La plus basse qualité sera écoulée les premières semaines à des prix fous. Les meilleures seront hors de prix dans... quatre mois, à l'occasion du mois de Ramadan.

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Pas la première fois

Le lait, ce n'est pas la première fois que ce produit est en crise. Et comme d'habitude, les aliments pour bétail, les vaches laitières qui vont aux abattoirs ou traversent les frontières, les "petits" producteurs qui ont fait faillite, le lait déversé dans les rues pour ne pas le vendre à perte, etc. Les mêmes excuses. Du "copier-coller" que nous revoyons pour justifier une augmentation du prix ou pour amplifier davantage les cris de détresse des producteurs. Reconnaissons quand même que le prix du litre de lait vendu en Tunisie est un des plus bas au monde et que la majorité des producteurs sont en détresse.

La compensation de l'Etat qui paie la différence entre le prix de vente homologué et le prix de revient (y compris le prix de l'emballage qui va dans les poubelles), a permis cette... entorse qui, qu'on le veuille ou non, est un mauvais moyen d'éduquer le consommateur. Il n'en demeure pas moins que le fait que ce problème se repose, de manière cyclique, prouve que les "responsables", à tous les niveaux, ont mal fait leur travail.

Un communiqué alarmant

Le communiqué publié par le Synagri est clair : "Ne plus investir dans le secteur tant que l'Etat ne prend pas des mesures pour le régulariser". Par ailleurs, plusieurs observateurs et spécialistes du domaine n'ont cessé d'alerter quant à la dangerosité de l'accaparation par 12 sociétés, dont 7 appartenant à un "grand groupe" de 80% des importations des aliments composés pour animaux".

Ces sociétés maîtrisent en fait non seulement le marché de l'importation, mais aussi la production de viande à travers ses filiales. Elle est ainsi dans une situation de monopole en amont et en aval du secteur, dans son ensemble. Les agriculteurs, et notamment "les petits", sont devenus de simples sous-traitants chez eux... Mieux encore, les organismes officiels, chargés de la distribution de l'alimentation animale en principe selon des normes bien définies et des quotas, ont abandonné toutes leurs règles du travail pour passer à l"'anarchie" au vu et au su de tout le monde et surtout de l'autorité de tutelle et de l'autre organe "représentatif" des agriculteurs, l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (Utap).

Bien que des solutions existent pour l'encouragement de la production et l'importation des aliments pour animaux jadis prospères, les deux ministères, celui du Commerce et celui de l'Agriculture, font la sourde oreille aux appels.

Sans entrer dans des considérations qui pourraient engager une polémique inutile, il y a, sans doute, du vrai. Beaucoup de vrai. Dans ces secteurs bien précis, la spéculation bat son plein. Depuis bien longtemps.

Inertie et inefficacité

Les aliments pour bétail et leurs intrants sont cités en premier lieu. Qu'ont fait les autorités pour remédier à cette question ? Rien. Une fois l'orage passé, ils sont revenus à leur bureaucratie dévastatrice pour l'agriculture et les élevages qui n'arrivent même plus à vivoter.

Donnant par voie de conséquence plus de pouvoir aux magnats qui contrôlent ce marché du lait, du secteur avicole et de la production des viandes rouges. Au niveau de toutes les filières.

La Tunisie a produit en 2021 l'équivalent d'un milliard quatre cent soixante quinze litres de lait. Cela représente presque ce dont le pays a besoin pour sa consommation. Gageons qu'il y a d'autres grandes quantités qui ont été déversées sur les routes, d'autres qui sont devenues impropres à la consommation en raison des difficultés trouvées au niveau des centres de collecte.

Quid de l'unité de séchage ?

A ce propos, tout le monde semble avoir oublié que le lait, que les industriels refusent sciemment de prendre pour ne pas faire baisser les prix, aurait pu être transformé en poudre, conservé et utilisé le moment venu. Qu'est devenue cette unité de séchage du lait ?

La consommation de lait par tête d'habitant avoisine les cent dix litres selon l'INS. La production tunisienne, assurée par une majorité de petits et moyens producteurs, permettrait sans effort de suffire largement à la consommation nationale. Alors que tous les connaisseurs du milieu admettent que la Tunisie est en mesure d'atteindre et même de dépasser de loin l'autosuffisance, on relève avec regret qu'il n'y a aucun effort pour lancer des recherches pour au moins remplacer certains intrants venant de l'étranger par des produits locaux.

Et pourtant, les spécialistes du secteur assurent qu'il y a moyen de remplacer le soja et le maïs qui constituent les produits les plus chers et les plus utilisés pour la fabrication de ces aliments. Le silence incompréhensible des responsables à tous les niveaux rejette aux calendes grecques la solution qui est en mesure de sauver les secteurs laitier et avicole.

Absence de volonté d'agir

Les moyens de communication rendent compte régulièrement des réussites des Tunisiennes et Tunisiens dans des secteurs scientifiques ou de haute technologie. C'est dire que si la volonté de sortir de ce cercle vicieux existait, nous pourrions trouver une solution à tous ces problèmes qui empoisonnent la vie des producteurs et des consommateurs.

Ce silence coupable, cette inertie et cette inefficacité font le jeu de ceux qui tiennent en main le marché ! Deux principaux producteurs font la loi. Ils prennent ce qu'ils veulent, imposent leurs conditions et leur rythme, tournent complètement le dos à une solution définitive.

Ils verrouillent tout, face au reste des producteurs, à tous les niveaux, disposent de moyens logistiques, financiers et techniques leur permettant de voir venir face à cette imposante et lourde administration qui est, pour le moment, incapable de leur tenir tête. Personne n'est en mesure de les faire revenir à de meilleurs sentiments en cette période noire que traverse le pays. A une certaine époque, il y avait la Stil et Tunisie Lait de Sidi Bouali qui étaient en mesure de tenir tête en orientant les prix à la faveur d'un strict calcul des prix de revient. Ces deux unités de production ne sont plus en mesure de jouer ce rôle. L'une a disparu du paysage laitier et l'autre s'est convertie.

Lait entier ou vitaminé

Alors que le lait demi-écrémé fait défaut, le lait entier ou vitaminé, dont le prix n'est pas homologué, est offert sur les étalages. Cette dernière alerte n'est pas seulement une question de prix du lait à la vente, il est surtout question du sauvetage d'un secteur que le pays a patiemment mis en place, depuis trois décades, au prix de bien des sacrifices. Avec les augmentations de la main-d'œuvre, du matériel, des aliments, du carburant, des emballages, l'impossibilité manifeste de l'Etat de régler ses arriérés, etc., il n'est plus possible de soutenir le rythme et d'assurer une production digne de ce nom.

Cela revient à dire que c'est tout d'abord au niveau de la production que le prix du lait doit évoluer pour éviter cette catastrophe qui s'annonce. C'est ensuite la volonté politique de compter sur soi-même pour nous libérer du joug de ces intrants qui deviennent hors de prix. Faute d'action, il ne faudrait plus être surpris que l'on reparle d'importation de lait qui coûtera les yeux de la tête pour un pays déjà exsangue.

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