Madagascar: Crise de l'ylang ylang - Les producteurs de Nosy Be croient en des jours meilleurs

L'ylang ylang est la principale ressource agricole de l'ile. À peine arrivé à l'aéroport, des champs se voient à perte de vue. Les cours mondiaux ont chuté, mais les producteurs tentent de se relever. Le parfum d'ylang ylang, mélangé à celui d'euca-lyptus et de ravintsara, embaume la disti-llerie. Un matin classique chez le plus gros producteur d'huiles essentielles de Nosy Be : la Société des produits à parfums de Madagascar (SPPM). Les alambics, grandes cuves permettant la distillation, sont alignés le long des murs de la fabrique. À leur pied, des tas de fleurs prêtes à être transformées, jonchent le sol. Les teintes vertes et jaunes des pétales s'allient à la couleur cuivrée des cuves où elles vont bientôt bouillir dans le double de leur volume d'eau, pour en extraire l'huile essentielle. M. Tovondraky, plus connu sous le nom de " Dingo ", s'occupe de la production depuis un demi-siècle.

À 70 ans, installé sur sa chaise rudimentaire en bois face à son petit pupitre, le crayon à la main, il inscrit sur son cahier la pesée réalisée par chaque cueilleuse. Alignées les unes derrière les autres, leur " guni " rempli de fleurs fraîchement coupées, elles attendent leur tour. Les femmes déposent ensuite le fruit de leur récolte qui, comme chaque jour, commence dès l'aube pour préserver au maximum les arômes. Le poids affiché sur la balance détermine le montant de leur salaire.

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Les hommes sont peu présents dans la distillerie, occupés à travailler dans les champs. Ils sont chargés de la taille des arbres, du désherbage et de la plantation des nouveaux pieds. L'élagage des jeunes arbres est un travail minutieux qui demande un savoir-faire particulier et beaucoup de patience. Une fois les deux mètres atteints, les troncs sont coupés de manière à ce qu'ils ne grandissent plus et que toutes les branches soient accessibles par les cueilleuses. " Le problème, c'est que l'ylang ylang demande beaucoup d'entretien.

Ça coûte cher en main-d'œuvre ", explique Dingo. Depuis la Covid, les ventes ont faibli et ce manque à gagner s'est répercuté sur les paies. Les cueilleuses se voient désormais offrir 500 ariary par kilo de fleurs récoltées, contre 1 000 ariary avant la crise. Cette diminution est nécessaire pour la survie de la fabrique, assure la direction, leader du marché, qui possède près de 200 hectares d'ylang-ylang. La crise ne semble épargner personne, mais les producteurs restent positifs: " Les cours de l'ylang ylang ont toujours varié. Ça remontera forcément.

La Covid nous a mis dans une situation compliquée, mais on se relèvera comme on l'a toujours fait ", affirme Younous Fidaly, propriétaire des champs et de la distillerie du même nom. L'ylang ylang, présent depuis plus d'un siècle, est surtout cultivé dans l'Est de l'ile. Le nombre d'arbres a augmenté il y a une quinzaine d'années pour répondre à la forte demande.

Les cours étant avantageux, beaucoup de paysans se sont lancés dans cette culture. Mais les cours ont chuté peu avant l'arrivée de la Covid. En pleine pandémie, les importateurs étrangers ont réduit leurs activités et ont dû stocker. Le prix d'achat de l'huile essentielle a été divisé par trois, entraînant ainsi la fermeture de certaines distilleries locales.

Dior, Chanel, Hermes...

Nosy Be compte aujourd'hui neuf cent soixante-seize producteurs sur 2 100 hectares. La taille des exploitations va de quelques pieds à des dizaines de milliers. Une quinzaine de distilleries s'occupent de la transformation. La majorité ne possède qu'un alambic en cuivre et utilise les méthodes traditionnelles qui nécessitent beaucoup d'eau et de bois pour de faibles rendements. Les grands producteurs comme la famille Fidaly ou le SPPM ont eux investi dans des chaudières plus performantes.

Aujourd'hui, la Société des produits à parfums de Madagascar distille environ 1,2 tonne de fleurs par jour en basse saison, contre trois en haute saison, les quatre premiers mois de l'année. L'ylang ylang reste un produit essentiel pour tous les parfumeurs qui l'utilisent comme fixateur. Dior, Chanel, Hermès ou encore Guerlain, installé aux Comores, en ont fait la renommée mondiale. En 2021, l'ile a exporté 77 tonnes d'huile essentielle contre 91 tonnes en 2019. Thierry Tsialiva, coordinateur du projet Pôles intégrés de croissance de Nosy Be, rappelle qu'après le tourisme, la culture d'ylang ylang est la seconde source de revenus de l'ile avec près de 24 milliards d'ariary annuels.

L'espoir de nouveaux marchés

La production est presque intégralement exportée, dont 70% à destination de la France. Pour faire face à la chute de la demande, les exportateurs cherchent à conquérir de nouveaux marchés. " Ils se tournent désormais vers la Belgique, le Royaume-Uni, l'Australie ou encore la Chine pour s'insérer dans de nouvelles niches ", détaille Thierry Tsialiva.

La diversi-fication des revenus est un enjeu primordial pour la survie des producteurs. Plusieurs distilleries cultivent désormais de nouvelles plantes comme l'eucalyptus, la citronnelle, le poivre vert, le " ravintsara ", les baies roses... Certaines proposent même des visites guidées pour les touristes. Bruno, un Français venu en vacances sur l'ile avec sa famille, est ravi de découvrir la distillation de l'ylang ylang.

" Je suis très curieux et je suis content d'apprendre plein de choses sur la culture locale pendant mes vacances ", s'enthousiasme-t-il. Certaines fabriques ont également dédié un espace à la vente en direct d'huiles essentielles et de produits dérivés, à la suite des demandes des visiteurs.

D'autres créent des partenariats avec des acteurs clés du tourisme pour faire de leur fabrique le passage obligé des vacanciers. Les petits producteurs ne peuvent pas, quant à eux, proposer ce genre de services ; ils restent soumis au prix de rachat des fleurs imposé par les distilleries. Souvent trop peu pour vivre.

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