Sénégal: Démission de Aminata Touré du groupe parlementaire de Bby - Les possibles implications sur son mandat et l'équilibre des positions à l'Assemblée nationale

2 Octobre 2022

La démission de Aminata Mimi Touré du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar (Bby) pourrait redistribuer les cartes à l'Assemblée nationale entre pouvoir et opposition.

Mais quid de son mandat ? Peut-elle le perdre ? Si ses anciens collaborateurs l'invitent déjà remettre son mandat, des spécialistes du droit parlementaire expliquent qu'il y a nuance car la loi parle de démission du parti pour la déchéance d'un député et non de démission d'une coalition ou d'un groupe parlementaire.

Non contente du choix porté sur Amadou Mame Diop pour la présidence de l'Assemblée nationale par le Président Macky Sall, Aminata Mimi Touré, face à la presse, le dimanche 25 septembre, a décidé de démissionner du groupe parlementaire de la coalition Benno Bokk Yaakaar (Bby). La tête de liste de ladite coalition lors des dernières Législatives a décidé de devenir député non-inscrit et a envoyé une lettre dans ce sens au Président de l'Assemblée nationale.

Cette démission a soulevé plusieurs questions, notamment sur la conservation ou non du mandat de député de l'ancienne ministre de la Justice. Sur cette question, le groupe parlementaire de Bby, lors d'un point de presse tenu le lundi 26 septembre, a invité Aminata Touré à remettre son mandat.

Interpellé sur le sujet, Alioune Souaré, spécialiste du droit parlementaire, explique que la démission d'un groupe est régie par l'article 22 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Cet article évoque trois cas de figure : la démission, la radiation et l'adhésion au groupe. Pour le cas de la démission, il est dit que c'est le député qui adresse au président de l'Assemblée nationale sa lettre de démission d'un groupe parlementaire. Si c'est une radiation, c'est le président du groupe qui écrit pour dire que tel député est radié de mon groupe. S'il s'agit de l'adhésion, c'est une double signature du président du groupe et du député adhérant.

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Le spécialiste rappelle cependant que d'après les mêmes dispositions, si vous démissionnez d'un groupe parlementaire au cours de votre législature vous ne pouvez plus adhérer à un autre groupe parlementaire jusqu'à la fin de cette législature."Elle va garder son statut de non-inscrit jusqu'à la fin de la législature. C'est prévu par l'article du 20 du règlement l'intérieur de l'Assemblée", explique le spécialiste.

Concernant l'argument brandi par les députés de Bby selon lequel Aminata Touré devra rendre son mandat vu qu'elle a démissionné, le spécialiste n'est pas convaincu. Il rappelle que cela renvoie aux dispositions de l'article 60 de la constitution et 7 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Ces textes prévoient que" tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat ".

Souaré, joint au téléphone, souligne que la lecture combinée de ces deux articles peut être favorable à Aminata Touré car "on ne parle pas de démission de son groupe parlementaire et encore moins de sa coalition". " Même si elle démissionnait de l'Apr, elle pourrait garder son mandat parce que l'Apr n'est pas allée sous sa bannière aux législatives, mais sous la bannière de Bby. Aminata Touré a été élue sous la bannière de la coalition Benno Bokk Yaakaar et non sous celle de l'Apr. Il y a nuance ", insiste M. Souaré.

Le cas Dethié Fall

Ce dernier rappelle le cas de Déthié Fall qui avait démissionné, en cours de mandat,de son parti Rewmi mais qui avait gardé son poste de député parce qu'étant élu sous la bannière de la coalition Taxawu Sénégal, lors de la 13ème législature. Notre interlocuteur pense qu'on pourrait moralement demander à la concernée de remettre son mandat après sa démission de son groupe, mais légalement elle peut trouver les arguments pour rester.

Sur ce même point, Doudou Wade, ancien président du groupe parlementaire des libéraux de 2007 à 2012, contacté au téléphone, martèle " que le mandat de Aminata Touré ne peut souffrir d'aucune contestation aujourd'hui par rapport à sa démission du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar".

D'après Doudou Wade, la constitution est claire sur cette affaire en son article 60. Comme M. Souaré, il a précisé que la constitution parle de démission de son parti pour la perte de son mandat. " Il y a un lien de causalité entre la démission du parti et la mise en déchéance. Mais il faut aussi qu'on reconnaisse que Mimi Touré n'a pas démissionné de son parti, mais du groupe parlementaire ", renchérit Doudou Wade. Cependant, il est d'avis que c'est à l'ancienne Première ministre de pouvoir bien siéger dans la situation nouvelle dans laquelle elle va être à l'hémicycle avec la pression de ces ex camardes et les provocations de certains.

Est-ce qu'on pourrait appliquer à Aminata Touré la jurisprudence Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô exclus de l'Assemblée par le Parti démocratique Sénégalais (Pds)avant la fin de leur mandat (2007-2012) parce qu'ils étaient avec Macky Sall même s'ils n'avaient pas officiellement démissionné ? M. Souaré estime que ce serait être paradoxal car lorsque le Président Macky Sall est arrivé au pouvoir "ils ont réparé cette injustice en versant l'intégralité des mois de salaire qui restaient aux deux concernés", considérant que la coalition Sopi avait fait du forcing.

Réadapter le texte qui évoque la démission des partis et non des coalitions

Par ailleurs, de son point de vue, Alioune Souaré pense que le texte sur la démission des députés (articles 60 de la constitution et 7 du RN de l'Assemblée) doit être réformé car actuellement, les partis ne vont plus seuls aux élections mais en coalition. Pour l'avenir, on pourrait ajouter dans le texte que " tout député qui démissionne de sa coalition perd son mandat " pour l'adapter au contexte.

Sur une appréciation personnelle, Doudou Wade, candidat du Pds à la ville de Dakar, lors des dernières élections territoriales, pense que la démission de la coalition doit engendrer la perte de son mandat car l'idée du constituant était de protéger la formation politique qui a investi ses candidats. " La formation politique dans ce cas c'est Bby. Pour moi le sens donné par le constituant est la protection de l'organisation politique qui a envoyé la personne à l'Assemblée. Si l'Apr n'était pas dans Benno Bokk Yaakaar peut être que Mimi Touré ne serait pas député ", lance Doudou Wade. Cependant, il prévient que c'est à la Justice ou au Conseil constitutionnel de trancher la question.

Cartes redistribuées

Avec cette démission de l'ancienne tête de liste de la coalition Bby, il y a une nouvelle configuration à l'Assemblée nationale avec la majorité qui se retrouve avec 82 députés, l'inter-coalition Yewwi-Wallu 80 députés et les non-inscrits 3 (Thieno Alassane Sall, Pape Djibril Fall et Aminata Touré). D'aucuns soulignent que cela peut constituer un obstacle pour la majorité lorsqu'elle doit faire passer certaines lois à l'Assemblée nationale. L'ancien parlementaire, Alioune Souaré a rappelé que la majorité absolue est requise lorsqu'il s'agit de voter les lois organiques (article 78 de la constitution).

Cependant, il estime que s'il s'agit d'une loi pour l'intérêt de la population, l'opposition étant constituée de patriotes doit pouvoir voter le texte sinon elle va se mettre à dos la population. "Il n'y a pas à s'inquiéter parce que quand on soumet une loi d'intérêt général, je suppose que l'opposition doit adopter le texte. Les gens avaient l'habitude d'avoir leur majorité et de l'utiliser à tout moment, mais le monde évolue et il faut s'adapter dans les parlements", a affirmé Alioune Souaré. Pour lui, la nouvelle configuration de l'Assemblée nationale peut être même une belle expérience pour la démocratie sénégalaise.

Flash-back sur les cas Mbaye Ndiaye et Cissé Lô

Les députés Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô ont été exclu du Pds puis de l'Assemblée pace que soutenant Macky Sall lors de la 11ème législature (2007-2012) alors que Doudou Wade dirigeait le groupe parlementaire du Pds.Ce dernier interpelé sur cette affaire, confie que si actuellement " des éléments de l'Apr font appel à cette jurisprudence, cela veut dire qu'elle était bonne "."Mais ce n'est pas pareil parce que Mimi Touré n'a pas démissionné de son parti".

Revenant sur l'affaire Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô, il a rappelé que pendant un an, ils ont dit qu'ils étaient avec Macky Sall et allaient mettre en place un parti, aller aux élections et faire face au Pds et au Président Wade. " Quand l'Apr a été créée, une délégation de ce parti est allée rencontrer l'Afp et il y avait Madieyna Diouf, Moustapha Niasse et Mbaye Ndiaye ", soutient M. Wade. Pour lui, les deux concernés étaient dans une organisation concurrente du Pds et de facto avaient perdu la qualité de membre de leur parti. Le Conseil de discipline du Pds, fait-il noter, avait constaté la perte de leur qualité de membre et le parti avait saisi l'Assemblée nationale.

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